Atelier du 7 décembre

mardi 8 décembre 2020, par Caroline Lanos

Consigne de Stéphane

En hommage à Anne Sylvestre : 10 minutes de pur bonheur à écouter

Anne Sylvestre qui publie son premier livre : « Coquelicots » en poche Points depuis janvier 2019 
https://www.youtube.com/watch?v=3NTpEJmhqjk

Qu’ils soient mélancoliques comme « cahier », savoureux comme « frangipane », surprenants comme « libellule », drôles comme « s’esclaffer » ou nostalgiques comme
« parfum », les mots préférés d’Anne Sylvestre racontent son histoire, ses souvenirs d’enfance, sa poésie et son amour de la nature.

Pour ce lundi je vous propose une balade de mots …

Choisissez de 5 à 10 mots de votre langage, de votre univers, ou au hasard d’une lecture (livre/dictionnaire/article).
Piquez-y les mots qui vous chantent, ceux que vous aimez dire à voix haute et qui vous touchent, par leur drôlerie, leur son ...
Et laissez-vous voyager sur eux, laissez-les vous guider, et amenez-nous sur votre planète de vos mots préférés : parfum d’enfance ou de souvenir ou de vos rêves. 
Picorez quelques graines et laissez-les germer sur votre imaginaire.
Parlez de leurs couleurs, leurs sons, ce qu’ils évoquent chez vous .
Acceptez de vous perdre, les « accidents » peuvent être heureux !
(Pensez à la madeleine, la tarte Tatin ou bien la langue de chat, de succulents desserts nés par accident…)
Débuter votre texte avec la première phrase du livre (l’incipit) d’Alain Roussel
« Voilà que je me découvre un tempérament de collectionneur."

Extraits de la 
"La vie privé des mots » d’Alain Roussel,littérature éditions de la différence

« Dans le mot enVELOppe il y a déjà le VELO du facteur » (j’adÔRRe)

Ce livre débute ainsi :

« Voilà que je me découvre un tempérament de collectionneur. » (…)
«  Curieusement, le premier mot qui me vient et que j’inscris dans ma collection est le mot camouflet.
Ca commence bien ! Je n’ai décidément pas de chance. (…)
Je l’ai donc soigneusement recopié dans le coin supérieur gauche de la première page du grand cahier d’écolier qui me servira d’album. (…)
 Il est seul et nu, malgré ses neuf lettres qui tentent de lui prêter une apparence, à défaut d’une ossature.
(…) Tel un ange déchu, il est tombé du ciel.(…) N’y a t-il pas aussi, dans ma vie, dans toute une vie, dans le simple fait d’être au monde, comme un camouflet.(…)
D’ailleurs dans camouflet il y a mouflet, le petit enfant, le mioche, 
le moutard qui se cache dans les jupes de sa mère (…)


TEXTES

Boule de gomme

Voilà que je me découvris un talent de collectionneuse.
Lorsque j’étais petite fille, dans mon pays d’Egypte, je me pensais Reine dans un palais réalisé en pyramides de verre. Il était entouré de grands arbres à feuilles permanentes avec lesquelles nous faisions des tisanes succulentes.
Une énergie douce nous envahissait alors, propice aux rêveries et aux activités artistiques. Je prenais mes crayons et je dessinais des sarcophages bleus, des yeux fendus, des profils tendances et mes divinités préférées, Anoukis celle qui enlace et embrasse, Anubis le chien sauvage, Imhotep celui qui vient en paix, Maât celle qui apporte l’ordre et l’équilibre dans le monde, et Nephtys la dame du château qui protège les morts.
Elles m’ont protégé longtemps, longtemps, mais un jour voilà que je me découvris un talent de collectionneuse de gommes et j’en achetai de toutes provenances : du château de Prague, des musées de New York, de Stockholm, de Liverpool, de Paris, de Madrid, de Tolède, de Roubaix, du Mont St Michel, en forme de colombe, de papillon et de toutes les couleurs, c’était magnifique. Il a fallu que je les essaye toutes et j’ai effacé tous mes dessins réalisés depuis mille années.
Le temps est alors devenu plus sombre, les grands arbres sous lesquels nous inventions des danses et mangions du chocolat, à l’ombre bienfaisante, ont perdu leurs feuilles. Nous sommes devenues inquiètes, peureuses. Alors, nous sommes montées dans des camions pour partir loin, loin de nos maisons et chercher un pays sucré comme des boules de gomme.

