Atelier du 27 mars

lundi 5 avril 2021, par Caroline Lanos

Consigne proposée par Geneviève

« Des traces du corps
Au
Corps-trace »
 
 
1- Lister brièvement tout ce qui peut faire trace sur le corps (éléments héréditaires, temps qui passe, etc…).
 
2- Rédiger un texte à la 3ème personne ou en attribuant une identité au personnage.
  Situation : Le personnage croise accidentellement son image dans un miroir où il se voit en pied (salle de bain, cabine d’essayage…). Il s’adresse à cette image en s’attachant aux traces du corps, indices permettant d’en savoir un peu plus sur lui.

 
3- Nous sommes en 3021, lors des fouilles avant l’implantation d’un cinquième centre spatial français, le corps de votre personnage est retrouvé. Près de lui, des objets, des indices multiples permettront aux scientifiques de résoudre des interrogations sur le mode de vie de 2021.


TEXTES

Chez Blue Box

Il est entré là pour s’acheter quelques vêtements neufs, printaniers. Il fait si beau dehors en cette fin de mois de mars. Il a envie de respirer, de sortir de la coquille infernale dans laquelle, depuis plus d’un an, une pandémie le broie.
Alors, il erre, d’un rayon à l’autre, hésitant, touchant les tissus, choisissant des tailles parmi les chemises et les pantalons. Finalement, il opte pour une chemisette Liberty , un pantalon rose fuschia, des baskets noirs aux lacets verts.
Il se dirige vers la cabine d’essayage et tombe nez à nez avec lui-même dans le miroir qui se trouve planté là. Impossible d’échapper à l’homme qui s’impose à lui et dont il reçoit l’image, tel un coup de poing, en plein visage.
Quelque chose ne va pas entre lui et lui. Un décalage entre l’étranger du miroir qui le regarde et lui, qui regarde cet autre lui comme un étranger.
Il n’a pas remarqué avant, combien ses cheveux tirent sur le gris, s’éclaircissent sur le haut de son crâne. Il n’a pas remarqué avant les « pattes d ‘oie » aux coins de ses yeux, ni les quelques poils qui dépassent de son nez. Il n’a pas remarqué avant, l’épaississement de ses mains, celui de sa taille, le gonflement de son ventre et cette peau qui s’affaisse le long de son cou. Il n’a pas remarqué avant ses épaules tombantes et ce grain de beauté proéminent sur sa joue gauche. Tout cela éclate sur le miroir du magasin. Certes la chute de l’été dernier, n’a rien arrangé. Ce clou qu’il transporte dans son fémur droit, il a du mal à l’accepter. Il a bien senti le coup de mou qui a suivi l’opération mais pas bien réalisé les conséquences.
Il en vient à se demander ce qu’il fait-là, les bras chargés de vêtements pas faits pour lui, plus faits pour lui. Une métamorphose en évidence, en gros plan, bien éclairée par deux spots qui diffusent une lumière falote bleutée. Elle accentue les dégâts de l‘âge qu’il porte sur ses épaules comme un fardeau. Il se sent gêné, mal à l’aise, stupide, devant ce corps avachi, blessé, qui ne ressemble plus à rien.
Allez range ces frusques qui te rendraient grotesque . Prends-le en compte ton
demi-siècle et ses poussières, se dit-il.
Miroir ! Mon beau miroir ! Ne connaît pas le mensonge. Symbole de la vérité !

C’est au moment où il s’apprête à remettre les vêtements choisis à leur place que l’explosion a lieu...

3- En 3021 ; au cours de fouilles archéologiques on retrouve le corps du personnage ci-dessus.

