Ecrire avec Gwénaëlle Abolivier

mercredi 18 novembre 2020, par Caroline Lanos

Les textes écrits au cours des ateliers des 17 et 18 octobre ont été rassemblés dans un recueil dont voici la première de couverture.

Gwenaelle Abolivier, En voyageant en écrivant

Textes d’Yvon

Sylvie, mon cœur, mon âme

Nous faisions partie du même groupe d’amis depuis presque deux ans, mais je ne te voyais pas, ne te calculais pas. Il a fallu que je brise mes chaînes, que je m’arrache à Dinard pour t’apercevoir, te considérer, tomber amoureux. Nous avons passé trois idylliques semaines à La Rochelle puis Royan, coupé les ponts avec nos amis, nos familles, ressenti les mêmes émotions et à notre retour avons décidé de ne plus jamais nous séparer.

Moyen de transport

Août 1979, premières vacances, première sortie en mer, première sensation de liberté, premier grand amour, première plongée sous-marine, tout en un été !
J’ai découvert lors d’une traversée Dinard-Cézembre à bord d’un voilier le plaisir que procure une balade sur les flots salés, senti le vent m’ébouriffer les cheveux, gifler mes joues, les embruns me fouetter le visage ; j’ai écouté et goûté au silence du large, frissonné au claquement de la voile et au grincement du mât et puis j’ai aperçu Cézembre, sa plage de sable blond, visité ses blockhaus alors encore accessibles qui font froid dans le dos, mettent mal à l’aise, dénaturent par rapport à la beauté du site.
L’amour de la mer, des escapades en bateau m’a cueilli cet été là et … ne m’a jamais plus quitté.

Michel, mon mentor

Tu étais responsable du Manoir de la Vicomté, mais aussi et surtout un inconditionnel du grand large. Tu m’as accueilli comme un fils, formé aux rudiments de la navigation, emmené sur ton zodiac, ton voilier ou ton canot à moteur, initié à la plongée sous-marine. J’ai eu le meilleur des guides, le plus passionné des hommes pour tout ce qui touchait aux bateaux et au milieu marin.

Nous partions durant des heures, des demi-journées sans nous soucier de l’horloge du temps, des contraintes terrestres. Au large, nous pouvions demeurer longuement silencieux, contemplant l’horizon, pas besoin de parler pour partager la même émotion.
Comme j’aurais aimé que ça dure !

Lieu idéal d’écriture

Pour entrer dans ma bulle, trouver l’inspiration, j’ai un besoin viscéral d’isolement, de savoir que personne ne perturbera ce moment d’interaction entre mes pensées et mon stylo.
Il m’arrive de m’enfermer dans ma pièce aménagée au grenier, celle où sont stockés mes DVD, blurays, livres sur le cinéma, de m’asseoir au bureau qui occupe un pan de mur proche du velux, m’offrant ainsi clarté et vue sur le jardin. Seul face à la page blanche, je mâchouille mon stylo, quelquefois rien ne vient. Je me lève, marche en rond dans la pièce, scrute au dehors et si l’absence d’idée persiste, je n’insiste pas. Quand ça fonctionne, je peux oublier de manger, boire, rater un rendez-vous ; plus rien d’autre n’a d’importance, je noircis des pages et des pages sans ressentir de lassitude.

J’ai néanmoins une légère préférence pour le prolongement dans le garage plus que cette pièce au grenier, même si j’ai plus à redouter les allées et venues, les bruits de la rue. D’abord parce que le bureau d’appoint qui s’y trouve est fonctionnel, que j’ai tout à portée de main sans avoir à descendre et remonter (si par malheur j’ai oublié un dictionnaire ou tout autre objet utile), que je m’y sens bien.

Il m’arrive également d’opter pour la table de salon de jardin dan la cour quand il fait bon.

Selon comment je me sens, la météo, mes envies, je choisis l’un de ces trois lieux pour écrire.

Je me souviens

Je me souviens des chants, du bruit assourdissant de la musique tout le long du défilé du Grand Boucan, de cette fierté, de cette gaîté sur les visages des participants, de ces costumes colorés, de ces senteurs d’épice, de vanille bourbon, de cannelle sur les nombreux marchés de l’île extrême : La Réunion.

Je me souviens des cris d’effroi lors de l’intrusion surprise d’un requin juvénile dans le lagon, de la panique des quelques Z’oreilles et de la nonchalance des réunionnais qui regagnaient sans se presser la plage, se remettaient à picorer dans leurs paniers de pique-nique comme si de rien n’était.

Je me souviens du vacarme quand l’hélicoptère a surgi au-dessus de nos têtes, survolant le cirque de Salazie pour porter assistance à un randonneur blessé.

Je me souviens du goût du carri-poulet, du rougail-saucisse, des rhums arrangés.