Annie


Voilà que je me découvre un tempérament de collectionneuse de mots . Je vais les sortir de mon petit carnet. Celui que je remplis depuis que j’ai 10 ans parce qu’un jour j’ai entendu une de mes tantes dire : ça va le requinquer . Je ne compris pas le sens et notai le mot dans un coin de ma tête en le répétant sans cesse.
Commençons par celui-là, on continuera par redingote, porcelaine, zazou et il est comme le moulin de Patouillet, il a plus de goule que d’effet.

REQUINQUER, un mot tout en « qu », un mot « roc » qui pique et aiguillonne, comme si ces sons en résonance étaient des dards qui ragaillardissent en piquant ici et là un corps fatigué par un délabrement, un laisser-aller. Un mot qui fait relever la tête, un mot qui rebondit, fait reprendre courage, santé peut être, joie de vivre et volonté, un mot qui entraîne vers la bonne humeur,sur lequel on peut prendre appui un mot qui égaye, réveille, reverdit. Peut être faut-il voir en lui un côté clinquant qui claque, éclate, époustoufle. Un mot métamorphose volontaire, à l’odeur de la pierre, tout en dignité et en espérance, un mot pour trinquer à la nouveauté.

REDINGOTE, découvert en Angleterre riding coat me dit my pen-friend. Quelle surprise ! Depuis je l’associe forcément à l’équitation mais surtout aux romans de Victor Hugo, de Balzac. Marius des Misérables porte un manteau redingote et c’est la littérature qui m’emporte vers tous ces costumes nouveaux jusqu’à la mode féminine, du manteau noir de ma mère serré à la taille, évasé vers le bas, col en velours. Elle portait cela si bien ! Lorsqu’elle m’attendait à 16h30 à la porte de l’école, j’étais si fière d’avoir une maman aussi jolie et aussi élégante dans son manteau noir redingote qui sentait bon l’eau de Cologne du Mont Saint-Michel. Le soir après l’école, je serais bien restée accrochée à son cou pour m’enivrer de son odeur qui depuis ne m’a jamais quittée.

PORCELAINE, c’est un voyage en Chine, un autre à Limoges, un coquillage découvert à Nouméa, le service de table de mes parents qui ne sortait du buffet que le dimanche ou lorsqu’il y avait à la maison quelques invités, c’est la porcelaine de Saxe de Stef remplie de TUCS des jeudis soirs au Café de PARIS pour la Grande Librairie, c’est surtout ma première poupée. Elle avait un visage en porcelaine encadré de cheveux blonds frisottés, les joues roses, des yeux bleus avec de longs cils dont les paupières se fermaient si je la tenais couchée entre mes bras. Les mains potelées, les pieds étaient chaussés de petits chaussons blancs à lanières tenues par un bouton de nacre. Elle portaient une robe bleu clair juponnée, bordée d’un liseré de dentelle. Ce fut un cadeau de Noël accompagné d’une pomme d’orange.

ZAZOU : Des zazous ! des Zazous ! disait ma mère sur un ton quelque peu moqueur en chantonnant ! Elle les prenait pour des farfelus ! Ce mot me fascine toujours, par son originalité et son apparition. J’ai pris conscience qu’il pouvait exister des gens différents. Des gens qui s’opposaient. T’as vu comment ils sont habillés disait encore ma mère ! Contre culture établie, tenue excentrique . Les zazous aimaient se distinguer par leurs vêtements américains un peu trop courts et leur musique jazzy, celle des années 43 restées après la guerre. J’adore toujours prononcer ce mot tout en Z , zézayant, hors-champ, à l’accent particulier, décalé,excentrique qui sent bon la danse, le swing, la liberté, les cheveux longs, le parapluie qui ne s’ouvre jamais. Un mot tout neuf, indépendant, évoquant des onomatopées enfantines, ou des bonbons nouvellement crées à base de Zan. On en voyait à Fougères des Zazous, insouciants, cyniques même. Des enfants terribles et bondissants ou rebondissants dans un monde à refaire !

