Atelier du 19 novembre

samedi 21 novembre 2020, par Caroline Lanos

Consigne d’Antoinette

Amusons-nous avec le paradoxe énoncé par Blaise Cendrars (Du monde entier, 1919) :
« Quand on voyage on devrait fermer les yeux ».

Chalut quittant le port

Vous êtes en voyage, et aujourd’hui vous êtes là, juste là où cette photo est prise, avec ou sans zoom, selon le champ que vous voulez vous donner pour votre récit.
Car vous allez raconter ce moment et le décrire, mais sans les yeux. C’est la seule restriction, il vous reste vos autres sens, vos émotions, vos pensées… et puis où, quand, comment, pourquoi, avec qui… ?


TEXTES

D’abord il y a les cris des goélands : Forts ceux des oiseaux les plus près, ténus ceux des volatiles les plus éloignés. Ensuite viennent les odeurs : océanes, iodées, vaseuses, celles des poissons dont les caisses viennent d’être débarquées. Puis il y a tous les bruits d’un port : Le pop-pop régulier d’un bateau de pêche qui part au large, celui des haubans qui vibrent en sifflant au vent, celui des bouées qui cognent contre le quai au rythme des vaguelettes qui viennent y mourir. Les paroles des hommes qui s’interpellent du pont d’un bateau au quai pour se donner des nouvelles de la mer. Un chien aboie heureux peut-être de retrouver son maître.
Tous ces sons emplissent mes oreilles car en arrivant j’ai fermé les yeux pour m’imprégner du lieu. Je vais rester là quelques jours dans un petit hôtel qui donne sur le port. Quelques jours de vacances , d’isolement avec moi-même, loin de mon quotidien. Tous ces sons, ses odeurs vont m’accompagner, m’emmener ailleurs, me faire rêver, me faire oublier la ville d’où je viens et les événements qui s’y sont déroulés. Respirer à fond, écouter les goélands et m’imaginer que l’un d’eux s’appelle Jonathan. Partir en mer pour me sentir libre et aventureuse sur le pont d’un bateau.

Françoise


J’aurais bien aimé partir moi aussi plutôt que de rester assise sur ce banc mais bon c’est comme ça, pas possible aujourd’hui, un autre jour bien sûr, oui mais quand ? En attendant j’ai les fesses gelées, moi, sur ce vieux banc, ses écailles de peinture accrochent mon jean, quand je vais me lever, j’aurais intérêt à bien me frotter le derrière, qu’est-ce qu’ils crient les oiseaux ce matin, mouettes ou goélands, ça piaille, ça stridule, c’est aigu, je n’entends presque pas le bruit des moteurs, par contre l’odeur de gasoil, écoeurante, j’en ai plein les narines, ah ah, le bon air marin, iodé, vivifiant, tu parles ! Ouh là là, quelqu’un vient de s’asseoir à côté de moi, le banc à craqué et j’ai senti une vibration, il doit être costaud et porter un ciré, ça crisse fort et je respire un remugle de tabac froid, de transpiration et de poissonnerie.
- Alors, la petite dame, on prend le frais ?
Je me contente d’un vague sourire, il se racle la gorge et se mouche bruyamment.
- Pas causante, hein ?
Il se lève en maugréant et est aussitôt remplacé par un animal à l’haleine brûlante qui me renifle avidement
- Ne craignez rien, il n’est pas méchant !
Oui oui, on dit toujours ça, mais parfois ils mordent aussi, les chiens, et il ne devrait pas être en laisse celui-là ? C’est un lieu public ici. Je me recroqueville, je sens la langue râpeuse de la bête sur mes mains, je les ramasse sous ma parka
- Vous, vous n’aimez pas les animaux !
La voix, d’amicale est devenue accusatrice et sèche
- Allez, viens mon bébé, n’insiste pas.
La femme s’éloigne emmenant son clébard, je peux de nouveau respirer, c’est vrai je n’aime pas trop ce qui a quatre pattes, plus exactement je m’en méfie, un traumatisme de mon enfance et puis elle exagère cette femme, il y a des animaux que j’aime bien, Bambi par exemple et puis j’apprécie aussi les documentaires animaliers à la télé !
- Dis maman, pourquoi elle a les yeux fermés la dame sur le banc ?
- T’approches pas, mon petit cœur, elle est peut-être saoule ou droguée, allons-nous en. Et voilà sous prétexte que je suis les yeux fermés, sur un banc, tôt un matin, on me qualifie de pochetronne, sympa ! Si le « petit cœur » à sa maman m’avait posé la question, je lui aurais dit ce que je faisais là, assise sur mon banc, les yeux fermés :
- J’écris, mon petit bonhomme, j’écris !
- Les yeux fermés ? Se serait-il exclamé quelque peu surpris
- Dans ma tête, j’écris dans ma tête !
Et il se serait éloigné ravi de cette explication, ah les enfants !
En attendant, j’en ai marre de me faire agresser, assise là, sur ce vieux banc alors je vais les ouvrir mes yeux, un deux, trois, oh, c’est beau !!!

