Atelier du 27 février

mardi 9 mars 2021, par Caroline Lanos

Consigne proposée par Stéphane et Antoinette

1) Petit échauffement oulipien à la manière de « Je me souviens… » de Pérec : ici une avalanche de questions... qui n’ont pas besoin de réponse.

On peut écrire autant de questions que l’on veut pour chaque proposition et, pourquoi pas, en imaginer d’autres.

Je me demande si…

Je me demande en quoi…

Je me demande pourquoi...

Je me demande comment…

Je me demande combien...

Je me demande où…

Je me demande quel, quelle, quels, quelles...

2) On reprend la question des traces, avec deux textes :

• D’abord un texte assez rapide, à nouveau sous forme de liste :
On cherche des traces de la vie d’avant le Covid, des choses qu’on a perdues, qui ont disparu ou se sont modifiées, en laissant des marques de leur existence passée.
• Ensuite un texte plus développé :
On choisit une de ces pertes - par exemple les cafés, salons de thé, restaurants – et on rédige le flux de pensées d’un personnage-narrateur qui mêle au hasard ses souvenirs, la frustration qu’il éprouve, et l’attente, l’espoir, la projection dans un temps à venir où la trace fera place à une réalité retrouvée.
N.B. S’efforcer d’individualiser les choses, d’être dans l’évocation précise d’un être particulier et de la manière personnelle dont il vivait l’élément de sa vie qu’on a retenu.


TEXTES

1)Je me demande si la terre tourne rond
Je me demande en quoi c’est important de se poser autant de questions
Je me demande pourquoi le monde est fou
Je me demande comment on peut changer le monde
Je me demande combien de temps cela va prendre
Je me demande où allons-nous
Je me demande quelle est la raison de tout ça

2) Le café ou le thé en terrasse
les rendez-vous avec les amis au restaurant
les bises sur les joues des amis
la reconnaissance des gens au loin
les devantures fermées

3) Il est là debout au milieu de la salle, immobile, les bras ballants, ne sachant quoi faire. 45 ans ses cheveux bruns qui commencent à se clairsemer et à grisonner sur les tempes, sa silhouette qui s’est épaissie au fil des ans derrière le bar.

Quoi faire ? Pourquoi suis-je descendu ce matin ? Sans doute pour être certain de ne pas avoir rêvé, les mois passent, ça fait combien de temps maintenant ? Bientôt UN an !! Je n’arrive toujours pas à y croire ! Un métier sûr, sans craindre le chômage me disait mon père. S’il voyait ça le pauvre il serait comme moi, abasourdi. Quand cela va-t-il s’arrêter ? Le jour de la ré-ouverture ça va être la folie, les gens vont se précipiter on va se bousculer devant le comptoir. Il faudra que je demande de l’aide à Pierrot et à Josette pour le service ! Mais vais-je pouvoir ré-ouvrir ? Je suis sûr que Paul sera le premier à pousser la porte... Je ne reverrai pas Charles ça s’est sûr, le Covid l’a pris le pauvre, plus de petit noir avant de commencer sa tournée, va me manquer.
Vais-je pouvoir ré-ouvrir ? Les factures tombent toujours, c’est bien beau les aides mais ça nourrit pas. L’autre jour j’ai pas reconnu le boucher dans la rue, avec le masque on ne sait plus qui on croise, faut dire qu’il était presque 18 heures et tout le monde se dépêchait de rentrer chez soi. Il faut que je nettoie quand même les tables, un coup sur le bar. Je vais me faire un café faut pas perdre la main !! De la poussière sur le bar, jamais vu ça ! Même le goût du café c’est pas le même qu’avant ! Et les enfants : Pierre au chômage technique et Amandine toute la journée avec le masque et les enfants de sa classe aussi. Quelle foutue époque ! Où va-t-on comme ça ? Ça va durer encore longtemps ? Bon, je suis pas le seul, c’est partout pareil. J’aurai peut-être du faire boulanger, j’y ai penser un moment ; eux y peuvent continuer à travailler. J’aurai pas du écouter mon père. Mais à cette époque avoir un café à Paris c’était bien, ça rapportait, il en était fier mon père lui fils de paysan qui venait du fin fond de sa Bretagne. Faut que je puisse rouvrir, revoir les habitués, la prof qui corrige ses copies devant son café, le vieux et son éternel bouquin, et l’autre qui parle tout seul, les p’tits jeunes au fond de la salle dans les fauteuils qui se bécotent devant leur Coca. Ils me manquent tous. Vont-ils revenir ? Le pire c’est le silence, j’aime le brouhaha des conversations. Ça c’est la vie.
Bon, allez bouge-toi, fais au moins un peu de ménage. S’ils décident des réouvertures la semaine prochaine , on ne sait jamais , faut être prêt.

