Chronique de Françoise G.

mercredi 29 avril 2020, par Frédérique Niobey

Dimanche 26 Avril 2020, 17h 52

Le soleil de fin d’après midi rentre à flot par le Velux. On se croirait au mois de juin ou même en juillet. Il fait si bon au soleil. Des fleurs partout, rhododendrons, azalées. Les tulipes ont perdus leurs pétales et les jonquilles ne sont plus que des souvenirs. Les champs, les bosquets, les prés semblent endormis sous les gros nuages qui traversent mollement mon horizon.
Le bruit régulier d’un ballon qui frappe le sol est entêtant, malvenu dans ce dimanche paisible, quelques cris d’enfants qui jouent je ne sais où, un peu plus loin dans le village. Depuis quelques temps un dalmatien un peu trop nourri promène son maître à heure régulière. Sans doute un homme qui est venu se confiner ici à la campagne. Dans un village, en ce moment, on remarque facilement les nouvelles têtes. Il ne porte pas de masque comme certains automobilistes que j’ai vu passer. Quelle est l’utilité des masques quand on est en voiture ? Oserai-je en porter un si je dois sortir ? Il le faudra bien si cela devient obligatoire.
Le bruit de ballon a cessé enfin, le joueur a dû se lasser. Les enfants continuent de crier. Pourquoi ont-ils tous ce besoin de s’exprimer en hurlant ? L’excitation du jeu ?
Le clocher m’avertit qu’il est dix-neuf heures, le soleil a tourné. Je n’entends plus les enfants sans doute sont-ils rentrés pour manger. Le village a retrouvé son atmosphère silencieuse, les vaches au loin sont couchées, ruminantes et tranquilles.

Lundi 27 Avril 2020, 16h03
En regardant par le Velux , je viens de m’apercevoir qu’il pleut ou qu’il a plu. J’avais bien remarqué que la luminosité avait baissé, mais l’averse s’est faite discrète, pas de quoi arroser le jardin juste faire chanter les oiseaux un peu plus fort.
Pas de cri d’enfants, pas de bruit de ballon, ils doivent tous être à l’abri, il n’y a que le passage bruyant des tracteurs et celui conventionnel des voitures.
Que font tous ces gens dehors ? On ne parle plus que du déconfinement, de la réouverture des écoles. Je plains les enseignants qui vont avoir à gérer cela. Quel stress ! Dans les collèges et les lycées cela va pouvoir se faire ; mais dans les écoles primaires et surtout les maternelles, comment vont-ils y arriver ? Quelle est la sociabilisation dans un endroit où on a plus le droit de se toucher, où il faut sans arrêt être à distance des autres, où les adultes portent des masques ? Comment jouer, partager dans ces conditions ? A trois, quatre ans ce doit être angoissant, insupportable.
Le dalmatien emmènera-t-il son maître en promenade aujourd’hui ? Sûrement, ces animaux doivent sortir au moins deux fois par jour. Je ne l’ai pas encore vu passer. Peut-être attend-il la fin de l’averse ou bien est-il passé pendant que je lisais les chroniques de Marguerite Duras.
L’horizon est brumeux, le vent s’est levé, l’air est plus frais. Il ne pleut plus, mais le ciel me dit que ce n’est qu’un répit de courte durée, les nuages sont lourds. Le temps idéal pour un bon thé bien chaud. 16H 45 c’est la bonne heure pour le thé , la pluie reprend son doux chuintement sur les carreaux et il fait plus sombre tout à coup. L’averse s’est intensifié, il pleut dru maintenant et le jardin va être arrosé, les oiseaux se sont tus cette fois -ci !

