Atelier du 13 novembre

vendredi 13 novembre 2020, par Caroline Lanos

Consigne de Françoise

Il n’y a pas que les humains qui voyagent.
Écrivez un texte en imaginant les pensées que pourraient avoir les produits qui font de si grands voyages pour nos besoins ou notre plaisir (régime de banane ou autres fruits exotiques, vêtements, automobiles, jouets etc...)

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TEXTES

Moi, la banane des Antilles
Je survis.
J’ai subi de mauvais traitements.
De 1972 à 1993, j’ai eu droit à la chlordécone.
Affreux traitement chimique ! Un combiné de képone et de kurlone !
Mots barbares, assassins.
Ont suivi cancers du sang, de la prostate etc..
Après 21 ans de déconnages, les instances au pouvoir ont pris une décision :
La chlordécone a été interdite en métropole en 1990 et en 1993 en Guadeloupe et en Martinique.
La terre s’en est-elle bien remise ??????
Certains disent qu’il faut attendre 50 ans .

(Dans l’instant, chers lecteurs, je vous vois assez sérieux, peut-être même un peu tristes. J’ai envie de vous voir sourire.)

Moi, la banane,
je n’ai pas la pêche,
j’en ai pris plein la poire.

Dans la plantation,
pas toujours facile !
Ensuite,cueillette (Certaines mains ne sont pas délicates), entassement, promiscuité dans les cartons à bananes.
Il y a les bonnes bananes,
les « à moitié bonnes » (pour les personnes positives),
les « à moitié mauvaises »(pour les personnes négatives) et les mauvaises bananes.
C’est comme les gens.
Les bananes hypersensibles ont du mal à s’en remettre. Elles prennent toute la charge émotionnelle
Après, avion !
Long vol ! Difficile pour les bananes impatientes !
Trous d’air ! Grand stress pour les bananes fragiles !
Enfin camion !
Cela peut être compliqué pour les bananes si le conducteur est un peu kamikaze,
Bananes « tressautantes », « tourneboulées » !
Enfin arrivée sur l’étal pour les survivantes !
Et là, la banane est prise en main, soupesée, parfois tâtée.
Atteinte à son intégrité ?
L’expression est peut-être un peu forte.
Évitons maintenant de parler de l’usage futur des bananes afin de ne pas en traumatiser un régime .

(A la fin, lecteurs, peut être arriverez-vous à rire ?
Un peu de déconnages, en ces temps confinés...)

Un peu de déconnages, oui mais pas trop !

Le destin de la banane est, quand même, effroyable.
Finir en bouche, passer par le tube digestif de son acheteur, aller dans l’estomac, ensuite, dans les intestins.
Pour atterrir où et dans quel état ? Je ne m’étendrai pas.

Nelly
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Je m’appelle Claudine . C’est une très jeune femme qui m’a greffé des yeux bleus. Ainsi j’ai pu constater qu’elles, elle avait les yeux noirs en amende et la peau plus foncée que moi. J’ai de jolis cheveux longs et bouclés. C’est une autre jeune femme qui me les a implantés. Je suis brune mais il y a d’autres Claudine qui sont blondes. Je le sais, je les ai vu là où je suis née dans l’usine. On m’a installée et attachée dans une jolie boîte en carton avec sur le devant une feuille de plastique pour que je puisse voir et être vue. Il y a mon nom écrit tout en haut. Puis j’ai cahoté sur un tapis roulant avec les autres Claudine, c’était très amusant. On nous a entassées dans de grandes boîtes et là je n’ai plus rien vu. Je sais seulement qu’on a dû être transportées avec d’autres colis. Je l’ai senti aux chocs que nous avons subis. J’ai compris pourquoi on m’avait attachée dans ma petite boîte ! Pendant un très long moment rien ne se passa. Il y avait de drôles d’odeurs, différentes de celles de l’usine, ça sentait le sel je crois et d’autres très fortes. Je dis des odeurs de sel car plus tard quand je fus donnée à une petite fille à qui je ressemblais un peu, celle-ci faisait semblant de me faire manger et dans sa cuillère j’ai retrouvé cette odeur. Elle a dit : « Il y a peu-être trop de sel. »
Il y avait aussi pendant tout ce temps comme un balancement régulier ainsi qu’un bruit sourd. Le voyage fut très long et je me suis beaucoup ennuyée. De nouveau on nous a transportées dans un véhicule bruyant, encore des chocs.
Enfin de la lumière ! Les autres Claudine et moi nous avons été installées sur des étagères, enfin debout, même attachées dans nos boîtes, nous avions fière allure dans nos beaux vêtements. Une femme est venue, Elle m’a regardée sous toutes les coutures et a posé des questions à une vendeuse.
• Parle-t-elle ?
• Oui madame, elle dit papa et maman.
• Elle est faite en quoi ?
• Je ne pourrais pas vous le dire.
• Je vois ce n’est pas écrit sur la boîte, par contre elle a été fabriquée dans un pays asiatique.
• Oui madame, comme beaucoup de jouets.
• Dommage, elle est jolie mais... non. Je vais chercher un autre jouet.
Et elle m’a reposée. Une autre femme est venue et sans rien demander elle m’a emportée.