L’ espace pulvérisé il y a 1000 ans est idéal pour l’implantation du cinquième centre spatial français. Avant les pelleteuses automatisées, une équipe d’archéologues enfermés dans des combinaisons de scaphandriers, creuse, fouille, truelles et pinceaux dans leurs mains gantées de pinces articulées.
Ils trouvent des cadavres. Plusieurs. Entassés. Enfouis sous des monceaux de tissus en lambeaux.
Là, un squelette particulier. Autour de lui, des débris métalliques de tôles, des bouts de miroirs, des fils électriques de couleurs, des tissus assez bien conservés qui semblent fleuris, des lanières déchiquetées d’une matière étrange molle et noire, plus jamais utilisée. Trop polluante.
Encore, autour de cette momie qui semble masculine à cause de la longueur de ses pieds et de la largeur de ses épaules, de la largeur de sa mâchoire, encore, des tas de bouts chiffons de toutes sortes, des boutons, une petite machine plate et à touches qui portent une sorte de hiéroglyphes. Un bracelet de cuir est resté encastré dans le poignet gauche du squelette étonnamment momifiée et un anneau rond en or blanc enserre qui son annulaire gauche. Autant de signes étranges, pour le moment incompréhensibles aux chercheurs. Secte ou religion ? Le nombre de dents, bien conservées, les interpelle. Eux en possèdent moins, leur boite crânienne est plus petite que celle de cet homme fauché par une mort explosive accidentelle semble-t-il tant il y a de débris sur le site. Un clou en titane dans son fémur droit et deux vis racontent une chute ou un accident, peut être. Quelle chirurgie menait-on voilà un millénaire ? Aujourd’hui, les corps se régénèrent à force de molécules au collagène.
Un peu plus loin, décroché du bras droit, un cadran à aiguilles bloquées, assez sophistiqué, sur lequel on peut lire : Samedi 27 mars 2021, 15 h 54 .

Instinctivement, les archéologues émus restent, agenouillés et silencieux, devant ce corps-traces, des mieux conservés, qui tente de leur livrer une partie intime de son âme envolée voilà mille ans en plein après-midi.
De grosses larmes rondes et bleues s’échappent de leurs yeux rapprochés et roulent sur leur visages étroitement taillés.

Jacqueline


Texte : 1

Ben mon vieux t’as vraiment une sale gueule ! Quelle idée ils ont de mettre des miroirs en devanture de magasin. J’ai beau être de l’autre côté de la rue je vois bien que j’ai une allure à faire peur. Toute ma vie est là devant moi. Ma vie de boxeur avec mon nez cassé, ma cicatrice au sourcil ! Ma vie de taulard avec mes tatouages sur les bras et encore on ne peut pas tous les voir ! Ma vie de menuisier avec ce doigt absent, cette amputation dont je ne peux pas oublier la douleur et le manque. Et le temps qui passe avec cette calvitie naissante et ces cheveux qui grisonnent. Il y a aussi ce grain de beauté ( quelle drôle d’idée d’appeler ça « de beauté » !), le même que ma mère au même endroit à côté su nez. Il m’en a valu des moqueries celui-là ! « T’ as un poireau qui pousse sur ton nez » qu’ils disaient mes p’tits camarades à l’école ! Il y a aussi tous les coups reçus de mon père qui ne se voient pas mais dont mon corps se souvient. Oui une sale gueule qui a pas mal vécu. Passons, allons voir plus loin.

Texte : 2

Incroyable ! L’équipe de fouille vient de mettre à jour ce qu’on appelait un cercueil. Il devait y avoir ce qu’on nommait autrefois un cimetière à cet endroit. On en avait déjà trouvé d’autres mais ils étaient en si mauvais état, juste quelques planches pourries, que nous n’avions pas compris ce que c’était. Celui-ci nous a donné l’explication. Et le plus extraordinaire c’est qu’à l’intérieur on a eu la surprise de trouver un corps ! Analyses faites il date du XXIe siècle ! Vieux de mille ans notre bonhomme ! Car ce n’est pas un squelette comme on pouvait s’y attendre mais plutôt une momie. Nous nous demandons comment cela a pu se faire car c’est une momification apparemment naturelle. On peut même avoir une idée des vêtements qu’il portait. On a retrouvé des fibres de coton qui devait être teintes en bleu pour le pantalon. Il devait être impressionnant cet homme. Un visage au nez déformé, un homme qui avait dû se battre, peut-être un soldat car il avait eu des fractures au bras, aux côtes mais les os s’étaient ressoudés longtemps avant sa mort. On n’a pas réussi à déchiffrer les tatouages qu’il avait sur tout le corps. C’est bien dommage cela nous aurait appris pas mal de choses sur lui. Mais on a retrouvé une montre à aiguille un vrai trésor même si nous n’avons pas pu la faire remarcher. Il devait avoir un naevus mélanocytaire au coin du nez et des lentigos séniles sur les mains. Il est donc mort à un certain âge mais nous avons été étonné qu’à cette époque on n’ait pas fait disparaître ces choses-là. Cela devait pourtant s’opérer mais peut-être n’était-ce pas à la portée de tout le monde. Il lui manquait aussi un auriculaire à la main droite. Autre étonnement de notre part. Pourquoi ne pas lui en avoir greffé un nouveau ou adapté une prothèse ? Pareil pour le nez, pourquoi l’avoir laissé dans cet état il devait avoir des problèmes pour bien respirer. Nous pensions le XXIe siècle bien plus avancé que ça en pratiques chirurgicales.