Françoise


Je me demande si le soleil va briller aujourd’hui autant qu’ hier
Je me demande si je vais guérir de cette maudite douleur
Je me demande si on reprendra les ateliers d’écriture en « présenciel »

Je me demande en quoi le Cloud est si enrichissant
Je me demande en quoi consiste la foi
Je me demande en quoi le monde va se transformer

Je me demande pourquoi ce sont toujours les femmes qui souffrent
Je me demande pourquoi tu me poses toujours la même question
Je me demande pourquoi je me pose tant de questions

Je me demande comment on a fait pour en arriver là
Je me demande comment elle peut tricoter aussi bien
Je me demande comment sera ma vie demain

Je demande combien de personnes viendront à ce mariage
Je me demande combien de temps il me reste à vivre
Je me demande combien de questions je vais encore me poser comme ça

Je me demande où je suis parfois et qui je suis
Je me demande où je vais retrouver ce poème qui me trotte dans la tête
Je me demande où j’ai mis mes gants

Je me demande quel secret il garde tant il est taiseux
Je me demande quelle robe je vais mettre ce matin alors qu’il fait beau
Je me demande quels gâteaux je ferai dimanche prochain pour changer des tartes aux pommes
Je me demande quelles lectures pourraient bien l’intéresser en dehors de l’Equipe

LES TRACES

Traces de la vie avant le covid

les visites et les tea-parties avec les copines - le cinéma du dimanche à 17h - les répétitions de chorale du mardi - les embrassades des petits enfants - les visages découverts que parfois on a oublié - on ne reconnaît pas toujours les yeux - hésitation - les théâtres fermés - les rediffusion à la télé - on ne peut pas applaudir un écran - la peur en faisant les courses - on ne peut plus dire demain et le temps d’avant se décompose - comment sera le temps d’après ? - la Grande Librairie du Café de Paris et le goût du Jurançon - le p’tit carnet de Catherine - on fait tout en « distanciel » ce qui tue la chaleur humaine - les crêperies - les pizzas chez Alfio avec le goût du Spritz - les concerts du mois de décembre….

Dans la salle des répétitions

Chante ! Chante !
Chante ! Avec tout ton coeur ! Avec tout ton corps !
Respire ! Respire !
Il s’est assis devant le Clavinova comme si il attendait la pianiste, parfois en retard parce qu’elle vient d’Avranches, comme si la salle était pleine de choristes, comme si les partitions de la Messe en C de Beethoven étaient ouvertes sur les difficultés repérées qu’il fallait travailler avant la répétition avec l’orchestre, comme si il ne s’était rien passé depuis un an.
Il la voyait la p’tite M qui bavardait avec la voisine, et Madame G qu’il fallait aussi faire taire entre deux reprises, il le voyait le ténor si charmant qui ne savait jamais où on en était dans les mesures.

On reprend p. 24, mesure 241, les ténors ! On recommence !

