atelier du 10 novembre

mardi 10 novembre 2020, par Caroline Lanos

Consigne de Geneviève

1- Un petit jeu pour commencer :

Faire le portrait araucan en 10 touches d’une ville que vous aimez pour y avoir déjà séjourné en développant des comparaisons, des métaphores.

Mais qu’est-ce qu’un portrait araucan ? C’est un jeu de devinettes inventé par le personnage de Vendredi dans le roman de Michel Tournier Vendredi ou la vie sauvage. Le jeu consiste à faire deviner quelque chose en donnant cinq indices imagés en créant des métaphores. 
 
1 Choisissez une ville (chut, ne nous dîtes pas)

2 Portrait araucan

Si c’était une couleur, ce serait ……….
un son 
un parfum 
un prénom
un monument
une chanson
une recette
un homme ou une femme célèbre
un point cardinal
à vous de développer d’autres indices

2- CHANGER DE VIE
Changer de vie. J’ai longtemps admiré les gens capables de tout plaquer : lieu de résidence, amis, boulot. Je les trouvais courageux, autonomes, libres en un mot. La tentation en a toujours été écrite au fond de moi, comme une aventure indispensable à une vie bien remplie.
Le déclic est venu d’une rencontre.
La calligraphe se fait bergère par Florence Robert, ZADIG n°7 septembre 2020, p 103
Bergère des collines, Florence Robert, , Editions José Corti, 2020
Consigne : Votre personnage décide de changer de vie.
Quatre propositions :
• Il ira vivre sur l’île d’Ouessant
• Il s’installera dans une Tiny house
• Il deviendra berger(ère) dans les Corbières
• Il partira vivre dans une communauté (religieuse ou pas)


TEXTES

I- Portrait araucan

Si c’était une couleur, elle serait rouge boucherie
Si c’était un son ce serait celui d’une flûte droite, la txirula
Si c’était un prénom, ce serait Louis
Si c’était un monument ce serait une église
Si c’était une chanson ce serait le fandango de Luis Mariano
Si c’était une recette se serait celle du gâteau basque aux cerises noires
Si c’était un bonbon ce serait une sucette de chez Adam
Si c’était un un vin ce serait l’Irouléguy
Si c’était une danse ce serait le fandango
Si c’était une femme célèbre se serait Marie-Thérèse qui eut un bébé noir parce quelle avait mangé trop de chocolat
Si c’était une montagne ce serait la Rhune
Si c’était une chaussure ce serait l’espadrille
Si c’était un poisson ce serait le thon
Si c’était une fête ce serait un toro de fuego
Si c’était un sport ce serait une pelote
Si c’était une coiffure ce serait un béret
Si c’était un quai on l’appellerai Ravel

II- C’est une question existentielle. Changer de vie . Changer la vie.

« A vendre, une petite maison de bois genre Tiny House dans le Morbihan pas loin de VANNES pour 2 à 4 personnes. Pièce de vie. Canapé convertible, rangements, table de salle à manger, cuisine équipée, salle de bain équipée aussi, mezzanine, terrasse en bois, salon de jardin. Proche plages. »
Et voilà ! Elle est tombée là-dessus en lisant le Chasseur Français. Une mine !
C’est décidé, elle ira là . C’est juste ce qui lui faut. Bien assez grand maintenant qu’elle est tout seule et les bords de mer attirent toujours les enfants.
Ah ! Evidemment, va falloir faire du vide, vendre la maison ! Aucun problème.
Le côté exotique de cette Tiny house l’enthousiasme. Le golfe et ses îles, les marches à pieds, les lectures assise sur la plage, entre terre et océan, Arz, Carnac et Gavrinis à Larmor Baden où le soleil couchant rentre tout au fond du Cairn depuis plus de 6000 ans. Elle s’est toujours passionnée pour la préhistoire, ces pierres gravées, sculptées de dessins bizarres impossibles à décrire.
Josselin , Quiberon, la côte sauvage…
Elle marche sous les embruns, le long des sentiers côtiers. Chaque vague est un assaut de la mer contre la falaise. Elle se sent si petite face à la puissante nature. Elle y vient les jours de tempêtes. Le spectacle est grandiose. Tous ses sens sont en éveil . Elle en prend plein les yeux, plein les oreilles. Son visage ruisselle de gouttelettes salées et le parfum du varech pénètre ses narines. Elle aime ça les émotions, la peur même de ces éléments déchaînés. Son corps se remplit de sensations qui la font vivre, revivre une autre vie en harmonie avec la mer qu’elle aime tant.
Et puis elle rentre dans sa Tiny house et au chat qui l’attend sur la terrasse, elle dit : On sera bien là tous les deux.

