Atelier du 22 janvier 2022

lundi 31 janvier 2022, par Caroline Lanos

animé par Nicole/Geneviève

Thème du trimestre en lien avec "le printemps des Femmes et des Filles"
« ni vues, ni reconnues »

- Inventaire : Listez ces femmes ni vues, ni reconnues. (Ce peut être des femmes que vous avez côtoyées ou des femmes artistes, écrivaines, femmes politiques etc…) 10 mn

- Choisissez l’une d’entre elle (ou inventez un destin de femme ni vue ni reconnue) et écrivez un texte au présent. (45 mn)
Votre texte commencera par « Elle s’appelle » Et la dernière phrase comportera « ni vue, ni reconnue ».

- Acrostiche : INVISIBILITE

Ma grand-mère, ma mère, Mme Einstein, Camille Claudel, Clara Malraux, une aide-soignante, une infirmière, une femme de ménage, une épouse, les femmes d’artisan, les femmes d’agriculteur, Louise Michel, Mme Freud, Marie-Thérèse d’Autriche, une avorteuse, Rosa Park...

Adèle H

Elle s’appelle Adèle Louise Perrine Hubert. Pour moi, elle est Adèle H. Je me plais à la nommer ainsi. Ses initiales me font penser à la fille de Victor Hugo. Elle est née un 7 décembre 1878 à St Marc Le Blanc. Elle a trois sœurs et un frère. Ses parents sont des gueux ordinaires. Dans leur histoire simple, les enfants vont de l’église à l’école de la République, du bourg aux champs, des fenaisons aux moissons.
Alors à 12 ans, elle est « louée » ou bien « placée » Adèle H. Elle devient SERVANTE. Elle va de fermes en fermes, elle garde les vaches dans les prairies fleuries, dans les prairies gelées du Coglais, s’abrite du soleil, du froid, du vent sous les châtaigniers des talus. Elle ravaude les jupons de coton. Elle tricote, à quatre aiguilles, des bas de laine noire. Un œil sur ses mains, un œil sur les bêtes.
Elle est jolie, Adèle H, elle a la taille fine et relève ses tresses brunes sur le haut de sa tête, ça lui donne un air de noblesse. Le dimanche, elle met un sarrau propre et cire ses sabots pour aller à la messe.

Bénissez-moi moi mon Dieu parce que j’ai péché.

Elle ne dit rien Adèle H. Rien, jamais. Nourrie du parler Gallo, elle n’a pas les mots de la rébellion. Son destin est tracé comme un sillon de labour. Elle obéit au père et à la mère qui a peur du père et de Monsieur le Curé.

Bénissez-moi mon Père parce que j’ai péché

Saint Marc-le-Blanc c’est Saint Marc-le Bleu qui traîne ça depuis la Révolution. De l’autre côté de la rivière c’est Baillé-le-Blanc qui traîne ça aussi depuis la Révolution. De père en fils, les gars des deux villages se battent encore le dimanche après les vêpres, sans trop savoir pourquoi. Elle regarde Adèle H, elle joue, elle rit, elle danse, elle pleure, elle bat des mains pour le gars Isidore. Il est bien le plus fort. Il est bien le plus beau.
Un jour, elle marie le gars Isidore, le journalier qui trime aussi de fermes en fermes. Adèle H devient SERVANTE au château des Flégés. Elle a les mains gelées et crevassées à force de boursouler, vers le doué, le linge des nobles à laver.

Merci not’ bon Maître, Merci not’ Monsieur !
Bénissez-moi Mon Dieu parce que j’ai péché

Adèle H devient aussi SERVANTE du beau gars Isidore.
Isidore lit la Chronique. Isidore a fait la guerre, la Grande. Isidore et revenu, Isidore sonne les cloches à l’église de Baillé et gagne en notoriété. On l’appelle le Père ZI. Adèle H, la première en chemin, tous les matins, œuvre en silence, entre l’étable et la laiterie, le four à pain et la seule pièce sur terre battue, les trois lits de coin, la soue à cochons, le potager et l’herbe à couper pour les lapins et les quatre filles à bien élever. Elle devient la Mère Zi. On la fond dans son mari.
Un soir de 1943, elle tousse la Mère Zi. De ses poumons malades de la phtisie, le sang jaillit dans le mouchoir à carreaux bleu-gris. Une nuit de 1944, dans son lit de coin, près de la cheminée, elle se meurt la mère ZI. Dans le cimetière de Baillé sous la terre argileuse, on l’a enterrée. Sur une croix de bois blanc, on a écrit : Adèle Hubert 1878-1944. Il a fallu la mort pour qu’elle retrouve son nom, ma grand-mère.
On n’a pas mis SERVANTE. Ni vue, ni reconnue.

Importance
Noble
des Vies cachées
hIstoires
Souvent
Ignorées
Belle et
Insoupçonnées
volontairement oubLiées
rIchesses
éTouffées
simplEment quotidiennes

JM

Insignifiance
Non reconnaissance de tes mérites
Vie secrète, vie cachée
Incognito
Seras-tu ainsi ?
Insatisfait
Bouillonnant de colère
Insurgé
La vie devant toi
Incertain mais animé
Tu vas te réveiller
Et reconsidérer ton destin

Nicole

Elle s’appelle Marissa, tous les matins elle se lève à 6 h. D’abord, elle prend un petit temps pour elle pour manger et se préparer. Le reste de la journée sera dédié à ses proches. Elle s’occupe de ses cinq enfants dont le dernier qui a 4 mois. Elle les réveille, les aide à se laver, s’habiller et leur prépare leurs petits-déjeuners. On pourrait dire que c’est la vie « banale » d’une mère au foyer. Or, faire tout ce qu’elle fait n’est pas donné à tout le monde. Elle a un mari attentif, mais très pris par son travail. Il apporte de l’argent à la maison et elle, elle s’occupe de tout le reste : emmener les enfants à l’école, aller les chercher, les aider à faire leurs devoirs, faire les courses, leur acheter des vêtements etc.
Elle aime prendre soin de sa famille, mais ce qu’elle aimerait, c’est avoir plus de temps pour elle, du temps libre pour se poser, se divertir, voir des amies. Or, avec cinq enfants c’est très compliqué, surtout qu’après l’école il y a les activités culturelles, elle ne cesse de faire des allers et retour. Il n’y a qu’à 22 h qu’elle peut s’arrêter, mais c’est le moment pour elle d’aller dormir jusqu’à ce que son bébé la réveille.
Bien que la maison soit pleine, elle se sent seule. C’est elle le pilier de la famille, elle sait qu’elle n’a pas la possibilité de tomber malade ou de craquer, car ils comptent tous sur elle. Le pire dans tout cela c’est que chaque membre de sa famille considère que tout ce qu’elle fait est dans l’ordre des choses. Ils ne se gardent pas de lui demander des choses en plus de ce qu’elle fait habituellement. Son mari lui offre un aspirateur à Noël et un grille-pain pour son anniversaire. Son statut de mère est reconnu mais en tant que femme elle n’est ni vue, ni reconnue. En tout cas pour l’instant...

Laetitia