Françoise
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- On étouffe là-dedans ! Il fait nuit ! Desserrez les régimes, les filles, sinon on va perdre toutes nos calories à transpirer comme ça. Moi, j’ai la peau qui décolle. J’le sens. Arrêtez de pousser ! C’est galère hein ! En arrivant à Rungis on sera invendables avec des tronches d’écrabouilllées et des peaux noires à glisser dessus ! Arrêtez de pousser j’vous dis ou j’explose ! Même dans le noir !

- Si t’explose, on explose six par six, la râleuse. T’as remarqué qu’on est attachées par six ! Non ? Allez, tais-toi et prends ton mal en patience. Pense aux enfermés du dessus, du dessous, du côté, qui risquent à tous moment de tomber à la flotte et de mourir là. Tiens, les jouets par exemple. T’imagines tous les pauvres gosses qui les attendent et qui devront s’en passer si t’arrête pas de gesticuler. On se calme hein ! On respire à fond. On médite. Méditer jour après jour, ça équilibre on a du temps devant nous pour ça hein ! . La méditation c’est bon pour tout, ça donne le sourire, on vit en pleine conscience, sans désordre émotionnel. DANS-LA-SAGESSE ! Vis le moment présent comme une aventure ! Un beau voyage vers des contrées inconnues qui vont nous changer de nos bananeraies exotiques.

- Est-ce qu’on pourrait dormir en paix ? La mise en caisse et le voyage depuis la Martinique nous ont épuisées ; Puis au-dessus y a les plantains. Fragiles les Africaines. Petits gabarits. Alors un peu de silence ça nous ferait du bien !

- Prenez vos pouces et taisez-vous les régimes et toi arrête de moraliser. Tu nous soûles à la fin avec ta méditation !Tu vas voir si tu vas méditer longtemps une fois décaisser de ton conteneur, à te geler sur un marché entre les avocats et les patates douces et les mangues et puis les pauvres gosses privés de jouets comme tu dis, d’un air attendri, vont bien être les premiers à t’avaler, en deux temps trois mouvements, pendant leur goûter et là, tu vas le sentir passer le désordre émotionnel…

- Oh ! Dis donc, on n’ est pas que du banana-split ou des bananes écrasées avec du sucre ou flambées au rhum ou des peaux à glisser dessus, je te ferais dire. On est un tableau célèbre d’Auguste Renoir qu’il a peint en Algérie. Pas UNE banane ! Un CHAMP entier. On a dit qu’il était orientaliste, c’est tout de même grâce à nous ! Et Joséphine, la danseuse et sa Revue Nègre ? Vêtue d’un simple pagne de bananes sur une musique de Charleston. Le succès !!!!Le délire ! Bon, les bananes étaient pas des vraies mais quand même, elle avait pas choisi les avocats.
Alors tu me diras ce que tu voudras mais on fait tout de même partie d’ un sacré patrimoine.
Allez les régimes, frais et roses en arrivant sur les étals. A la hauteur de l’Outre-Mer, de l’île aux fleurs et de l’autre Joséphine statufiée et de Aimé Césaire et j’en passe !
En attendant, sagesse et méditation dans le silence et l’obscurité et la BANANE en arrivant !

