Atelier du 9 novembre

mardi 10 novembre 2020, par Caroline Lanos

Consigne de Stéphane

Voyage au Bénin.

Lire le début de « Une silhouette à vélo sur le chemin du baobab », nouvelle de Jacques Dalodé, extraite de son recueil Très bonnes nouvelles du Bénin (Gallimard, 2011)
C’est l’aventure la plus incroyable qui me soit arrivée.
J’avais passé le week-end au monastère de Toffo, loin de la cohue et de l’agitation de la ville. Le dimanche, en début d’après-midi, avant de regagner Cotonou, l’envie m’avait pris de faire une promenade. Je m’engageai sur le chemin carrossable qui mène vers Ouagbo, puis coupai à travers brousse et champs, m’enfonçai plus avant dans une vieille palmeraie.
De celle-ci partait un sentier oblique vers une destination inconnue. Je suivis ce sentier et me trouvai bientôt à la croisée de trois chemins. Il me fallut observer les lieux pour éviter de me perdre au retour. Sur la voie de gauche, se dressait un baobab dépourvu de feuillage ; et sur celle de droite, un kapokier desséché au tronc fendu. « Voilà, me dis-je, deux bons points de repère. »
Je pris la voie de gauche et passai près du baobab. Il faisait frais. Nous étions en décembre, quand souffle l’harmattan, ce vent sec venu du Sahara. Le soleil avait dissipé les brumes du matin. J’allais d’un pas tranquille, heureux de marcher dans cette campagne où rien ne presse et où rien ne dérange… Où rien ne dérange ? J’avais à peine dépassé de quelques mètres le baobab que parvint à mon oreille un grognement.

Imaginer la suite de ce texte, avec pour consigne d’effrayer le lecteur !

Jacques Dalodé. Biographie de l’auteur

Jacques Dalodé, né le 1er mai 1948 à Cotonou, quitte une première fois le Bénin, à 18 ans, pour des études en France. Diplômé de l’École des mines de Paris et de l’Institut français du pétrole et accompagné de sa jeune épouse française, il retourne en 1974 au Bénin pour y travailler comme ingénieur pétrolier. De 1980 à 1982, il passe deux ans à Oslo, en Norvège, chargé de suivre et de superviser, pour le Bénin, les travaux de fabrication des équipements destinés à la mise en exploitation d’un champ pétrolier au large des côtes béninoises, le champ de Sémè. De retour au Bénin en 1982, il y occupe jusqu’en 1992 des postes de responsabilité technique sur le champ pétrolier. A partir de 1992, il est consultant basé en région parisienne. Depuis, à la retraite, il se consacre à diverses activités associatives et à l’écriture. Il a publié, en 2011, son premier livre, Très bonnes nouvelles du Bénin.


TEXTES

J’avais à peine dépassé de quelques mètres le baobab que parvint à mon oreille un grognement. Un sentiment de malaise m’envahit, ce grognement n’était pas humain j’en étais sûr et je savais pertinemment que j’étais seul, alors une bête ? Mes yeux inquiets plongèrent alentour à la recherche d’un morceau de bois, d’une pierre, n’importe quoi qui ferait office d’arme et qui me permettrait de retrouver une combativité qui me faisait hélas bien souvent défaut mais le sol était sec et vide et ce grognement, toujours, rauque, âpre, rocailleux qui ne ressemblait à rien de ce que je connaissais. Le vent qui soufflait par rafale faisait claquer les pans de ma veste, soudainement j’eus froid et me sentis couverts de sueur, mes mains se mirent à trembler et je les serrai l’une contre l’autre pour les calmer, le bruit enflait, énorme, terrifiant, il semblait venir du cœur même du baobab, je tombai à genoux, frissonnant, la bouche sèche et brusquement ce fut le silence, dense, épais, je vis les ramures de l’arbre se transmuer en une femme, elle était belle et souriait, un filet d’argent retenait ses cheveux en arrière, ses prunelles brillaient comme éclairées de mille flammes, éthérée, elle flottait, j’étais tétanisé, ses lèvres caressèrent mon visage puis se posèrent sur ma bouche et ce baiser, oh ce baiser d’une douceur ineffable me fit venir les larmes, mais quand elle s’éloigna, son sourire n’était plus qu’un cruel rictus, ses cheveux ondoyaient comme ceux d’une noyée et avec elle, elle emmenait mon souffle. Je regardais mes mains, elles étaient devenues ridées, la peau était plissée, parcheminée, les veines saillantes, je me sentais si las, perclus de douleurs, voilà donc ce que c’est d’être vieux ai-je pensé avant de sentir mon corps se craqueler, se dessécher puis partir en poussière. Désormais dépouillé de la moindre émotion et de toute pensée, je suis baobab et je me languis d’un voyageur.

