Atelier du 23 novembre

mardi 24 novembre 2020, par Caroline Lanos

Consigne de Stéphane

Michèle Lesbre « Le canapé rouge » :

Raconter ou imaginez la dernière nuit avant le retour de voyage :

« Une drôle de nuit m’attendait à l’hôtel, trop agitée, trop courte aussi,
je devais partir avant l’aube. Je tournais en rond dans la chambre,
faisais et défaisais mon sac, incapable de m’allonger et de trouver le sommeil, un sommeil dont je n’avais d’ailleurs nulle envie.
J’étais descendue au bar, je préférais entendre parler autour de moi, entendre encore un peu de la musique des mots qui me manquerait, comme d’autres m’avaient manqué à d’autres retours,
un manque étrange et douloureux, une sorte de rupture.
Pendant plusieurs jours, tout se mêle, la pensée se trouble, divague entre deux langues, le monde se déchire, puis peu à peu le voyage trouve
sa place dans la mémoire, dans les jours ordinaires, tout s’estompe,
reste l’essentiel, ces endroits où les souvenirs vont et viennent et nous entraînent dans des rêveries nomades. »


TEXTES

Impossible de trouver le sommeil. C’est ma dernière nuit dans ce beau pays. Plus la peine d’essayer de dormir et de continuer à me tourner et retourner dans ce lit. J’aurai tout le temps de dormir dans l’avion. Je me lève et me dirige vers la fenêtre. La lune est là comme si elle m’attendait. Avec son croissant à l’horizontal qui m’a tellement stupéfaite quand je l’ai vu le premier soir. Je suis sous l’équateur, ici la lune est renversée par je ne sais quel miracle astronomique (il faudra que je trouve quelqu’un pour m’expliquer ce phénomène à mon retour). Bien sûr ce n’est plus le visage de profil dont on est habitué chez moi, mais c’est joli aussi on dirait un petit berceau qui n’attend plus qu’un enfant.
Retour, retrouver son enfant... Mon esprit, mon cœur, enfin quelque chose en moi est tiraillé entre le désir de rentrer et celui de rester. Ce pays m’enchante, j’ai tant rêvé d’y venir et depuis de si longues années que j’ai l’impression de ne pas y être restée assez longtemps, de ne pas avoir découvert tous les secrets de ce coin du monde, de ne pas en avoir suffisamment profité. Mais j’ai envie de rentrer chez moi. La haute altitude m’a enlevée toutes mes forces, je suis fatiguée. Mes nuits ont été courtes. Le changement de nourriture a bouleversé mon système digestif. Ma famille et mes amis me manquent, j’ai hâte de leur raconter mon voyage. Je me languis de ma maison et de mes chats. Pourtant je suis heureuse de l’avoir fait ce fameux voyage ! D’avoir retrouvé l’espagnol et de m’apercevoir que je n’avais pas vraiment besoin de traduction, les mots revenaient tout seuls du tréfonds de ma mémoire.
La faible lueur lunaire dispense une clarté bleutée en bas, sur le patio, d’un très bel effet. Les carreaux du sol peints en rouge sont devenus sombres et le mobilier en rotin clair se détache nettement, ils attendent le petit déjeuner en silence.
C’est le moment idéal pour se remémorer les instants les plus importants de ce voyage comme pour mieux les ancrer dans ma mémoire à tout jamais, ne pas oublier, les odeurs, les paysages, les rencontres, les couleurs, les ressentis. Comme dire un adieu à ce pays, je sais que je ne reviendrai pas. il restera les photos, les films. Mais ils ne retracent pas toutes les émotions. J’oublierai sans doute les sons : les rires, les voix c’est ce qui s’efface le plu vite.
Le ciel blanchit. Quelqu’un traverse sans bruit le patio un plateau à la main. Il est temps de me préparer. La lune a disparu, elle est allée, elle, se coucher.

Françoise


Les avions décollent toujours à des heures invraisemblabes. Sept heures du matin pour celui-là plus le temps de l’embarquement, la douane, les papiers. Je devais être à cinq heures trente au plus tard à l’aéroport. Autant dire que je dormirais pas. De plus , j’avais horreur des matinées bousculées.
La valise béait sur le lit. Je ne savais par quel bout prendre tout ce que j’avais à mettre dedans. Mes vêtements de voyage était calés sur un valet. Mais le reste ? J’avais sûrement acheté trop de cadeaux pour les enfants, les petits enfants.
Assise sur l’unique chaise de la chambre, je tentais de savants calculs de surfaces et de volumes occupés, afin que tout rentre et que la valise ferme une fois ma trousse de toilette installée dedans demain matin.
Les néons des panneaux publicitaires scintillaient à l’extérieur et clignotaient leurs couleurs vives jusqu’à moi. Saïgon ne dormait jamais. Les motor-bikes berçaient la ville immense de leur ronronnement incessant .
Je n’avais pas envie de venir là. Maintenant j’y resterais bien. Que la vie est compliquée !
Cette mégapole m’avait conquise . J’avais mis mes pas dans ceux de Marguerite Duras avec émotion,revécu les souvenirs de cette guerre abominable que mon enfance avait traversée à travers les images de ParisMatch, navigué sur le Mékong, visité Cholon empoussiéré, rencontré , éberluée Notre Dame de Lourdes sous une pagode, et vu, non moins éberluée, Anne de Bretagne sur un vitrail de la Cathédrale Notre-Dame… La poste en acajou m’avais enchantée. Combien d’autres choses envahissaient mon esprit mélancolique .J’emportais le chant nasillard de la langue Viet, le jeu des accents qui changent le sens des mots.
Je restais assise sur ma chaise, des parfums plein la tête, mélancolique et triste .
Rien n’avançait vers la valise à cause de mes divagations et de mes états d’âme.
Je réussis tout de même à trouver un ordre de rangement. Il fallait en finir !
Je ne me couchais point. Je descendis dans le hall de l’hôtel me recueillir devant l’autel des ancêtres encombré de coupes remplies de fruits frais et de bâtonnets d’encens.
Longuement, je restais là.

Jacqueline