Il est comme le moulin de Patouillet, il a plus de goule que d’effet. Evidemment, c’est pas un mot !
Ma mère et ses sœurs possédaient une collection d’expressions colorées, brutales, péremptoires, riches et variées. Héritage Gallo. Patrimoine familial succulent qui à trois lieues de la ville me faisait pénétrer dans le monde fascinant des « ramaougeries de pommé, des tueries de pourcès, des ramassages de patars, du mic ô de la goutte, des encraouderies, des boursoulées de navette. C’était un bonheur, un régal, un délice d’écouter les quatre sœurs et leur parler Gallo, jalonné de « ma fa oui » ou de « il est bin de sorte » et de « il est comme le moulin de Patouillet, il a plus de goule que d’effet ! »
Quel ravissement ! Mon imagination s’envolait. Où pouvait se trouver le fameux Patouillet et son moulin. Etait-ce un lieu ou le nom du meunier ou les deux ? Je le plaçais forcément le long de la Minette, débordant de grains de blés roussis, de sacs enfarinés. Le meunier ne dormait pas, son moulin n’allait ni trop fort, ni trop vite. Je le faisais ressembler à celui d’Alphonse Daudet, propriété d’un Maître Patouillet qui avait aussi une Vivette obligée de se louer pour gagner son pain. A cette pensée, des larmes montaient à mes yeux. Le moulin était à eau ou à roue orné de d’ailes blanches en grosses toile de Tirtaine ou de grisette. Il était rond et sentait bon le froment. 
J’eus beau chercher, avec ma sœur, du côté de Baillé, de Saint Marc le Blanc, de Tremblay, le long des ruisseaux, tout en haut des collines éventées, pas de Patouillet, pas de moulin.
Je questionnais ma mère et mes tantes, très évasives sur le sujet…
En poses-tu des questions, ta ?
Avec un art proche de la magie, le moulin, s’évanouissait, ressurgissait d’une colline à une rivière, d’une rivière à une colline.
Une découverte inopinée aurait détruit mon rêve enchanté.

Jacqueline


Voilà que je me découvre un tempérament de collectionneuse pour recueillir des mots, nuage est un de ceux-là, avoir la tête dans les nuages, c’est rêver ou rêvasser, ne plus être là, aller loin jusque sur la lune parfois, un nuage me fait penser à une barbe à papa aérienne, qu’on savoure, fondante sur la langue et les lèvres sucrées mais c’est aussi un ciel brumeux, voilé, flou et confus comme ce que nous vivons en ce moment, brrr, voyons si dans ma besace, ah ! Besace est un joli mot, doux dans la bouche, un peu démodé, et mystérieux aussi, que sort-on de ce grand sac ? Un lapin ? Un tour de passe passe, une pincée de magie et le tour est joué,quel enchantement ! Celui-là me fait passer dans un monde envoûtant peuplé de magiciens, de fées, de créatures fantastiques, dans « enchantement » on entend le son « chant », celui des sirènes peut-être ? Ce n’est que du bonheur, celui-ci est composé avec les mots bon et heur, ces deux mots associés, autrefois désignaient un présage favorable, de nos jours, bonheur désigne l’état d’une personne comblée, un état de félicité parfaite... A la bonne heure, il faut planer, avoir la tête dans les étoiles, croire à sa bonne étoile, ce point lumineux dans un ciel nocturne, et faire un vœu à chaque étoile filante car il paraîtrait que ce sont les regards des Dieux lancés de temps à autre depuis les cieux jusqu’aux hommes qui laisseraient s’échapper des pluies d’étoiles...

Roselyne


Fragrance, bulle, maison, saperlipopette, nuit

"Voilà que je me découvre un tempérament de collectionneur" de mots. Nous avons tous notre dictionnaire personnel. A l’intérieur, écrits en gras nos mots préférés et en tout petit les mots abhorrés ou qui nous effraient.

Fragrance : j’aime ce mot même si j’ai du mal à le prononcer. Il évoque pour moi la rareté. Je n’ai jamais entendu quelqu’un dire à haute voix : « Quelle merveilleuse fragrance ! » Il ne se dit qu’avec les yeux. C’est un mot subtil comme la senteur qu’il évoque.

Bulle. Nous sommes tous des bulles. Nous avons notre univers intérieur construit au fil du temps de la vie. Ces bulles se rencontrent, se frôlent, quelques fois se mélangent. Mais elles peuvent coexister sans se toucher tellement elles sont différentes. Des mondes, des univers incompréhensibles les uns pour les autres. Quand une fenêtre s’ouvre dans l’une d’elle, l’autre est étonnée et peut être même terrifiée de voir à quel point elle se trompait sur ce qu’elle croyait connaître de celle-ci.

Maison. Une protection, un monde à ma façon, un cocon. Un mot sauveur. retrouver sa maison après un voyage, un soulagement après s’être confronté à l’inconnu.

Saperlipopette ! Ça claque et c’est drôle. Drôle à dire et drôle dans la bouche. Mieux qu’un gros mot et bien plus amusant. Les enfants adorent c’est comme sapristi.

Nuit. Tranquillité. Plus de contrainte. Espace de liberté. Le temps est à soi. Il n’y a plus que le chat qui ronronne à vos côté sans rien demander et la lune qui suit sa course dans le noir du ciel.

Françoise