Chante ! Chante !
Chante ! Avec tout ton corps. Avec tout ton coeur.
Respire ! Respire !
Marquez les respirations sur vos cahiers. Il dit cahier. Cahier de musique.
Regardez ma main et suivez mon tempo.
La poésie de Beethoven vous devez l’entendre dans votre en-dedans avant de la restituer avec vos voix. Les couleurs vous devez les voir dans votre en-dedans en regardant les portées.
Il est en plein dans la répétition. Il oublie que la salle est vide, que les pupitres et les chaises jouent au jeu figé des statues. Il oublie que tout est en attente depuis un an. Il oublie aussi jusqu’à quand il lui faudra attendre.
Les quatre voix tressent cet art de l’instant avec les croches, les doubles croches, les silences. Il pense à Mozart « dans la musique, ce sont les silences qui sont les plus importants » et tout aussitôt à son prof qui assurait lui que, dans un morceau, les notes les plus sensibles sont la première et la dernière… Les autres !!! C’était quand l’école de musique ne portait pas le nom de conservatoire et que les cours se donnaient en bas de la Bibliothèque municipale.
La frustration se réveille alors qu’il plaque un accord sur le piano électrique qui n’est pas branché. Cette chorale d’amateurs lui manque énormément. Elle est ouverte à tout le monde. Pas d’audition. Pas de sélection. C‘est sa philosophie, sa science, son art. Dans amateur, il y a « aimer ». Alors, il règle les choses pour que tout soit parfait tant dans la mélodie que dans la mesure et que tous les choristes y trouvent leur compte.
Sa vie est là dans cette salle où les murs décorés d’affiches encadrées de noir racontent depuis quarante ans, en sage ligne du temps, tous les concerts qu’il a dirigés, lui l’autodidacte de la direction.
Il feuillette son conducteur qu’il lit verticalement, tel un livre de prières. Le referme sur son pupitre. Beethoven n’aura pas reçu d’hommage pour le 250ème anniversaire de sa mort.
Il prie pour qu’un premier dimanche de décembre prochain, il enfile « son habit de lumière », sorte de son étui sa baguette vivante chargée de sens et dirige cette Messe si belle, dans les six parties d’une messe ordinaire, composée par un des plus grands musiciens au monde, sur commande, et si décriée en 1807 parce qu’elle annonçait la musique romantique.
Attendre. Espérer. La musique lui a tant donné. Elle survivra par lui pour l’éternité, âme d’une fête et souffle de liberté.

Jacqueline


Je me demande si le jardinier va revenir et si le printemps sera beau
Je me demande quel jour passe réellement le facteur, ou s’il ignore ma rue
Je me demande en quoi l’écriture peut (nous) me sauver
Je me demande comment se porte un chapeau élégamment
Je me demande comment marchent ces jeunes femmes perchées sur quinze centimètres de talon à la semelle rouge, sans se vriller le dos
Je me demande pourquoi la neige est blanche et le mimosa si jaune
Je me demande comment nettoyer la tache mauve sur ma nappe
Je me demande comment raccrocher tous les wagons
Je me demande où est passé le bon sens humain
Je me demande quel jour tombe le 15 avril cette année
Je me demande à quelle date tombera le prochain déménagement des enfants. A Montréal la date est annuelle et pour tout le monde fixée au 1er juillet, enfin je crois.

Flux de pensée et plongée dans les traces de la vie d’avant.

J’ai regardé avec émotion le maillot à la couleur passée. Il a perdu la teinte des jours d’insouciance. J’ai remisé le sac de piscine tout en haut de l’étagère. Je l’ai remonté d’un cran à chaque annonce. Sera-t-il encore à ma taille ? L’ensemble des Français dit avoir pris du poids tout au long du confinement, il a bien fallu s’occuper, retourner à la cuisine, faire avec. Au début on s’était dit c’est l’affaire de quelques semaines.
Les microbes seront chassés avec les beaux jours, l’été venant. On pense et on a l’impression que tous les problèmes seront réglés. Que certains savent et vont forcément nous sauver. On sait que la recherche ne cesse jamais. Des petits rats de laboratoire oeuvrent sans relâche, pendant que passifs nous n’avons même pas un bassin où plonger !
J’ai l’odeur du chlore qui me revient. La douceur d’une peau après la douche. Le contact de l’eau qui lisse avec le gel moussant. Je pense aux personnes frappées d’anosmie avec ce satané Covid19. Je confonds ce terme avec agnosie...et ça n’a rien à voir, évidemment ! Ce sera plus tard lorsque Alzheimer m’aura visitée !
La personne ayant perdu l’odorat pourra-t-elle re-sentir un jour, cette fameuse odeur de piscine si particulière qui picote les narines ?
Me revient en mémoire l’épisode de la fermeture entre midi et deux. J’ai vingt-cinq ans. Pour me délasser des nuits de veille à l’hôpital, j’aimais enchaîner les longueurs, bonnet lunettes vissés sur la tête, sans voir le monde, ni penser à rien, me vider la tête et chasser les ondes poisseuses de la folie. François le maître-nageur, savait aussi chanter et jouer de la guitare, aux heures de fermeture au public.
Tantôt spectatrice tantôt actrice de ma vie. L’eau est là, l’eau me délasse et m’aide à quitter la mélasse dans ce monde où les idées surgissent, m’agacent.
Je ferme les yeux. Et je me fais mon cinéma. « L’effet aquatique » de Solveig Anspach. Film si joli et poétique ! Envie de le revoir, il passe encore sur Arte.
Je me rappelle Lulu, femme nue. Et Hauts les cœurs, de cette même réalisatrice talentueuse décédée bien trop jeune d’un cancer. Je me dis que c’est toujours trop jeune trop moche de mourir de cancer entre quarante et soixante ans. Mourir tout court, c’est indécent à cet âge-là.
Je me dis que je vais rouvrir mes yeux comme les piscines qui rouvriront, dans quelques mois ? En 2022 ? Quand ? Ne pas perdre de vue nos rêves.
Quand je pense piscine, je pense liberté, et premier baiser à la piscine Keller, un nom qui fait penser ciné, non ? . Piscine rime souvent avec poésie dans ma légende personnelle. Et puis comme tout passe, c’est la légèreté d’un corps qui s’alourdit à mesure qu’il prend de l’âge. J’ai mal dans mon corps qui mange désormais des hormones et rêve de mage en marge maritime...
Devrais-je investir dans une combinaison Otarie pour me baigner en mer ?
On y flotte le sel aidant, dans la mer, c’est quand même mieux, et pourtant c’est bien le froid, qui me retient à la baignade !
Je rêve de thalasso et qu’on en finisse avec ce couvre-feu ! Je me dis que c’est quand sacrément ballot d’avoir gagné la semaine précédant le confinement, par tirage au sort, un abonnement AquaFitness avec le journal du 12 mars 2020 « La Chronique Républicaine et Fougères agglo » !
Je suis en dehors, recroquevillée à côté du bassin et plongée en eaux troubles. J’attends. J’attends l’ouverture de la piscine, des cinés, des restaurants, et d’un peu de la vie d’avant, des baisers et des câlins de mes enfants et aussi de mes amies.
Pour dire je serai vaccinée avant l’été. De quelle année ?

