Atelier du 2 décembre

mercredi 2 décembre 2020, par Caroline Lanos

Consigne de Roselyne

Foetus

Vous êtes un petit bébé dans le ventre de sa mère. Vous allez bientôt naître. Racontez ce que vous vivez, entendez, ressentez, rêvez....


TEXTES

Bientôt je le sais. Un autre monde. J’entends les préparatifs. Il a monter le lit. Toute une affaire, ça a pris du temps.
Bientôt je le sens. Je suis presque prêt. Elle me chante des berceuses pour me faire encore patienter.
Bientôt j’ai hâte et pourtant je sais aussi que ce ne sera pas facile. Ma première épreuve. Passer par ce couloir étroit, étouffant. C’est comme ça.
Bientôt une nouvelle vie. J’oublie peu à peu la dernière. J’aurai bien voulu la garder dans ma mémoire. Mais mon cerveau est tout neuf. Je vais devoir tout recommencer. C’est comme ça.
Bientôt je vais respirer l’air de ce monde. J’aurai un peu mal quand mes poumons vont se déployer mais eux seront heureux de m’entendre. C’est comme ça.
Bientôt à l’extérieur. Pourtant je suis bien ici. Même si je commence à être à l’étroit. Une vie des premiers temps : eau, chaleur, nourriture comme dans les mers d’autrefois. Des regrets pour toute une vie.
Bientôt je les découvrirai. Pour le moment je donne des coups de pieds pour leur signaler ma présence et les rassurer. Je suis bien vivant.
Bientôt....

Françoise


Au fond d’un fjord, je repose sur le tapis d’une nature prestigieuse. Ma vallée est profonde, inondée. Ses eaux bleutées noircissent parfois par temps orageux et je me terre alors dans ma caverne.
Je suis un troll qui vit dans l’ombre d’une forêt sombre et dense et je ne supporte pas la lumière. Je me déplace en flottant entre les innombrables petites crevasses de mon univers que je visite régulièrement. Je ne me sens jamais seul. Autour de moi, des formes invisibles parlent, chantent, me parlent parfois. Dans le lointain et pourtant si proche, me parviennent des sons familiers, parfois étranges. Une voix surtout attire mon attention. Je m’allonge alors sur ma plage préférée et écoute. C’est comme une poésie, un filet fluide de mots, chauds, harmonieux, un doux silence, et le timbre tendre reprend comme si nous nous donnions la main, elle fléchit, me rassure, m’accompagne dans mon sommeil et s’en va. Un jour elle est devenue chevrotante, tremblante, hoquetante, ce fut un mystère éprouvant, nos mains ne pouvaient se rejoindre. Mes premières larmes de peur et de solitude inondèrent mon visage frippé.
Une autre voix surgit de temps en temps : aigüe, volontaire, toute petite mais si brève et décousue qu’elle semble venir d’un autre monde. Elle me surprend, me réveille et m’attire à la fois.
Je dois me préparer à présent pour un long voyage. Je cheminerai le long du cordon littoral jusqu’à l’embouchure. Là, je devrai me laisser porter par les grands torrents, surtout ne pas trembler devant les chemins escarpés ou les sommets enneigés, garder confiance, trouver ma voie et la rejoindre elle, ma sirène.

Annie


Le ventre d’une mère

Le ventre d’une mère est sensé être douillet.
A voir !
Si le bébé ressent toutes les joies, les peines, les émotions
de sa maman, il a peut-être l’impression d’être dans une machine
à laver, tourneboulé, parfois lessivé, essoré.
Cela peut être une épreuve un tantinet acrobatique.
Mais ce n’est pas fini...
Après, il faudra affronter le monde.
Sacrée épreuve !
Aie ! Aie !
Que de négatif !
Amis lecteurs, je ne tiens pas à vous déprimer.
Un peu de positif !
Heureusement, il y a l’amour.
Tant d’êtres, tant de choses à aimer sur cette terre...

