La petite route qui longe la forêt

mardi 15 septembre 2020, par Frannette Gotier

La petite route qui longe la forêt

Cela fait plus de dix ans maintenant que la route forestière a été fermée. Elle faisait mon bonheur toutes les fins d’après-midi quand je rentrais chez moi. Je roulais doucement, quelquefois je m’arrêtais pour profiter de la présence des arbres, des oiseaux et j’étais ravie quand je pouvais voir un lapin et plus encore quand je surprenais un chevreuil.
Depuis j’emprunte la petite route qui longe la forêt chaque fois que je reviens de la ville.

Au fil des années, j’ai vu le paysage se transformer, les maisons changer. Les vaches ont progressivement été moins nombreuses et ont disparu de certains prés. Ceux-ci sont devenus des champs et le chien de berger n’est plus dans la ferme. Les maisons ont été à vendre puis vendues. Pour la plupart je ne connais pas les propriétaires, pour d’autres je les aperçois de temps en temps s’affairer dans leur jardin : La vieille dame de la longère cultive de jolies fleurs ; il y a toujours du linge qui sèche devant la baie vitrée de la maison au toit plat et le téléviseur est souvent allumé. J’ai vu pousser la haie d’une des maisons neuves à l’orée de la forêt. J’ai assisté à la reconstruction d’une autre.
Sur un des poteaux téléphoniques, toujours au même endroit, une buse attend de trouver une proie. Quand je passe elle ne bouge pas sans doute habituée et indifférente au bruit des véhicules. Au coin d’une intersection se dresse un sapin, il a un air gai et drôle avec sa tête penchée sur le côté comme le chapeau pointu d’un lutin.

Au fil des saisons je retrouve les digitales aux jolies clochettes fuchsia, les graminées pourpres qui bordent l’asphalte, les pommiers en fleur ou croulant sous de petites pommes à cidre. Les fougères se dressent en crosses, puis elles se déploient deviennent brunes et finissent par disparaître avec l’arrivée de l’hiver. Je regarde pousser les champs de maïs, de blé, les arbres dénudés se parer de vert. Ce vert qui évolue et un jour ternit. Ensuite les feuilles se prennent pour des papillons et s’envolent ; elles courent comme de petits animaux effrayés sur la route, éparpillées par le vent pour se perdre dans les fossés. A l’automne toujours au même endroit les châtaignes craquent sous les roues de la voiture. Là encore il m’arrive bien volontiers de devoir laisser le passage à un troupeau de vaches qui traversent pour aller d’un pré à un autre. Ainsi je peux les observer : petites, grandes, plus ou moins tachetées, calmes ou pressées. Certaines s’arrêtent pour me regarder et d’autres passent indifférentes.
Quelquefois, je me gare pour contempler un renard au loin, un héron tout gris, un petit lapin affolé qui court sur la route. Je guette l’arrivée des hirondelles, des vanneaux huppés, des oies sur un petit étang.
Je traverse sur quelques mètres seulement une partie de la forêt. Là aussi je vois des changements : un arbre penché qui finit par tomber, les houx qui se parent de boules rouges, les feuilles qui recouvrent les sous-bois de couleurs lumineuses. Au sortir de la forêt, j’admire une maison nichée au milieu de la végétation et j’envie les propriétaires. J’aurais aimer habiter juste à côté des arbres, avoir leur présence toute proche en prolongement du jardin.

Ainsi va la vie sur la petite route qui longe la forêt.