Jacqueline
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Bonjour, je fais un peu peur à tout le monde, je voyage incognito, pas question de savoir où je me cache. Je me demande toujours si le Pacha connait lui-même mon existence. Voyager au milieu des bananes ou du coton, ni vu ni connu.
Je me tiens tranquille généralement. Faut pas me chercher, sinon j’explose facilement. J’ai un caractère bien détrempé et ai la réplique facile. Ni altercation, ni abordage.
Parfois, en caisse près de moi, y’a des jeux pour mômes qui me cassent les oreilles. Des programmes qui doivent se télécommander ou je ne sais quoi. Ca fait des bruits de robot et de gâchette de mauviette. Pas de superstition, on est quand même un vendredi 13. T’as joué toi ? Ben, c’est quoi toi, ta destination ?
Je ne réponds pas, jamais pendant le service. Par où vont-ils me faire passer ?
Par quel port ? Quelques aller-retour pour brouiller les pistes.
Le fameux triangle, des équations savantes, pour noyer le poisson et engraisser quelques filières pas nettes. Trafic d’armes ? Ils parlent de loyaux échanges.
On va quand même passer un petit de chemin ensemble, tu peux bien me parler un peu quand même, Monsieur fait le fier, Monsieur se la pète !
Non, arrête donc de faire feu de tout bois, enfin ! Tu es ridicule.
Monsieur soliloque. Au bout d’un moment on finit toujours par parler tout seul et de s’inventer un monde. Je me rappelle de ce film où un naufragé sur une ile avait dessiné une tête sur un ballon de baudruche. Il s’était inventé son alter égo pour ne pas devenir fou, alors il lui parlait, lui confiait sa peine, ses interrogations.
Laisse-moi maintenant, j’ai un peu le vague à l’âme, ça ne paraît pas comme ça, mais j’ai une conscience, moi. Allez laisse moi je te dis, et je ne suis pas un jeu, c’est clair !
Je me tourne sur le flanc, cette espèce de sciure me fait éternuer.
En même temps il me semble qu’on prend soin de nous, jamais de secousse pendant le transport lorsqu’on est hissé de la cale.Tu m’étonnes, c’est pas l’respect ça ?
Bon ça c’était avant, c’était le bon temps ! L’équipage prenait le temps de se parler, de se connaître, de vivre ensemble.
Il y avait un vrai travail d’équipes. Je trouve que ces gros, énormes, éléphantesques bateaux, ont perdu leur âme. Je ne voudrais pas paraître vieux jeu et être dans le « c’était mieux avant » … C’était toujours les mêmes gars dans les rotations, ils se connaissaient tous. De l’humanité, oui c’est ça qu’il y avait entre eux.
Eux, les marins exercent juste leur boulot. Ce ne sont pas eux les marchands ni les trafiquants d’armes. Mais vous saviez que des armes se cachaient parmi nous ?
On nous cache tout. On nous dit rien. Parfois mieux vaut ne pas tout savoir.

Stéphane.


Dans la boîte, dernière étape, dans quelques heures je vais quitter la fabrique et j’ai le coeur gros, je vais laisser ma petite mère, celle qui m’a donné la vie, elle a choisi ma fourrure, l’a découpée avec soin en suivant un patron, a rassemblé les morceaux, elle m’a cousu avec tant de douceur, attentive à ce que chaque aiguillée soit légère et qu’elle ne me fasse point de mal, et pour que je soit bien détendu, elle me chantonnait une berceuse et puis, souvent elle me demandait mon avis, pour la feutrine qui allait garnir l’intérieur de mes pattes, si je la trouvais assez veloutée et aussi pour la grosseur de mon nez, bien sûr je ne parle pas mais elle sentait bien quand ça ne m’allait pas, la couleur de mes yeux par exemple, elle en avait choisi des bleus, ah non alors pas question, elle n’a pas insisté non plus sur les verts, j’en voulais des bruns caramel, un tout petit peu plus soutenu que ma fourrure, je sentais qu’elle n’était pas convaincue mais quand ils ont été cousus, elle m’a dit que j’avais eu raison, je le savais, ce sont mes yeux quand même ! Autre épisode épique de ma confection, au moment du rembourrage, entre parenthèses une ouate de polyester, très agréable à porter, ma petite mère a voulu me mettre une boîte à musique dans le ventre, alors là, je me suis tellement raidi qu’une partie de la ouate a volé, non mais ! je suis un ourson respectable moi, pas une espèce de ventriloque de cirque.
Sinon il y a une bonne ambiance dans l’atelier, surtout au moment des pauses quand la patronne amène le chocolat chaud avec des gâteaux, tout le monde chante, c’est très gai, il paraît que c’est son rôle à la dame du patron de veiller à la bonne humeur dans la fabrique.
Le moment que je redoutais est arrivé, c’est l’heure du départ, on est tous là sur le traîneau, c’est magique, les rennes ont fière allure avec leurs bois majestueux, la dame embrasse tendrement son mari, il est magnifique tout de rouge vêtu, avec sa barbe blanche qui flotte au vent, un claquement de fouet, c’est le signal, on s’élance dans les airs, une foule de lutins et lutines, tous habillés de verts, nous font de grands signes d’adieux, est-ce ma petite mère qui agite là-bas un mouchoir rouge ? La nuit est éclairée de milliers d’étoiles, c’est un long voyage qui commence,
je trouve qu’il fait un peu frisquet, mais pour la Laponie, un 24 décembre, c’est plutôt naturel.

Roselyne