Atelier du 27 novembre

vendredi 27 novembre 2020, par Caroline Lanos

Consigne de Françoise

Il n’y a pas que les hommes qui voyagent …
Je sais que vous êtes toutes et tous « prêteur » de livre.
Mais en vous inspirant du chapitre 5 en pièce jointe, imaginez-vous en « passeur » de livre avec un livre de votre choix dans le métro ou ailleurs.
Sur quelle personne porterait votre choix ? Pourquoi celle-là ? Comment vous y prendriez-vous pour lui transmettre votre livre ?

2020-11-27 - Consigne de Françoise G.
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TEXTES

Le livre est là sur un banc. Lui est assis un peu plus loin avec son journal et son chien. De temps en temps, il lève les yeux. Le livre est toujours là. Un jeune homme qui faisait son jogging s’est arrêté en piétinant sur place, il a regardé le livre, a sans doute lu le titre et est reparti en petites foulées.

Une heure plus tard, le livre est toujours sur le banc. Il n’y a que le vent qui s’y intéresse en jouant avec les pages.

Une jeune femme avec une poussette est venue s’asseoir sur le banc. Elle a pris le livre l’a retourné et a lu la quatrième de couverture. L’homme au journal la regardait discrètement. Elle a posé le livre en faisant une petite grimace. Non cela ne l’enthousiasmait pas à l’évidence. Elle est repartie en souriant à son enfant qui gazouillait dans sa poussette.

Un enfant est arrivé en courant et a pris le livre en criant : « Maman j’ai trouvé un livre ! 
• Repose ça où tu l’a trouvé ! On ne sait pas où il a pu traîner et viens que je te nettoie les mains.
L’enfant décontenancé, a rapporté le livre, s’est fait torchonner les mains avec une lingette et a repris sa course sur le chemin. La femme ne s’est pas arrêtée pour regarder le livre.

L’homme a recommencé à lire son journal et le vent tourne les pages du livre. La voix d’un jeune homme lui fait lever la tête.
• Tiens ! Un livre. Dit-il en s’adressant à la jeune fille qui l’accompagne.
• Quelqu’un a du l’oublier là.
• Possible, ou alors il nous attendait.
• Qui ? Le livre ?
• Oui, c’est comme ça qu’il passe de main en main. Tu ne savais pas ?
• T’es vraiment un doux rêveur !
• Non, je te jure que c’est vrai. Certains livres se font oublier pour être lu par plus de gens. Ce sont des livres-voyageurs. Regarde le titre.
• L’histoire sans fin, tu connais ?
• Non mais rien que le titre me donne envie de le lire, pas toi ?
• Si, pourquoi pas ! On le lira ensemble, chacun un chapitre à tour de rôle.
• Ok, on le prend et quand on aura fini on le remettra sur un banc.

Les deux jeunes s’en vont en riant. L’homme plie son journal. Il a rempli sa mission et il est content. Il caresse son chien. Et ils s’en vont.
Ce sont les livres qui choisissent leur lecteur, se dit-il. Celui-là a bien choisi. Mais je lui faisait confiance.

Le vent joue maintenant avec une feuille qui vient de quitter son arbre.

Françoise


Extrait picoré dans « Un monde à portée de main » livre de de Maylis de Kérangal

« Il lui ressemble.Elle est dedans.L’artiste peintre.L’artiste sculpteur.De L’Atelier du Thabor .Le professeur d’arts
plastique.Les livres s’empilent dans son atelier. Elle ajuste a blouse tachée de couleurs.
Elle prépare sa palette. Ouvre sa boite de peinture. Une part de noir impérial.
Et une part de terre de Cassel que le pinceau incorpore part petites touches. Elle relève son pinceau.
Respire la térébenthine. Elle a mal aux cervicales. Elle reprend sa respiration.
Cherche une sorte d’organisation sur la toile blanche. Change l’éclairage . Elle a chaud sous la lampe .
Ses yeux brûlent. Elle ne cédera rien pour la beauté de la technique. Elle se grise, fascinée par ce qu’elle impose à son
corps.Elle peint , elle sculpte en silence. Ses yeux brûlent. Explosés. Par trop sollicités. L’ intimité pointe sous les traits du pinceau.
Puis elle compose .Des éléments du monde .Des matières de son rêve .Sa main dose l’énergie au millimètre près.
Au millimètre près ,les images enchevêtrent, le passé le présent. Le rêve , la vie ! »

Elle peignait le jour. Elle peignait la nuit. Elle peignait le monde. 