Jacqueline
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Portrait araucan d’une ville

Si c’était une couleur, ce serait le gris des immeubles de la reconstruction
Si c’était un son, ce serait une sirène
Si c’était un parfum, ce serait celui des embruns chargés de sel et d’algues
Si c’était un prénom, ce serait celui que chanta Prévert, Barbara
Si c’était un monument, ce serait la Tour Tanguy et sa masse trapue au sortir du pont levant
Si c’était une chanson, ce serait Fanny de Recouvrance, l’égérie du marin
Si c’était une recette, ce seraient les pétoncles, juste ouverts à feu vif et parsemés de
persil frais
Si c’était un homme ou une femme célèbre, ce serait Vauban
Si c’était un point cardinal, ce serait l’ouest tout au bout
Si c’était une qualité, ce serait l’ouverture, celle de la rade sur le monde devenue celle des habitants
Si c’était un trait psychologique, ce serait la tendance à la mélancolie – parfois auto-destructrice –
quelque chose comme ce qu’entendait Verlaine dans le cri de la mouette.

Changer de vie

Les enfants ont souri, d’abord vaguement incrédules.
- Non, mais, t’es sûre ?
- Tu nous fais marcher, là. C’est une blague.
- Franchement Maman, on sait que tu aimes les défis, mais là … Ouessant ! Ça craint.
Ils étaient mignons, chacun dans sa bouée singulière contre la menaçante réalité de cette déferlante : j’allais quitter Paris pour Ouessant !
Je sentais bien ce qui en outre les préoccupait, la première surprise passée. Est-ce que je quittais aussi le foyer ? Ils avaient beau vivre chacun leur propre vie, il ne pouvait pas leur avoir échappé que leur père s’était éloigné, que leurs visites me trouvaient souvent seule dans l’appartement, où j’avais aussi fait migrer mon lieu de travail. À leurs questions je dédramatisais, invoquant des déplacements professionnels plus lointains et plus longs. Ça n’était pas faux, d’ailleurs, mais un symptôme que je préférais garder silencieux. Le modus vivendi tacite entre Paul et moi ne regardait que nous. Il m’appelait, venait quelques jours, repartait. Nous avions toujours plaisir à nous voir, à parler de tout sauf de nous, à voir un film ou une exposition, à partager un bon dîner, subtilement arrosé. J’écoute sa musique, il lit ce que j’édite. Il viendra à Ouessant comme ici.
Fanny, toujours la plus tenace, insistait :
- Et pourquoi Ouessant ? Tu ne pouvais pas trouver encore plus loin, plus perdu ?
J’ai dit le plus simple, des attaches lointaines mais qui m’importaient, et puis l’insularité, l’espace mesuré, les paysages si forts, la mer enfin, la mer surtout, ses mouvements, le bruit de ses humeurs, ses parfums, ses oiseaux. Il fallait bien tout cela pour laisser Paris, la ville si chère, et tout ceux que j’aimais ici.
Parce que bien sûr au pourquoi Ouessant s’est vite ajouté le pourquoi tout court. Changer de vie ? Y a-t-il des raisons à une intuition, à ce qui arrive un jour comme une idée qui passe et finalement s’accroche, devient désir, besoin, évidence ?Alors je m’en suis tenue à ce qui pouvait facilement s’entendre : le virus, le confinement, la retraite proche dont je je voulais apprivoiser l’idée et anticiper le lieu, mon travail ne requérant pas – sauf quelques jours à l’occasion – ma présence à Paris.
Le feu des questions a cessé, le sourire est devenu complice, et les plaisanteries ont fusé tout le dîner sur le rude apprentissage de ma vie d’ermite, la petite maison de la côte nord de l’île – même pas au bourg, non – entre les faisceaux des phares, le fracas du ressac et le cri des mouettes.
« Vous m’avez dit Ouessant ? »