Correspondance

Que t’apprendre mon ami, mon frère que tu ne saches déjà ?
Oui, mon arrière grand-père a débarqué de sa Chine natale sur les côtes françaises au dernier jour de l’automne 1916 avec des centaines de compatriotes. Tout juste vingt ans, le cœur plein d’espoir, gavé par de belles promesses, pensant y décrocher un emploi valorisant, un avenir plus reluisant, une nouvelle patrie, un foyer peut-être.
Mais, tu le sais mon ami, nous l’avons tant de fois évoqué, sa désillusion fut grande. Comme ses frères, ses cousins, ses voisins, ses amis d’infortune, on l’a traité en esclave, en moins qu’un chien dans ce pays qui prétend respecter les droits de l’homme, dont le slogan est ‘liberté, égalité, fraternité’. On lui a imposé l’obéissance, un rôle de ramasseur de cadavres, de fossoyeur pour ces sacrifiés de la grande guerre. Grande ! Tu parles ! Qu’y a t’il de grand à s’entre-tuer ?
Pas d’arme pour se défendre, impossibilité d’expliquer son rôle pacifique à l’ennemi lors de cette guerre qui n’était pas la sienne, subissant le mépris des petits chefs français qui l’appelaient ‘le bridé’, ‘le jaune’ comme ses compagnons venus avec lui du soleil levant.

Il en a laissé de l’énergie, de la sueur et des pleurs, des rêves broyés, mort-nés sur ce sol, ce faux Eldorado. Chan, Yu-an, Chen-li et des centaines d’autres de son peuple sont tombés sous les balles, on été déchiquetés par des grenades, reposent anonymement aux côtés de ceux qu’ils ensevelissaient sans avoir compris pourquoi ils donnaient leur vie. Mon arrière grand-père a eu plus de chance, il a revu sa terre natale, mais à quel prix !

Il est rentré plus mort à l’intérieur que ses frères restés là-bas dont les os blanchissent. Trop de souvenirs douloureux, d’amis agonisant dans ses bras, de terreur refoulée l’on transformé. Ses cheveux ont blanchi prématurément, sa joie de vivre et son insouciance l’avaient quitté, ses nuits étaient peuplé de cauchemars.

Il n’a jamais voulu en parler, ce n’est qu’à sa mort que j’ai retrouvé et lu les nombreux carnets sur lesquels il avait écrit sur ses heures sombres, sa jeunesse bafouée.
J’ai voulu partager ces écrits avec toi parce que nous sommes amis et de la même famille puisque mon arrière grand-père a connu et aimé ton arrière grand-mère, que son vécu est autant le tien que le mien.

Dans la valise

Dans ma valise j’emporte le dernier roman de Signol, quelques DVD (toujours trop) pour visionner sur mon ordi portable (une ou deux nouveautés par curiosité, mais surtout des classiques du 7ème art), quelques rêves bien rangés sous les mouchoirs, un zeste de temps supplémentaire pour rallonger mes journées toujours trop courtes, des cahiers, carnets, stylos, blocs en pagaille pour le plaisir de coucher des mots, anecdotes , idées à toute heures et en tout lieu, des vêtements et chaussures pour me changer (l’essentiel, j’achèterai sur place si je suis trop léger), ma brosse à dent ainsi que mon rasoir et quelques affaires de toilette, sans oublier le plus important : le sourire de ma belle et le goût sucré de ses baisers.

Abécédaire du voyage

Autoroute, aéroport, atlas routier, arrimage.
Bateau, bagage, bivouac, buller.
Chenal, canoter, caravane, champêtre.
Désert, distance, découverte, détente.
Evasion, escapade, escalade, expérience.
Falaise, frontière, frisson, fréquentation.
Glacier, galet, galoper, guitare.
Huître, homard, hélicoptère, héron.
Ile, iodé, igloo, idylle.
Jamaïque, jargon, jars, jetée.
Kiwi, koala, korrigan, kilt.
Lagon, lampion, liberté, larguer.
Marais, magma, mont, maillet.
Nature, nager, naviguer, nénuphar.
Océan, observatoire, oblitérer, objectif.
Paquebot, pagayer, Pacifique, passeport.
Quai, quête, quiétude, quille.
Réunion, ravines, ressac, rivage.
Singapour, séjourner, sandalette, spéléologie.
Tarmac, typhon, tangage, torrent.
ULM, U.V., univers, unique.
Volcan, voilier, vacances, vague.
Wapiti, Wallonie, wagon, western.
Xérès.
Yéti, yacht, yen, yoga.
Zéphyr, zèbre, zoo, zébu.

Acrostiche "Ouessant"

Ouessant, d’où te vient cette majesté ?
Un Dieu est-il à l’origine de ta création ?
Es-tu un lieu estampillé ?
Suite logique après brouillon ?
Sais-tu ta beauté, tes mystères ?
Apprécies-tu ta rigueur, tes tempêtes ?
N’abuses-tu pas de ton côté austère ?
Troublante île sachant jouer la coquette.