Stéphane.


Il fait beau en ce début d’après-midi, le ciel est d’un bleu limpide, juste quelques petits nuages moutonneux qui se promènent ça et là. C’est un temps à sortir, faire une balade, bien habillée car il fait quand même un peu frais, normal, on est seulement fin février, mettre le bonnet dans la poche, c’est plus prudent et hop c’est parti, il y a quelques mois, mes pas m’auraient emmenée au cinéma, c’était bien le cinéma l’après-midi en semaine, jamais la foule, pas de queue pour prendre son ticket, souvent les mêmes têtes, les habitués, parfois même une connaissance, on se saluait, on pouvait se faire la bise, on se parlait, pas de distance de sécurité à respecter alors, on échangeait quelques mots sur les films, ceux qu’on avait vus, aimés ou pas, sur les nouveautés à l’affiche, pas comme maintenant, dans les journaux les pages ciné sont désespérément vides, quel est le dernier film que j’ai
vu ? Peut-être celui avec un âne et une instit qui courait désespérément après son amant, c’était drôle, tendre aussi avec de beaux paysages qui m’avaient donné envie d’aller faire un tour là-bas, les Cévennes je crois, plus tard peut-être quand on pourra de nouveau voyager. En attendant, tout est plutôt calme en ville, les badauds flânent comme moi, avec les masques on se croirait dans un film catastrophe, ahah ! voici le cinéma, et si je frappais à la porte, ouvrez-moi s’il vous plaît, je veux entrer, juste pour voir que vous êtes toujours là, à nous attendre, prêt à redémarrer et aussi pour sentir l’odeur sucrée du pop-corn un peu écoeurant c’est vrai mais tellement bon et pendant une séance j’aimerais encore m’agacer du bruit de ceux qui l’avalent par poignée, là, maintenant j’aimerais moi aussi en avoir plein la bouche « scratch scratch », ou bien du chocolat comme autrefois avec mes parents, ils achetaient une tablette
« Chocoletti » pralinée, chacun prenait un carré, le chocolat fondait dans la bouche et les petits morceaux de noisette restaient sur la langue, quel plaisir ! On savourait ! C’était pendant l’entracte, on pouvait sortir se dégourdir les jambes avant le film principal, les ouvreuses avaient des panières en osier autour du cou et des lampes de poche, repenser à ça me donne un sacré coup de vieux... En attendant pas de cinéma, mais dès que ça rouvrira, tous les jours j’irai et aussi au théâtre, au concert, au musée, tant de plaisir à redécouvrir, bientôt...

Roselyne