Antoinette

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Si c’était une couleur, elle serait ocre et bleu lavande
Si c’était un son, ce serait la cigale, parce qu’elle cymbalise. Ou le grillon parce qu’il stridule. Ces deux sons, à l’unisson, caressent les brins jaunes d’herbe séchée au soleil...
Comme ceux coincées entre mes deux pouces serrés, appuyés sur mes lèvres :
le son strident fait s’échapper l’oiseau, la cigale ou le grillon.
Si c’était un parfum, un savon au savant mélange de rose et de lavande de Durance
Si c’était un monument, elle serait le beau lavoir du mail construit en 1840
Si c’était un goût, ce serait olives, aïoli et anchoïade
Si c’était un monument, elle serait fontaine à la marquise
Si c’était une pièce d’eau, outre la fontaine, ce serait piscine mosaïque en grès bleu et sable brun
Si c’était une chanson, elle aurait l’accent chantant du sud et des paroles qui résonnent dans la cour d’honneur pavée de souvenirs et de tissu soyeux
Si c’était une lettre, ce serait en tout début un G de préférence...Peut être doublée et de six lettres pour un bon équilibre, bien posée, car quand le mistral, s’y engouffre il serpente les ruelles accrochées de part en part sur ce promontoire rocheux où le premier château vit le jour au 11ième siècle.

G comme grimper
R comme rose
I comme Irisé
G comme grandeur
N comme non loin : Nyons, noblesse de ses olives
A comme Adhémar de Grignan
N comme noble

“Ici la lavande embaume ciel et terre, elle se joue de l’ombre et de la lumière”. Jean GIONO , l’homme qui plantait les arbres, lui natif de Manosque, parlait joliment de son pays du sud de la France, lui que j’aurais aimé connaître et avoir comme grand-père. M’a-t-il influencé ?
CHANGER DE VIE. Changer la vie, écrivait Guéhenno. (Un écrivain avec G encore !)
Changer de vie. J’ai longtemps admiré les gens capables de tout plaquer : lieu de résidence, amis, boulot. Je les trouvais courageux, autonomes, libres en un mot. La tentation en a toujours été écrite au fond de moi, comme une aventure indispensable à une vie bien remplie. Le déclic est venu d’une rencontre.
Une lettre avait suffi. Oui la puissance de l’injonction d’une lettre. La passion de la correspondance avait fait le reste, le liant. Ecrire en immersion au pays de la lavande, participer voire m’y atteler à ce fameux festival de la correspondance. Quitter l’ouest, lui tourner le dos, m’échapper pour survivre.
L’humidité et la solitude me minaient le moral et les os depuis quelques années. La succession de décès m’avait bien fragilisée et l’ouest me boudait. Venant de Montélimar, à la sortie du car, Lucie m’avait accueilli et proposé une chambre juste en contre bas de la pente rocheuse, au milieu des champs de lavande dans une Tiny House. Ce nom je ne l’avais jamais entendu. Minuscule maison, littéralement. Je voulais fuir les gros meubles, les armoires remplies, les cartons de documents jusqu’aux cours des premières années de fac. Tout ce fatras accumulé et qui pèse plus qu’il n’enrichit. Cette impression d’être chez moi m’avait saisie dès ma sortie du bus. Je ne savais pas encore que j’allais y finir ma vie.

Stéphane.


Portrait araucan

Si c’était une couleur, ce serait blanc comme neige.
un son, ce serait un tintinnabulement
un parfum, ce serait une odeur de prairie fleur
un prénom, ce serait Pervenche.
un monument, ce serait le monument des guides.
une chanson, ce serait étoile des neiges.
une recette,ce serait la fondue de fromages.
un personnage célèbre, ce serait Maurice Herzog.
un point cardinal,ce serait l’est.
un film, ce serait « Premiers de cordée »
un livre, « Annapurna premier 8000 ». 

Changements de vie, changement de vie

Marre,il en avait vraiment marre, de la ville, du bruit,des abrutis qu’il devait côtoyer au bureau,dans la rue, en montant l’escalier de l’immeuble, et même en allumant sa télé quand il était enfin rentré chez lui. Il regardait par la fenêtre de son minable appartement et il lui semblait qu’il n’y avait pas d’horizon, pas de ciel, rien qu’un brouillard jaunâtre qu’il devinait pestilentiel et poisseux.
Il fallait qu’il fasse quelque chose, il fallait qu’il redevienne un homme.

Le matin au réveil, il se souvint du rêve qui l’avait réveillé durant la nuit, il s’était revu petit chez grand-père Gabriel, là bas, dans les montagnes d’Auvergne, son rêve avait des parfums de bois, de mousses, de fromage de chèvres, le tout enveloppé par l’odeur de fumée d’un feu de bois. Dans cette enfance retrouvée il entendait le cri de la buse, les cloches du troupeau de brebis et les jappements joyeux des chiens de berger. Grand- père conduisait les bêtes sur les pâtures d’altitude et il l’accompagnait cramponné à son bâton comme un soldat à son fusil, fier comme un pape d’avoir à effectuer un travail d’homme (enfin le croyait-il !..) . Dans la journée assis sur un talus de roches ils regardaient la montagne, silencieux, lorsque ils se relevaient le grand-père embrassait le paysage d’un grand geste de bras et déclarait sentencieusement « C’est ça la vie petit ! ».