Roselyne
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Je me figeais, pieds fixés au sol, coeur battant. Je connaissais bien le Bénin et ses croyances aux esprits, à leurs pouvoirs surnaturels, à leurs sortilèges, à la magie blanche ou noire Tout cela jusque- là avait piqué ma curiosité un brin inquiet tout de même
Là, au carrefour des trois chemins, j’étais seul. Je craignis la magie noire maléfique, celle de la vengeance. J’étais un blanc chercheur de pétrole dans un monde africain . L’idée me vint que je prenais leurs terres. De quel droit après tout ?
La peur me tétanisais. Le grondement se rapprochait de mes oreilles à pas lourds . Le sol trembla . Le silence alentour était effroyable. Je ne bougeais pas, m’attendait au pire sous la forme d’un animal sauvage, un lion sans crinière, une lionne, un lycaon, échappés d’une réserve, un singe hargneux, un chien sauvage ! Un éléphant !Tous à la fois ! Ou d’une armée de béninois en colère munis de sagaies au flèches empoisonnées
Je tremblais de tous mes membres à l’idée d’être dévoré dans d’atroces douleurs ou lardé de coups de lances.
Fuir entraînerait une galopade effrénée derrière moi et ne servirait à rien. La sueur perlait sur mon front. Je fis face.
Elle apparut.Une sucette à la main qu’elle portait à sa bouche entre deux mots, le regard rieur et supérieur. Je vous ai fait peur , Monsieur l’ingénieur . Vous la méritez bien cette peur-là ! Qui vous a permis d’entrer chez moi ? Je suis la fée béninoise des trois chemins. Ce carrefour est à moi. J’ai retenu mon armée. Vous avez eu de la chance !
Elle était belle comme le jour dans sa tenue traditionnelle en wax. Un foulard rose magistralement noué comme seules les africaines savent le faire, entourait son visage délicat. Derrière elle, une armada de guerriers armés jusqu’aux dents.
C’en était trop !
Je tombais étendu de tout mon long dans la poussière des trois chemins et perdis connaissance.

Jacqueline
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… Je n’en croyais pas mes oreilles. Au second grognement je compris que je ne rêvais pas. J’entendis ensuite un hurlement qui me fit froid dans le dos. Un homme se faisait-il attaqué dans les environs ? Tout près de moi ? Que faire ? Comment lui porter secours ? Étais - je moi aussi en danger ? Toutes ces questions se précipitaient dans ma tête. Je regardai autour de moi : personne. La panique commença à me gagner quand j’entendis les grognements se rapprocher ainsi que les hurlements. Le baobab. Grimper au baobab. Demi-tour. Courir jusqu’à l’arbre. Le tronc est lisse et les premières branches bien trop hautes pour que je puisse les atteindre même en sautant. Je décidai de me cacher derrière. Soudain un grincement régulier se fit entendre. Un homme en vélo passa à toute allure en soulevant la poussière du chemin. Il avait le visage couvert de sueur, les traits crispés, la bouche grand ouverte et il criait à perdre haleine. Les grognements devinrent plus forts, un énorme lion arriva à son tour. Il avait la gueule béante, je distinguai ses canines luisantes d’une longueur impressionnante. Il était suivi d’un autre homme avec une lance qui courait comme un dératé. C’est lui qui hurlait. Le lion stoppa brutalement devant le baobab. Lui aussi aurait bien aimé y grimper ou alors il avait senti mon odeur. Je me fis tout petit derrière le tronc. Je sentis que moi aussi j’étais prêt à hurler de peur. Mais l’homme à la lance s’était également arrêté et visa le lion. L’animal perçut le mouvement et sauta dans les buissons juste à côté de moi. Je criai ! La lance venait de me frôlé. Heureusement elle se perdit dans les broussailles. Je sortis de ma cachette. L’homme qui n’avait plus sa lance me regarda étonné, il dut se demander ce que je faisais là. Il fourragea dans les buissons et retrouva sa lance. L’homme en vélo avait fait demi- tour, il sauta de sa selle et vint se jeter dans les bras de l’autre.
« Tu m’as sauvé la vie » lui dit-il.
Ils repartirent tous les deux, sans me jeter un regard. L’un poussant son vélo, l’autre la lance sur l’épaule. Je restai seul, interloqué, sur le bord du chemin. Puis je repensai au lion et je m’éloignai en marchant à grandes enjambées dans la même direction que les deux hommes. J’aurai dû choisir le chemin avec le kapokier me dis-je. Mais je n’aurais pas vécu une si incroyable aventure !

Françoise