Nelly


-  « Oh là ! Là ! Le voyage ! 9 mois dans un Utérus qui rime avec Vénus. 9 mois dans une mer de liquide amniotique ! Suis-je un poisson ? J’ ai ri quand j’ ai bu du liquide, j’ai attrapé le hoquet. Que de soubresauts !
En fait le temps a passé assez vite. Je suis là depuis une huitaine de mois et j’attends . Parfois je pleure, j’aimerais bien trouver quelqu’un à qui parler. Personne nulle part. Un désert aquatique !
Alors je joue tout seul. Je nage. Une algue en forme de cordon me suit partout accrochée à mon ventre. J’ ai bien du mal à m’en défaire lorsqu’elle s’enroule autour de mon cou. Souvent, je saute à la corde . C’est amusant ! Je dors, je rêve, je vais de découvertes en découvertes dans cette mer un peu glauque tout de même et sans sirène ,sans rocher, sans coquillage. Pas vu le dessous de la coque d’un bateau non plus ! En fait, y a pas grand chose à voir ! Ce qui tombe bien parce que j’ai du mal à ouvrir les yeux. Je suis dans le noir. Parfois, le temps d’un éclair , une lumière rouge !
Souvent, j’entends des voix qui viennent de l’extérieur, qui me surprennent tant elles sont fortes. J’écoute, j’écoute mais je ne comprends pas tout. Sauf la voix de maman et j’aime pas quand elle est triste. Je suis triste aussi. Elle fait le voyage avec moi et ça , ça m’épate. Là où je suis , elle est aussi. J’entends tout ce qui se passe en elle, des drôles de gargouillis, des sortes de boum, boum réguliers, des bruits d’eau, comme une rivière qui coule. C’est pas reposant tout ce boucan !Je crois qu’on voyage à deux. Maman et moi. Mais je ne la vois pas. Je la sens et la ressens. C’est quand même bizarre !
Mystère et magie !
Ce que j’aime le plus c’est la musique qui résonne dans cette mer. Du Bach, du Mozart, du Beethoven. Ah ! Mozart c’est mon préférée : « Ah vous dirais-je maman ce qui cause mon tourment…. »
J’entends souvent cette jolie mélodie. Il y a un mot que j’ai retenu facilement c’est bonbon !
En tout cas, il fait chaud dans la mer Utérus qui rime avec Vénus. Au moins 37 degrés réguliers dans tous les endroits que je visite avec maman. De temps en temps, je lui donne des coups de pieds, c’est entre-nous, « liens privilégiés » avec elle, genre interaction ! Genre communication des sentiments et des émotions ! Un code. T’as vu ça ? Elle me répond.
J’attends la fin du voyage. Je ne peux plus faire de sport, je suis un peu joufflu et un peu à l’étroit. Maman dit que je fais des bosses sur son ventre. Rien à voir avec la montagne pourtant cette randonnée de 9 mois ! Un voyage aquatique, je l’ai déjà dit !
En attendant le jour historique de la fin du voyage, je suce mon pouce, tranquille, au chaud dans mon nid et je rêve à Mozart.
Je vais vers un autre voyage !Je le sens !Comme un pressentiment ! 
Je ne tiens plus là, je suis trop gros !
Pour ça tournons-nous dans le bon sens, ça va faire plaisir à maman !
La tête la première ! Un plongeon pour une fin de voyage !C’est inquiétant !
C’est beaucoup d’émotions en plus.
Je sens que je vais pleurer en arrivant ! »

Jacqueline


Aujourd’hui j’ai quinze ans.
On attend Papi et Justine qui viennent déjeuner en voisins et petit comité confiné.
Dans ma chambre je pianote en attendant le coup de sonnette. Quinze ans... Je le prends comme une propulsion douce dans quelque chose d’insensiblement différent, une autre naissance d’une certaine manière, mais sans vraie rupture. L’autre, la première, on va encore en entendre parler, tout à l’heure. Tous les ans Maman raconte. Et aujourd’hui, pour la première fois, ça ne m’agace pas. J’ai envie de raconter moi aussi, d’essayer d’imaginer comment j’ai vécu ce matin d’avril, ce premier voyage.
Un voyage, ça commence par un lieu que l’on quitte. Ça n’est pas prémédité, non. Je suis bien là, dans la tiédeur humide où je baigne. C’est devenu un peu moins spacieux ces derniers temps, c’est vrai. J’ai moins de place pour mes explorations et mes jeux de gymnaste. Mais je m’amuse, j’insiste, je pousse un peu les murs. Alors cette bizarre crispation, tout à l’heure, qui avait l’air d’en vouloir à mon confort, j’ai commencé par l’ignorer. Ça ne me disait rien qui vaille et j’ai fait celui qui n’est pas concerné. Mais voilà que ça recommence, un peu plus fort. Je me sens tiré par la tête. Bon, il faut dire que depuis quelque temps je me suis trouvé mieux les pieds en l’air. Mais il ne faudrait pas trop en profiter, là dehors. Tout est bien comme ça, non ?
Oui, tout était bien. Souvent je sentais un mouvement régulier, très doux, à la surface de mon abri, quelque chose qui allait lentement d’un bord à l’autre et revenait. Je répondais en poussant la paroi de la tête ou du pied. J’écoutais cette sorte de bourdonnement aussi qui avait l’air de s’adresser à moi, parfois unique, parfois double, ou plus diffus encore. Comme un autre monde, paisible, autour du mien.
Alors pourquoi maintenant cette agitation, ces spasmes qui se multiplient et forcissent ? Quelque chose vient de craquer, d’éclater. Tout devient étrange, plus rude, je sens comme un courant d’air, une aspiration aussi qui insiste, augmente. On ne m’aura pas comme ça. Je lutte de toutes mes forces mais un peu au hasard je dois dire, et cette maudite position tête en bas m’empêche de résister comme je voudrais. Heureusement le passage est beaucoup trop étroit. Jamais on ne me fera passer par là. Mais s’il est piètre stratège, l’ennemi est têtu. Des poussées terribles me font descendre tandis que les chuchotements que j’aimais tant se sont mués en cacophonie désordonnée. Je vais éclater. Je suis broyé. Où sont passés la douceur, la tiédeur, le ronronnement pacifique ? C’est la guerre, je suis seul et j’ai froid. Je dois me résoudre à pousser moi aussi, pour ne pas finir là, écrasé. Je me tasse complètement sur moi-même, je me réduis de moitié mais ma rage est entière, je m’expulse moi-même puisqu’on me chasse, bavant de fureur et de dépit. Je crie. Quelque chose me foudroie les yeux tandis que l’ennemi exulte. Ça y est, le voilà ! Il est là !
Oui. Je ne sais pas où, mais je suis arrivé.
En bas Maman m’appelle. Je n’ai pas entendu la sonnette. « Encore dans tes jeux vidéos ! »

Antoinette