Il se secoua comme pour se réveiller de nouveau et décida à ce moment précis qu’il lui fallait changer de vie : ce sera berger où mourir de médiocrité ! Il décida d’aller se confier à la seule personne pour qui il avait encore de l’estime dans cette ville : l’oncle Joseph qui vivait sa retraite au presbytère de la paroisse après avoir essayé vainement de convertir les indigènes de Nouvelle-Guinée à la messe en latin « Alors tu veux marcher sur les traces du vieux Gaby ? Je pourrais peut-être t’aider. » Il se dirigea vers son bureau monacal et extirpa d’un tiroir une enveloppe froissée, il en sortit une lettre . Mon vieil ami de séminaire, frère Ambroise, recherche un homme à tout faire pour son petit monastère, ils ne sont plus que trois vieux moines et devront se séparer de leur troupeau de moutons si personne ne vient à leur aide, il propose un petit salaire, le gîte et le couvert .Il était fou de joie et embrassa Joseph comme du bon pain, il n’eut de cesse que de faire téléphoner son oncle. Le soir même l’affaire était entendue : il partirait demain, son parent s’occupera de régler ses affaires.

Le voyage n’en finissait plus, la dernière partie surtout en fût très tourmentée. Il se présenta à l’adresse indiquée après avoir suivi les indications que Joseph avait notées sur un vieux carnet défraîchi. Le bâtiment ressemblait a une chapelle de crèche provençale flanquée d’une bâtisse trapue, à la porte de celle-ci une chaîne se balançait au vent, il la tira avec vigueur.
Au son de la cloche, la porte s’ouvrit sur un adorable vieillard tout rond, tout en rides et en fossettes. « Bonjour mon frère,je suppose que vous êtes Franck notre nouveau berger ; frère Ambroise nous à averti de votre venue, je suis frère Job, jardinier et portier à l’occasion, entrez donc ! Vous devez être fatigué après un tel voyage,venez vite ! tout le monde vous attend ! ». Il suivi la robe brune du moine dans un couloir qui débouchait sur une salle à manger blanchie à la chaux meublée d’une grande table de ferme, d’un vieux bahut sombre aux pieds usés, le seul décor des murs était un crucifix de bois clair orné d’un christ d’ivoire au sourire bienveillant. Autour de la table se tenaient deux capucins : l’un grand et maigre, l’autre petit et trapu. Bienvenue à toi Franck, me dit le plus grand, tu ressembles vraiment à ce bon Joseph, nous attendons depuis longtemps notre berger ! Cette phrase fît éclater de rire le petit moine « C’est vrai » dit-il « nous l’attendons depuis notre naissance » ! « Tu viens d’entendre une des facéties de frère Oger, le plus jeune et le plus artiste d’entre nous, ce n’est sans doutes pas la dernière ! » Celui qui devait être frère Ambroise me tendit la main « Bienvenue dans ta maison » me dit-il. Durant ton séjour parmi nous tu prendras tes repas avec nous, tu t’occuperas des bêtes, bien sûr, mais tu nous serviras aussi de liaison avec les habitants et les commerçants. Ce soir tu dormiras ici après le souper, demain nous te présenterons le troupeau et ton futur logement.

Le lendemain après avoir déjeuné à midi, Oger m’emmena voir mes futurs compagnons à quatre pattes, une centaine environ de petites taches noires où brunes constellaient une prairie à l’herbe rase. A notre approche un concert de bêlements nous accueillit « Mais il n’y a que des agneaux ! » dit Franck étonné, « Mais non, les moutons d’ici sont tous petits ,regardes autour de toi :ce sont les rochers, le vent,la mer qui les ont modelés ainsi ! ».
Franck regarda autour de lui la côte découpée de l’île d’Ouessant, la mer d’Iroise blanche d’écume, le ciel chargé de nuages menaçants, il huma l’air chargé d’iode, et il se senti apaisé… Il passa l’après-midi à surveiller les brebis, qui curieuses venaient le renifler de plus en plus près, l’une d’elle, qu’il baptisa Quenouille vint même se frotter contre lui.