D’elle à moi , de moi à elle . Nous jouions à cache-cache-livres depuis l’enfance. Je les déposais dans sa boite à lettres
si elle était au collège ou sur le paillasson de son treizième étage à Rennes, dans son jardin malouin emmaillotés dans un filet de pêche
récupéré sur la plage. Il fallait chercher le livre. C’était le jeu. 
Elle camouflait les siens parmi les hortensias, jusque dans les rosiers ou les larges feuilles de rhubarbes du potager,
dans les pruniers, ou les pommiers, aux creux des asters en fleurs lorsque venait l’automne et ses flamboyantes couleurs
et qu’elle arrivait pour me voir un carnet de croquis sous le bras pour un dessin de la ville lointaine au fusain.
Elle se régalait, à chaque saison des images de la cité qui nous avait vu naître toutes les deux .
Elle est morte, une nuit d‘un mois de janvier d’avoir, peut être, respiré trop de produits toxiques qui ont empoisonné son sang .
Nous ne jouerons plus aux passeuses de livres , à cache-cache-livres.
Dans « Un monde à portée de main » elle est Paula, Jonas, Kate.
Les trois à la fois. C’est elle. Elle est là , le soir quand je lis.
Et l’envie me prend de déposer ce livre sur le marbre noir et lisse de son tombeau.
Je me plais à ne pas croire au hasard.
Elle habite la terre entre Bégnigne de Chateaubriand et Odorico.

Jacqueline


J’aimais être là, en fin de matinée du dimanche, journaux juste achetés que j’allais parcourir devant un expresso serré. C’était l’heure de l’apéritif, et de petits groupes s’installaient, plus ou moins toujours les mêmes, qui avaient comme moi leurs habitudes dans ce café couloir où l’on cherchait sa place comme une cabine dans une coursive.
J’aimais tout au bout la petite table ronde derrière une cloison légère, assez haute pour former un espace un peu confidentiel, assez basse pour ne pas l’isoler du reste de la salle. Deux personnes n’y tenaient pas.
J’aimais ce rituel et ses acteurs fidèles. L’un d’eux, comme moi, ne jouait pas la pièce principale, comédie petite-urbaine où évoluaient couples et groupes de connaissances. Un peu à ma gauche de l’autre côté de la coursive où la paroi d’une logette surélevée ménageait aussi un angle à l’abri du flux, il étalait des cartes miniatures et, son petit chien à ses pieds, s’absorbait dans une partie solitaire dont, au fil des semaines et des mois, j’avais fini par cerner à peu près les règles. Une complicité silencieuse et légère nous unissait. Il arrivait le plus souvent après moi, me saluait d’un clin d’oeil et nous ne partions jamais, l’un ou l’autre, sans un sourire ou un signe de tête qui disaient juste « à dimanche ».
Ce midi-là j’avais laissé les journaux et je griffonnais en marge d’un de mes livres fétiches, un Folio minuscule dont j’avais toujours chez moi deux ou trois exemplaires neufs prêts à être offerts, à l’occasion. Je travaillais à transformer certains passages du monologue unique qui constituait le texte, pour en faire des scènes directement jouées par les personnages dont l’histoire était racontée.
J’ai dessiné, souligné, bordé le texte d’indications scéniques. Et il s’est passé quelque chose d’étrange. J’ai vu le narrateur prendre peu à peu les traits de mon complice des lieux. Sans cartes à jouer, sans chien, ailleurs et en d’autres temps, c’était lui. C’était lui le vieux trompettiste qui avait tout perdu, tout sauf l’amitié préservée au fond de son être.
J’aimais cette idée surgie comme une révélation et qui ne me quittait pas. Toute la semaine elle a accompagné mon travail, et les scènes sont venues comme si je n’avais qu’à transcrire ce qui devenait clair et s’imposait.
Ce matin je suis là, comme tous les dimanches. À ma place. Je regarde le caniche somnolent et le ballet des cartes derrière le verre de bière ambrée. Et puis je pars, laissant mon livre sur la banquette. Le mien, celui qui a traîné dans tous mes sacs et s’y est un peu corné, celui qu’on peut lire encore – un peu différemment peut-être – entre les croquis et les annotations.

Antoinette