Françoise


Reflet

Dis donc, t’aurais pas encore pris du ventre ? Il va vraiment falloir renoncer au maillot deux pièces cette année, même peut-être renoncer au maillot tout court, non il ne faut pas exagérer quand même, la lumière dans cette cabine est horrible et ne t’avantage pas, ça c’est sûr. Ne t’approche pas trop du miroir et ne remets pas tes lunettes, ainsi les rides de ton visage vont rester dans un léger flou, sans doute pas artistique mais bienvenu et puis lève les bras, bien tendus vers le ciel, on ne voit pas qu’ils plissent, et le ventre bien rentré, les fesses contractées, eh bien voilà, c’est pas trop mal comme ça, d’accord il faut respirer aussi et tout se relâche, maintenant c’est moins bien, c’est sûr ! Alors fermer les yeux ? Non je plaisante, un conseil regarde tes seins, eux, ils se portent encore bien, allez hop, prends ce maillot bleu turquoise de la même couleur que tes yeux, pas la peine de s’attarder, tu sais que les cabines d’essayage sont nos ennemies, alors sors, la tête droite et souris.

3021

Le cosmonaute se pose doucement à côté du squelette, il retire sa ceinture de propulsion et jette un coup d’œil sur les ruines qui l’entourent, le soleil tape dur sur ce qui fut autrefois une cité, les ossements ont été trouvés dans des douves aujourd’hui complètement asséchées, dévorées par une végétation luxuriante, ici et là des tours effondrées, des traces de remparts, des canons à moitié enterrés.
Le cosmonaute se penche sur ce qui fut un corps, il passe ses mains au dessus pour le scanner et une voix désincarnée lui murmure à l’oreille le résultat de l’examen : sexe féminin, âge entre 50 et 60 ans, petite taille (1,60m) mais pas inhabituelle pour l’époque, crâne garni de ce qu’on appelait jadis des cheveux. Le cosmonaute se souvient d’une étude sur ces lointains ancêtres et le culte qu’ils portaient à leurs crinières qu’ils coupaient, tressaient, coloraient, ornaient d’objets et même tondaient, pour cela ils utilisaient de curieux instruments désormais inutiles.
L’examen continue, des lambeaux d’un tissu de couleur bleu turquoise recouvre partiellement le squelette, à l’annulaire gauche un anneau brille, il s’agit d’une alliance murmure la voix, c’est-à-dire une bague que deux personnes échangeaient lors d’une cérémonie de mariage. Ce binôme dénommé aussi couple vivait ensemble, partageait le quotidien, procréait et formait des familles. Le cosmonaute se rappelle avoir entendu parler d’un concept étrange relié à ce désir d’union, il était nommé « amour » mais n’avait pu être expliqué, cela restait complètement hermétique à sa civilisation. L’homme à la combinaison se redresse, son regard erre sur le champ de ruines qui l’entoure, il songe à ces temps très anciens ou des femmes et des hommes éprouvaient des sentiments perdus aujourd’hui et il se demande si le processus d’évolution de sa propre civilisation n’a pas oublié quelque chose de précieux et s’ils ne sont plus désormais que des mécaniques.

Roselyne