Vers six heures Oger et Job vinrent le rejoindre pour rentrer les moutons dans la bergerie.
Ensuite ils l’entraînèrent avec des airs de conspirateurs vers l’arrière du bâtiment « Regarde, voici ta maison ! ». Il avait devant les yeux une sorte de cabane montée sur roues qui ressemblait à une miniature de cottage anglais. « C’est moi qui l’ai construite . »dit Ogier . « J’en ai vu beaucoup comme celle-ci quand je vivais au Canada avant de rejoindre la communauté, là-bas ils appellent çà une tinny-house. Elle va te permettre de suivre les moutons, nous avons des pâturages partout sur l’île, tu pourras habiter près d’eux, et grâce à elle tu changeras de paysage à chacun de tes déménagements. »

Il entra dans le logement qui semblait comporter tout ce dont on pouvait avoir besoin : une cuisine en réduction, une salle de bain de poupée, une table avec une banquette et sur une mezzanine un lit surplombé par une bibliothèque garnie de nombreux livres. Le tout était décoré avec goût, un des murs était fait de planches multicolores délavées et usées provenant de vieux bateaux de pêche,les montants de l’escalier étaient constitués de branches polies et blanchies par la mer et le soleil. Les deux frères le saluèrent avec chaleur. Heureux et encore troublé par la surprise il déboucla sa valise apportée là par les moines et commença à s’installer : il allait se sentir chez lui ici !

Il y avait maintenant deux ans que Franck vivait à Ouessant, il en connaissait maintenant tous les recoins au fil du déplacement de sa maison et de ses moutons. Les trois moines avec qui il tenait à dîner tous les soirs étaient de bons compagnons avec qui il avait des discussions interminables avant d’enfourcher son vélo et de retourner dormir bercé par le ressac de la mer toujours présente près de sa maison roulante.

Il connaissait aujourd’hui la plupart des habitants de l’île qui commençait à l’accepter, non pas comme l’un des leurs, mais au moins comme un égal plus fréquentable que les touristes sans gêne qui envahissaient le village tous les étés. Il contemplait l’océan ; les rochers familiers à qui il avait donné un nom : le mont Dore, le Sacré- Coeur ; à certains d’entre eux il avait donné le surnom de ses amis Ouessantins : le bélier, la sirène, le grand Pierre, le petit Louis, la Marine...
Les îliens étaient un peu comme ces écueils ; durs, ravinés, semblants arc-boutés face à la mer et au vent. Une fois par mois il les retrouvait pour dîner chez la Marthe au bar des marins ; il les aimait les pêcheurs, le menuisier, les paysans. Grâce à eux il avait renoué avec le genre humain, ils étaient simples, entiers, ils étaient vrais.

Emmitouflé dans la grande cape brune à capuche que lui avait offert le frère Amboise on aurait dit un moine, elle était faite de la laine de ses moutons et exhalait une légère odeur de suint, il ressemblait à ses brebis. Il regardait sautiller un agneau, planer un goéland quand une ombre approcha, c’était Marie la potière, il la reconnu à ses cheveux noirs comme la toison de ses bêtes, elle s’assit à côté de lui, il lui prit la main, sans un mot ils regardaient les vagues écumer au loin.

Il se sentait bien, il se sentait à sa place, il se sentait enfin vivant …

Francis


Portrait araucan

Si c’était une couleur, ce serait du vert bronze à cause du côté obscur
un son, ce serait un bâton de pluie pour son côté primitif
un parfum, ce serait une odeur d’humus à cause de l’automne
un prénom, ce serait Sylvère pour son côté câlin
un monument, ce serait un topiaire à cause de sa forme décorative
une chanson, ce serait ma forêt de Henri Des pour sa légèreté
une recette, ce serait un vol au vent à cause des champignons
une femme célèbre, ce serait Mélanie Laurent pour son documentaire « Demain »
un point cardinal, ce serait le nord pour sa fraîcheur
Un animal ce serait un sanglier pour son côté fouisseur.