Mardi 28 Avril 2020, 18h24
Il pleut encore, gros nuages gris anthracite. Le vent entre par le Velux ouvert, le fond de l’air est plus frais qu’hier. C’est peut-être le vent qui refroidit l’air. Il y a quelques jours on se serait cru en juillet, aujourd’hui c’est septembre. Avec ce manque de repère, on ne sait plus quel jour on est et si maintenant la météo s’y met, on ne va plus savoir quel est le mois !
Aucun bruit qui monte de la rue jusqu’à moi sous les toits. Si le temps a chassé les enfants il a sans doute aussi obligé les tracteurs à rester dans les granges. Je n’ai toujours pas vu le dalmatien tirer son maître pour sa promenade. Ce n’est pas ainsi qu’il va retrouver une ligne digne de sa race canine ! Je ne sais pourquoi je trouve que cet homme a une drôle de tête : visage fermé, triste. Il ne doit pourtant pas être très autoritaire puisque c’est le chien qui le conduit et qui semble décider du chemin à suivre. Se sent-t-il obligé de sortir son animal ? Cela ne paraît pas être un plaisir pour lui mais une corvée. Il n’est peut-être pas le maître du dalmatien. Celui-ci appartient à un de ses enfants ou à sa compagne. C’est possible. Je me souviens la première fois que je l’ai vu, j’ai dit que le chien était beau et j’ai vu la surprise se peindre sur son visage. Je ne me souviens plus de ce qu’il m’a répondu, il a bredouillé quelques mots et a été emporté par l’animal. Le confinement peut lui être pénible. Il commence à l’être pour beaucoup de gens qui exigent des dates précises pour le déconfinement que personne ne peut donner, les restaurateurs sont déçus de ne pas pouvoir rouvrir leur commerce, les parents inquiets que leurs enfants reprennent l’école. Les gens n’aiment pas les incertitudes, le flou des déclarations mais surtout le fait de devoir vivre encore longtemps avec ce virus qui traîne invisible et dangereux.
La pluie s’est calmée. Ce soir je ne verrai pas la lune avec Vénus à ses côtés ni même les étoiles.

Mercredi 29 Avril 2020, 16h46
Deuxième jour de pluie. Le vent a forci. De temps en temps les averses sont plus violentes. Pas envie de mettre le nez dehors. J’ai vu passer le dalmatien ce matin. La météo ne semblait pas le déranger. Mais son maître n’en aurait pas dit autant si on le lui avait demandé ! La capuche de son K-way lui dégoulinait sur le nez qui lui-même goûtait sur son menton. Pour la première fois il n’était pas seul. Un jeune garçon d’une dizaine d’années l’accompagnait, et comme le chien, il ignorait la pluie et le vent sautillant entre les flaques. L’homme malgré tout semblait plus détendu, sans doute par le fait de n’être plus seul derrière l’animal qui le tractait sans état d’âme.
Les cris et les rires des enfants commenceraient presque à me manquer. La pluie tambourine sur le Velux, impossible de l’ouvrir. Confinement total.
Voilà maintenant que les enfants ont une étrange maladie dont on avait jamais entendue parler. Heureusement les cas sont rares, nous dit-on. Mais ne vont-ils pas augmenter et devenir à leur tour une nouvelle épidémie ? Là encore tout le monde médical s’interroge. On n’a jamais vu ni entendu autant de « blouses blanches » à la radio et à la télé. Des spécialistes ainsi que leur spécialité jusqu’ici inconnus du grand publique sont interviewés. La Science est dés plus sollicitée. Le monde attend d’elle des médicaments et un vaccin miraculeux pour enfin pouvoir oublier cette période cauchemardesque.
Les averses se sont arrêtés, il bruine , l’air est chargée d’humidité. Aujourd’hui, pas de thé dans le jardin mais auprès du poêle rallumé pour chasser la fraîcheur de cette grise journée.

Jeudi 30 Avril 2020, 16h27
La météo joue entre averse et soleil. Le ciel charrie de gros nuages ventrus et cotonneux, le vent les déplace à grand coup de rafales. J’imagine qu’ils ne sont pas contents car ils deviennent gris et il pleut.
Tu es venu me rejoindre dans mon bureau. Chez moi. Ce bureau c’est chez moi : la seule pièce de la maison qui me ressemble vraiment. Ici je fais ce que je veux, j’y mets ce que j’aime, tous mes écrits que je ne t’ai jamais fait lire, tu ne touches à rien, C’est pour cela que ta présence est rare.Pourtant tu viens de temps en temps, il s’agit le plus souvent d’un bref passage, de quelques instants partagés. Un thé avec un goûter que tu as préparé. Moments d’échange, de discussion. Tu t’installes dans le canapé et tu me regardes.
Je te décris par le Velux le vent qui joue dans les longues fleurs de la glycine et ébouriffe les pivoines. Puis je vais à l’autre juste au moment où le dalmatien toujours aussi fougueux entraîne son maître dans sa promenade quotidienne. Il doit être aidé par le vent qui le pousse et le chien qui le tire. Aujourd’hui il est de nouveau seul et porte une casquette rouge. Il a retrouvé son visage fermé. Il ne porte pas de masque. Il ne craint pas grand chose, il est seul dans la rue.
On parle toujours et encore du déconfinement, des Hypermarchés qui voudraient rouvrir mais qui sont trop grands. Toujours l’économie en balance avec le social. Pas de défilé du premier mai, pas de vente de muguet dans les rues. Incroyable les conséquences qu’engendrent un invisible virus !
Maintenant la grêle s’est associée au vent, les nuages sont vraiment en colère.Tu me dis que tu crois avoir entendu gronder le tonnerre. Mais la grêle fait un bruit pas possible sur les Velux on ne s’entend plus parler. Les petites billes de glace glissent sur les carreaux. Puis soudain le bruit cesse et le soleil réapparaît. Giboulées de mars en presque mai ! C’est ce que je disais on ne sait plus où on en est ! Les saisons fluctuent, le virus voyage, le monde se confine. La Terre est-elle toujours entre Vénus et Mars ?
J’espère que le dalmatien est rentré à temps.

