Chronique de Françoise P.

mercredi 29 avril 2020, par Frédérique Niobey

Le 27 tôt 6h35 le matin

Des chants d’oiseaux. La brume par la fenêtre et quatre petites têtes perchées, coiffées d’un chapeau viennent d’éteindre leur bobine. Les réverbères se sont endormis. Et le premier passant. Quatre roues. Plein feu sur le bitume. Vient fendre le décor. Un second dans l’autre sens. Pas eu le temps d’en voir plus.
Ça faisait longtemps.
Un merle probablement. Un peu loin pour en être sûr. Il volait sur fond de granit. Puis à disparu dans la brume. Il repasse. À fond les ballons. Les ballons d’oxygène. Tous ces malades ce matin. Un horaire agités dans les hôpitaux. Changement de personnel. Soins aux patients etc etc etc etc. En sortir ou vivre avec c’est le grand sujet. Personne ne sait. La théière est sur la table. Le calepin qui fournit les feuilles et le stylo à côté.
C’est l’horaire des oiseaux. Sept heures. Ils sont en nombre. C’est bien. Et seule la toile d’araignée témoigne d’une petite brise.
Il fait frais.
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Une plus grosse brise en ce début d’après midi. La toile d’araignée n’est qu’un fil en fait. Très résistant, c’est bien connu. La résistance du fil de la toile d’araignée. On ne sait pas, c’est pas faute de chercher. C’est peut être faute de budget... Impossible de faire aussi bien que l’araignée.
La Nature bien plus grande que l’homme ? ! Grand sourire à cette nouvelle. Bien plus grand que ceux des émoticones qui circulent sur les téléphones. Quant à la toile, n’en parlons pas. Pleine de pollen qui s’accroche. Et ça résiste !
Que des cheveux blancs dehors. Deux têtes masquées. Jour de Première. Démarche sèche pour retourner à sa voiture. Démarrage en trombe. Faut s’réhabituer. L’autre, c’est la dame d’en face, vient d’ rentrer. Première fois qu’elle rentre. Vu qu’c’est la première fois qu’elle sort ! Qu’est-ce qu’elles trafiquent les vielles ? Z’avaient leurs papiers ? Z’étaient en règle ?
Est-ce qu’elles veulent leurs ennuis les vieilles ?
Le soleil tente une sortie.
Le dénonçons pas.
Surtout qu’ les vieux c’est eux qui partent en premier. Laissons les vivre un peu.

