Alexis, Alexis !

vendredi 14 septembre 2012, par Philippe Boulnois

(Récemment le grand pope russe Alexis, désormais mort, refusait encore de revenir sur l’excommunication de Tolstoï !
Intrigué par une acrimonie aussi perdurante (rappelons que Tolstoï est mort en 1910) j’ai interrogé mon petit doigt — si le votre ne vous renseigne pas efficacement vous êtes probablement victime d’une malfaçon (si courante de nos jours) —.
Ce que j’ai pu apprendre grâce à lui est consigné juste après, j’espère ne pas avoir commis trop d’erreurs dans la reception des données, la transmission ayant été d’une qualité relativement médiocre
).

Qui est là ?

Alexis, pope de toutes les Russies, revêtu de son costume popal, est sur une estrade popalement installé dans un siège aussi popal que l’habileté des artisans l’a permis. La popalitude va merveilleusement à Alexis.
L’autre, son serviteur, dont le nom importe peu, est en contrebas de l’estrade, un genou fléchi, l’air humble comme il sied, bien que n’étant pas assis.

Puis je, respectueusement, vous demander si votre décision s’est infléchie, sérénissime Alexis, mon Saint Maître ?
NON ! Pas d’un iota ! Il est hors de propos que je lève l’excommunication de ce Monsieur Léon T. Ce qu’il a dit, ce qu’il a écrit, ce qu’il a fait est trop grave, trop ignoble !
Mais il dit vouloir désormais la paix, Votre Excellence Bénie.
La paix ? Quelle arrogance ! N’est-ce pas lui qui a déclaré la guerre à toute la sainte Église de Russie avec ses ouvrages qui suintent à chaque phrase l’impiété, l’anarchie, le nihilisme ? Jamais, jamais son âme n’a exhalé un de ces parfums qui embaument la vie d’un homme de religion : l’ombre d’un remords, une trace de repentance, un soupir de désespoir, un léger vent de culpabilité. Non rien de rien ! Il ne regrette rien ! Ni le mal qu’il a fait ! Ni ses biens qu’il a distribués ! Tout cela lui est bien égal ! Merde il est exco, il reste exco !
Votre respectueuse infatuosité je me dois de vous apprendre qu’une lettre enflammée concernant son cas nous est parvenue ce matin !
La belle affaire ! Faites moi donc voir cela !
Hélas impossible, votre obséquieuse somptuosité, à peine avions-nous ouvert l’enveloppe que la lettre a disparu en fumée !
Mais, au moins, avez-vous réussi à savoir ce qu’elle disait ?
Certes oui, votre gâteuse bondieuserie, mais la tâche ne fut pas aisée, car, sa combustion terminée, il ne restait que des volutes spiralées et brûlantes. Sur les conseils de frère Kabouko, nous avons attendu que les Cendres retombent, car nous sommes mercredi. Notre patience fut récompensée quand nous vîmes sur le sol, tracé en lettres grises et blanches, le contenu de cette missive pyrotechnique !
Et comment pouvez-vous affirmer que ce que vous avez lu était bien le message originel ?
C’est une déduction raisonnable votre purulante splendeur, mais il faudra s’en contenter, car à l’instant où nous en terminions la lecture, un vent brouilla les Cendres et tout disparut !
Putain ! ça sent le souffre ! je n’aime pas ça, je n’aime pas ça du tout ! Bon alors ça disait quoi votre lettre incendiaire ?
He bien voilà votre bienheureuse fumisterie,
« Alexis, tu commences à me fatiguer avec ton entêtement de vieille mule… »
Ne vous en prenez pas à moi, votre racoleuse Sainteté, je ne fais que rapporter ce qui était écrit...
Soit, alors tachez d’aller au fait, plutôt que de vous complaire dans ces préliminaires insultants qui percolent une malsaine agressivité à mon égard !
« Alexis tu vas me re-communier vite fait ce Léon T. Depuis qu’il est arrivé ici, c’est la révolution, je dirais même la révolution permanente, il met le feu à mes administrés, mais le feu c’est moi bon diable ! Il a également commencé à organiser des groupes, ils les appellent ses âmes damnées, mais ce sont les miennes, que Dieu ! Et ne m’a-t-on pas rapporté qu’il avait entrepris dernièrement de constituer une armée, rouge comme le feu et le sang, pour porter le fer chez mon cousin du dessus. Mais où va-t-il chercher de telles idées nom de diable !
Soyons très trouble, Alexis, je n’ai aucune envie d’avoir, à nouveau, des histoires avec Lui, les débuts de cohabitation ont déjà été suffisamment pénibles. Avant nous avions nos mondes séparés, mais il Lui a pris l’idée de n’en faire qu’un. J’ai du m’y résoudre et faire insonoriser mon plafond pour qu’Il arrête de se plaindre à propos des cris des damnés que j’asticote ( à ce sujet, je tiens à faire remarquer que j’ai affaire à un fameux faux-cul, c’est Lui qui a donné des consignes à son acolyte, ce simplet de Saint-Pierre pour qu’il fasse un tri draconien des âmes à leur arrivée, moi je n’ai jamais réclamé tous ces gugusses qui, souvent, n’ont fait que profiter un peu de ce que la vie leur offrait).
Et puis discuter avec Lui est une plaie, Il est d’un chiant, pointilleux en dieu ; pour la moindre vétille il retire 3 points sur le permis de séjour paradisiaque, et son obsession des histoires de fesses c’est d’un vulgaire ! “Et pour un péché de chair, mon cher cousin cornu, mais commis sans le faire exprès, tu retirerais combien ? …”
Ah, mon cher Alexis, (tu permets que je te donne du « mon cher Alexis » car toi au moins tu mériteras ta place chez moi), tu ne peux pas savoir l’ennui qui ressort de ces réunions de copropriété ! Ah je porte ma croix, mon incrédulité !
Alors, tu vas m’absoudre ce M. Léon T. qu’il monte d’un étage mettre un peu le feu chez mon cousin, moi j’en ai ma claque ! »
Voilà c’est en gros ce que disait la lettre, votre patriarchie orthopédique !
Oui eh bien lettre ou pas lettre il peut toujours attendre cet ange cornu, moi je n’obéis qu’à Dieu !
Il y avait un post-scriptum votre pompieuserie récipiendaire
Et que disait cette anacoluthe finale ?
Sinon…
Sinon quoi ?
Sinon il promet de ... venir vous tirer les pieds ... la nuit
Oh non ! Pas les pieds ! Pas les pieds la nuit ! Après j’y ai froid et je ne me rendors plus. C’est bon je me rends, je vais absoudre ce monstre de Léon T.
Donnez moi son certificat que je le signe.
Il y a encore un problème, votre munificence ploutocratique, nous avons deux Léon T. sur le fichier d’excommunication.
Absolvons les deux, Dieu reconnaîtra le sien !