Vendredi 1° ai 2020, 15h 58
Le ciel est chafouin, entre soleil et averse il hésite. Les nuages nous promettent de la pluie mais pour le moment elle ne tombe pas. Je suis allée dans le jardin. Plus un brin de muguet tu m’avais cueilli le dernier ! Alors j’ai photocopié le dessin d’un brin et je te l’ai offert pour ne pas rester sans rien un 1° mai ! Il est déjà assez particulier comme ça. Il n’y a pas à dire la nature se venge même ici. Le muguet a fleuri une semaine plus tôt. Pour nous narguer, nous envoyer un message, nous signifier que nous ne sommes pas tout puissant même quand il s’agit de fleur ?
Toujours les mêmes discussions, les mêmes débats : Quand ? Quand pourrons -nous reprendre une vie normale ? Et pourquoi pas une nouvelle vie ? Une nouvelle manière de vivre ?
Je vois que tu commences à faire des projets, aller voir les enfants en juillet et moi pourrai-je aller une semaine dans le dijonnais comme les autres années ? Tout est incertain, difficile de se projeter même dans un avenir proche mais cela fait du bien d’en parler.
Pas vu le dalmatien ce matin, juste entendu une voix d’enfant qui passait avec sa mère devant la maison. Je l’ai remarqué car les passants se font rares et surtout les enfants depuis qu’il pleut. Ils doivent être en train de faire les devoirs en retard puisqu’ils doivent reprendre l’école dans dix jours.
En regardant par le Velux tu me dis qu’il n’a pas encore plu et qu’il ne pleuvra certainement pas aujourd’hui.

Samedi 2 mai 2020, 14h 44
Le ciel est gris avec quelques nuages bas. Il fait plus doux qu’hier et le vent est allé folâtrer dans une autre contrée. Les bruits de ballon frappant le sol et les cris d’enfants montent de nouveau vers moi. Tu me dis que les gens qui habitent un peu plus loin ont fait un barbecue à midi et qu’ils ont mangé dehors, tu vois encore un peu de fumée se dissiper dans l’air et la table n’est pas tout à fait débarrassée. Bruit d’une tondeuse : On se croirait dans la vie d’avant d’un début de week-end ordinaire. Les gens anticiperaient-ils le déconfinement de notre zone verte ? Maintenant nous sommes désignés par zone verte ou rouge et la carte fluctue selon le nombre de personnes hospitalisées. Rouge hier verte aujourd’hui et peut-être de nouveau rouge demain. Comment faire des projets ? Toi cela ne te gêne pas. Tu imagines le mariage de ta fille, tous masqués. Comment manger à distance et danser sans se toucher ? Certaines personnes ne pourront pas venir, les plus âgées. La fête pourra-t-elle être joyeuse dans ces conditions ? Moi je préférerai qu’elle soit repoussée. De cette façon je pourrais aller dans le dijonnais chez mon amie … peut-être : zone rouge ou verte pour elle fin-août ? Aurons-nous le droit de changer de département et même d’en traverser plusieurs ? La vie va devenir compliquée !
Le dalmatien est parti en promenade vers 17h 30. Son maître m’a jeté un coup d’œil en passant, un regard qui n’exprimait rien. Il était seul, sans casquette juste un gilet gris comme le temps. Pas de pluie, juste un timide rayon de soleil dans l ’après midi.