Invitation au dépaysement

Paysage, luminosité, aurore boréale, coucher de soleil, escale, sieste, vent, tempête, vague, liberté, farniente, apéro, barbecue, plage, galet, bateau, fond marin, arc en ciel, clair de lune, orage en montagne, écume, baluchon, passeport, goéland, dauphin, baleine, pêche, avion, pont, manchot, banquise, igloo.

Tu m’avais dit

Tu m’avais dit La Réunion pour son exotisme et son côté extrême.
Tu m’avais dit L’ile aux Moines pour respirer.
Vivre à Ouessant, c’est vivifiant et reposant, les cyclistes sont encore nombreux.

Tu m’avais dit va et tu entendras le chant des marins rentrant au port, la mélopée du vent dans les voiles, le claquement sec des pinces du crabe, le raffut des vagues déferlantes sur les falaises et rochers.
Va et on te dira des légendes, des récits d’antan, des histoires à dormir debout, des secrets de contrebandiers, des fadaises et fredaines, des abordages, mutineries mâtinées d’imaginaire.

Tu m’avais dit retourne sur le continent si la mer et les îles t’indiffèrent, si l’appel du large te laisse de marbre, si le vent et le vol des mouettes te dérange, si tu préfères le bruit des villes et la pollution, ta place n’est pas ici.

On m’avait dit pars et écoute, apprends, respecte, ressent, devine, respire, anticipe, évalue, apprécie, supporte cette vie de solitude, capte l’essentiel et … tu sauras qui tu es.

Paysage

Longer la côte et arpenter tard le soir ou de nuit le chemin de ronde la surplombant (le sentier des amoureux comme le nomme si judicieusement les dinardais) me fascine toujours autant.
Je pars de l’anse du Pissot laissant derrière moi la grande muraille grisâtre du barrage de la Rance pour gagner la plage du Prieuré puis poursuivre jusqu’à celle de l’Ecluse où se trouve le casino Barrière et la piscine (entre autres).

Je profite de la quiétude du lieu, du silence qui m’enveloppe. J’inspecte d’un regard nostalgique le contrebas du sentier, tente d’y apercevoir au travers une végétation dense l’une des criques où je me suis si souvent posé, attardé, en quête d’une présence du passé, d’un souvenir égaré. J’hume avec délice l’air frais ; les effluves iodées me chatouillent les narines et me rappellent ces belles heures d’antan.
J’avance sans me soucier des racines qui soulèvent la terre, ces ‘abat-bêtes’ comme disait ma grand-mère. Elles me sont trop familières pour que je tombe dans le piège qu’elles tendent aux touristes. Je pourrais marcher les yeux fermés sans crainte car je connais chaque caillou, chaque bosse, chaque trou, mais je me priverais alors du spectacle que m’offre cette balade nocturne.

J’admire ces maisons de style, villas anciennes chargées d’histoire, qui me font rêver mais que je sais inaccessibles, que je ne peux posséder que le temps d’un regard contemplatif. Selon la saison, la météo, le coefficient des marées, je découvre une mer calme, endormie, ronronnante, câline, voluptueuse ou bien agitée, l’écume baveuse, venant avec fracas s’écraser sur les rochers, hostile et rageuse comme pour me rappeler ma petitesse face à sa toute puissance.

Je m’amuse de l’envolée bruyante des mouettes rieuses, moqueuses, qui me rasent le crâne me donnant l’illusion d’être caressé par le souffle ou les ailes d’un ange facétieux.
Les parois rocheuses que je devine plus que je ne les discerne, sombres, suintantes d’écume et de sel, forment des ombres menaçantes ou amusantes selon mon état d’esprit, mon humeur à l’instant T.
Tantôt j’entrevois un géant de pierre guettant une potentielle proie à saisir et à broyer entre ses bras puissants, tantôt un fauve n’attendant qu’à bondir pour déchiqueter l’importuné promeneur , ou la forme d’un visage de clown blanc, d’un banc invitant à s’y asseoir. Taillés, polis, fissurés, ces rocs dévoilent ce que nos yeux veulent percevoir.

J’avance lentement, paisiblement, prenant le temps de regarder, respirer, profiter.
Je m’accorde une courte pause aux abords du yacht-club pour sentir le parfum des fleurs qui se mélangent et offrent différents coloris dans ces parterres éclairés par des spots, je tends l’oreille pour entendre le clapotis des vaguelettes, je me remémore ces nombreuses sorties en mer face aux voiliers amarrés à quai qui oscillent de droite à gauche, de gauche à droite, poussés par le vent et les vagues, pantins désarticulés aux mâts qui grincent, couinent comme s’ils appelaient à l’aide.

Cette promenade me ressource, me rebooste, chasse mes idées noires, mon mal-être. Je suis chez moi, c’est mon petit coin de paradis.