Mardi 28 avril

Des gouttes plein les vitres. La pluie a cessé. Le vent lui, va crescendo. Il est contrariant, il diminue déjà, là, à l’instant.
Sale temps. Personne pour s’en plaindre ?
Personne, un point c’est tout.
À 13h42, pas âme qui vive.
Le réfrigérateur râle. On le croirait agonisant, à la limite de l’obsolescence. Elle est programmée paraît-il. Et on vous vend le prolongement de garantie qui vous l’enmène de toute façon jusqu’au bout de sa vie. Programmé, le garde mangé ! Et faut pouvoir y mettre quelque chose dedans.
Une voiture dans un sens. Une autre en sens inverse.
Il s’insurgeait le type à la radio. ’’ Non mais, croyez vraiment qu’on a besoin de fabriquer des voitures ! ? C’est l’urgence !! Impossible de rester à plus d’un mètre de distance les uns des autres, dans une usine de fabrication d’automobiles !
’’ Ni dans une automobile Monsieur’’ lui ai-je répondu. Un vélo vient de passer. Il s’ en fout des distances de sécurité.
Troisième voiture. Va rattraper le vélo. La belle affaire ! Va arriver à quelle heure la voiture ? L’aura gagné combien de temps ?
Chouette, un camion benne, plein de terre.
Il en faut. De la terre, de la bonne terre.
Des humains, enfin. Elle descend l’allée. Parapluie fermé en main. Grand pépin. Elle promène son chien.
Jeune homme en tee shirt et Bermuda. Son chien le précède. Il courre derrière lui.
Elle tient son chien en laisse, parapluie fermé. Grand pépin. Aussi.
Il ne reste que le fil de la toile d’araignée, très fin presque invisible. Il faut s’en approcher pour bien le distinguer. Prendre le temps d’une mise au point. Ajuster la focale.
Où sont elles passées mes deux vieilles ?
Une dame vient de gravir la pente en extirpant de sa poche un mouchoir en papier. Faudra qu’elle le jette. Pas n’importe où.
Elles ont de la chance mes deux vieilles.
L’une est rentré chez elle et l’autre partie en trombe dans sa voiture.
14h24.Il tourne au coin de la rue. S’est bien couvert. Le temps a fraichi.
C’est pour ça que je les voir pas mes p’tites vieilles. Sont au chaud, chez elles.
Re-voiture Pfft, no comment !
Et Re et Re.
’’ Rien ne va plus’’
Et ’’ un camion, plein de cailloux’’
Un oiseau passe. Il plane. Un deuxième bien plus haut.
Encore un camion. Un de plus. Le Btp a repris du service.
Plus rien. Plus rien à dire sur les camions du centre ville. J’écrase. Comme les Toons dans Roger Rabbit. Je ferais bien trempette avec les mouettes. C’est peut-etre là bas qu’elle est partie ma p’tite vieille. À la mer. Elle a rien à perdre. Quand on est vieux et qu’on conduit. On a la vie devant soi. La vie est belle.
Il faut croquer la prune à pleines dents p’tite mamie Même si peut-être là haut on t’attend.
Tu n’es pas pressée.

Mercredi 29 avril

Des goûtes. De jolies perles scintillantes elles ne glissent pas. Elles sont statiques. Des grosses, des plus fines et d’autres qui surgissent. Des gouttes finissent par s’écouler et disparaître une à une, seules. Précédées et poursuivies. Ce qui est étrange c’est que les autres ne bougent pas. Les autres semblent sidérées.
Le vent huhule. Le robinier sur le parking s’agite.
Poussée par je ne sais quelle pulsion de vie, ma p’tite vieille à pris la voiture ce matin. Elle s’est dit. C’est rien, après tout on est en Bretagne. Elle n’envisage même pas de prendre un parapluie. Inutile. Elle aurait vite fait de faire la chasse à la baleine.
Elle n’est pas venue chercher sa copine qui a une bronchite. À peine audible au téléphone. Elle reste au chaud c’est plus prudent.
La voilà au volant de sa petite voiture secouée par le vent. Elle le cramponne son volant.
Ma p’tite vieille, c’est Suzon. Elle a 20 ans.
Des cheveux blonds.
Un corbillard passe suivi d’une file de voitures. Est ce qu’enfin on va trépasser dignement. Est ce qu’on a enfin compris qu’une société qui ne permet pas aux vivants de rendre un dernier hommage à ses morts est une société indigne.
On m’accompagne murmure la vieille.
20 ans. Le permis tout juste en poche.
Suzon fend l’air dans sa dodoche. Fendre l’air c’est quelque chose, à fond les ballons, avec une deux chevaux, c’est l’insouciance. Elle chante à tue tête I’m singing in the rain, sous un grand soleil, les cheveux dans le vent.
Et ma p’tite vieille prend la route. C’est décidé. Elle a chargé le coffre, de quoi tenir un siège. Elle va aller où bon lui semble. Droit devant, à l’aventure, où sur la droite, là, un chemin qui descend qui serpente et qui mène au rivage.
Un chemin qu’elle descendra à pieds. Les chemins c’est fait pour ça.
Elle s’assoit sur un rocher en fléchissant doucement les genoux. C’est important. Elle contemple. Personne. Elle est seule. Une aubaine. Elle tend le bras pour saisir une poignée de sable. Un peu mouillé. Il sent bon. Le sel. Les embruns. Elle respire à plein poumon ma p’tite vieille. Il ne pleut pas sur elle.
Dans la rue déserte, nobody is signing in the rain.