Roselyne


Je trébuche contre un empilements de caisses en plastic vertes et blanches remplies de poissons. J’avance sur un ponton flottant et le parfum de iodé de la mer m’enveloppe toute entière . Le cri des mouettes grises et de goélands gourmands qui attendent en tournoyant qu’on leur jette en pâture les entrailles de la pêche me font penser que je me trouve sur un des pontons qui portent les bites d’amarrage. Les bouts y sont-ils accrochés ?
Des chalutiers aux chaluts arrière béants manoeuvrent pour se garer le long du quai. Le ronronnement des moteurs couvrent les voix des marins qui s’interpellent d’un bateau à l’autre pour savoir si la pêche a été bonne, la mer pas trop grosse, les vents calmes au portant. Il fait beau, le ciel est bien bleu. Les parfums de poisson frais arrivent jusqu’à moi . Celui de la glace qui les conserve aussi. Un chien blanc et noir semble attendre son maître. Il s’est avancé jusque sur une jetée. Le métier de marin-pêcheurs à toujours fait mon admiration et je prends plaisir à me balader les yeux fermés dan l’ambiance de cette arrivée inattendue.
Il revient à ma mémoire des passage de Pêcheurs d’Islande de Pierre Loti : « Et toujours et toujours, les morues vives se faisaient prendre. C’était rapide et incessant, cette pêche silencieuse. L’autre éventrait, avec son grand couteau, aplatissait, salait, comptait et la saumure qui devait faire leur fortune au retour s’empilait derrière eux, toute ruisselante et fraîche. »
Je ne sais pourquoi ce passage du roman que j’avais tant aimé me revient d’un coup par coeur. Je repense à ces hommes de Paimpol sur la Marie qui n’ont jamais vu un été breton.
L’équipement des bateaux à changé certes, les antennes aperçues le prouvent mais la mer calme, bleue ou verte dans le port n’est pas celle des grandes régions du Canada navigué par des navires de planches . Cette pêche là cachée à mon regard me semble pêche côtière.
Mon esprit s’égare à l’image de la forêts de mâts aperçus au loin sur la gauche. Port de plaisance peut être ?
Les flonflons de la Sainte Ouine à St Malo au mois de février 90 rendent hommage au départ des Terre Neuvas vers Saint Pierre et Miquelon qui pavoisent sur leur filin des drapeaux malouins, bretons français . « Ni Breton, ni Français, Malouin s suis » c’est la devise de ces hommes courageux qui au fond des cales préparent les Doris. Ils ne verront pas non plus un été breton , et parfois leurs femmes endeuillées s’avançaient sur le Môle des Noires, qui porte encore aujourd’hui, le nom de la couleur du deuil. Légende ?

Jacqueline


Les mouettes et les goélands attendent le retour des pêcheurs pour gagner leur godaille. Sur un ponton du port de Sète, mes yeux fatigués luttent pour ne pas se clore. En fermant les yeux, les étoiles s’allument, les sensations s’exhortent.
Le voyage de toute une vie défile. Je me suis demandée si c’était comme ça le jour où l’on meurt. Voit-on se dérouler des plans séquences, des actions, des gens qui passent, ceux qu’on a aimés et tous les autres, croisés un jour ? Je me demande si on se retrouve un jour ensemble ? A-t-on le temps de se voir mourir ?
A-t-on mal dans ce passage de vie à trépas ?
On a beau être ailleurs, notre cerveau voyage d’une idée à une autre, digressions incessantes qui fatiguent. Une idée en appelle une autre. C’est la main sur une épaule, sa chaleur qui ravigote. Les bruits ambiants comme une radio allumée font partis d’un décor. C’est le silence qui me réveillerait. Un chien joue avec son maitre, un habitué, un amoureux qui rêve d’ailleurs ou de retour au pays... Il n’y a que son rêve qui le maintienne et ses souvenirs l’aident à tenir debout.
Bruit de moteur, cris des goélands, odeurs d’huile et d’essence, rugosité du ponton, doigts asséchés par le sel.
Des instants qui pourraient s’éterniser comme une sieste à Sète en cet automne déglingué.

Stéphane.