Changer de vie

J’en ai marre, marre de tout ici, j’ai envie de changer de vie !
Et voilà que l’on me suggère quatre propositions, voyons voir.
Aller vivre sur l’île d’Ouessant, je ne connais pas ce lieu, ça a l’air sympa, « l’île du bout du monde, dernière terre de Bretagne avant l’Amérique » selon l’office de tourisme avec des « irréductibles insulaires » prêts à m’accueillir, ils sont bien gentils ces îliens mais moi, en ce moment, j’ai envie d’une île déserte, pas celle de Robinson Crusoé, lui n’avait pas vraiment choisi mais plutôt celle d’Yves Montand dans le sauvage, vous voyez ? Il est peinard, il cultive ses légumes et de temps en temps on lui largue ce qu’il ne peut pas faire pousser, tout va bien pour lui jusqu’à ce que Catherine Deneuve se pointe et là évidemment c’est moins paisible mais ça me plairait bien de voir débarquer sur mon île, je vous le donne en mille, Sean Connery, pas le James Bond, non non, celui en pleine maturité du nom de la rose, savez-vous qu’il faut prononcer « chun » ? Pas moi, je disais Sean avec un S, à la française quoi, si vous saviez les sourires narquois que je me récoltais, bon maintenant je prononce à l’anglaise mais parfois en mon for intérieur, tout au fond, je dis encore Sean avec un S, ça m’amuse et puis personne ne le sait puisque c’est en mon for intérieur !
Pardon ? Vous dites qu’il n’est plus de ce monde ? Ah bon, il ne viendra pas sur mon île alors, c’est vraiment dommage ! Je pourrais aussi m’installer dans une tiny house c’est-à-dire une maison minuscule, si si Vous pouvez me faire confiance j’ai un dictionnaire anglais-français, j’ai vérifié ! Mais j’ai beaucoup joué à la poupée étant gamine, ça ne me tente plus.
Autre choix, devenir bergère et dans les Corbières en plus, il y a bien longtemps j’ai connu un berger, il était beau, vous ne pouvez pas imaginer, des cheveux blonds bouclés, des yeux d’un bleu océanique, des abdos à faire pâlir d’envie et des mains d’une douceur, mais bon je n’irais pas plus avant, de toute façon je ne l’ai pas accompagné dans le Larzac alors qu’est-ce que j’irais faire avec des moutons dans les Corbières ?
Dernière proposition, aller vivre dans une communauté et là, je vous arrête tout de suite, c’est non, fermement, définitivement, on n’en parle plus, d’accord ?
En fait je vais rester chez moi et c’est bien comme ça.

Roselyne


1) Portrait araucan

Si c’était un son ce serait le bruit des tambours
Si c’était un prénom ce serait Brenus
Si c’était un monument ce serait la maison d’Abraham
Si c’était un homme et une femme célèbre ce serait Louis IX et Marguerite de Provence
Si c’était un point cardinal ce serait au sud de Paris
Si c’était un fleuve je dirais qu’il passe à Paris mais qu’il n’en porte pas le nom

2) Changer de vie

Jules Thomas vivait à Paris dans un confortable appartement d’un immeuble haussmannien. A trente ans il était un des avocats d’une banque renommée. Lui qui était né dans un village de Corrèze où ses parents tenaient l’unique épicerie, il avait comme on dit « bien réussi » et faisait la fierté de ses parents. Toujours tiré à quatre épingles, il n’était pas particulièrement beau mais son amabilité et sa bonne humeur le rendaient sympathique et apprécié de ses collègues. Il sortait peu, privilégiant son travail et n’ayant pas de goût pour la vie trépidante de la capitale. Il était célibataire, avait eu quelques aventures amoureuses qui n’avaient pas duré.
Il était satisfait de sa vie autant privée que professionnelle jusqu’au jour où un de ses collègues qui lui était le plus proche, décéda brusquement d’une crise cardiaque au bureau. Le choc fut brutal pour tous les employés du cabinet d’avocat. Il fut plus profond pour Jules Thomas. Il prit la semaine de vacances à laquelle il avait droit et s’enferma chez lui, déprimé. A la fin de la semaine personne n’aurait pu reconnaître Jules Thomas avec sa barbe, un vieux jean défraîchi, un pull informe et des baskets aux piedx quand il sortit de chez lui. Il fonça chez son notaire, mit en vente son luxueux appartement et ses meubles. Il démissionna sans donner de raison au grand étonnement de tous.
Trois ans plus tard, on le retrouvait sur les routes de Corrèze tirant avec sa voiture une micro-maison. Il stationnait quelques jours ou quelques semaines près d’un village, donnait des cours aux enfants des écoles qui venaient volontiers dans sa maison vu qu’ils adoraient. Jules Thomas vivait de peu mais il était enfin heureux bien que toujours célibataire. Sa micro-maison lui suffisait et sa vie itinérante le comblait.

Françoise