Jour 32 du Grand Confinement

dimanche 19 avril 2020, par Frédérique Niobey

Dans la ville immobile et déserte
A pas lents la nuit s’est posée
Robe d’ombre et fenêtres éclairées

C’est l’heure du lion sur la rue bitumée

Il ouvre les paupières dans la demi obscurité
Il marche avec mystère
Sur son cou se dresse sa crinière
Ses flancs efflanqués frémissent de colère
La terre tremble sous ses pas
Il revient le front bas
Les griffes écartées
Inquiet et décidé
Il revient voir si dans son lit coule la source
Son pied en se posant semble s’arrêter
Une lumière l’inonde au centre du tableau
L’air s’est infecté dans cette ville morte
Grasse de pétrole et de papiers jetés
La vie s’est confinée dans sa savane souillée
On le regarde terrorisé
au travers des fenêtres fermées

C’est l’heure du lion sur sa terre usurpée

Il a passé des mers immenses
Mordu d’invincibles barreaux
Il a eu peur de l’homme et de son fouet vivant
Qui lui cinglait le dos
Où sont-ils donc ces tyrans
Et ces regards d’enfants éperdus de frayeur
Tandis qu’il rugissait d’une d’impuissante rage

C’est l’heure du lion sur sa terre retrouvée
Une infinie douleur semble l’arrêter

JM

" Je m’appelle Jobissen
et je suis le roi de la ville
Je suis un lion
mais ça ne compte pas
Ca ne compte pas car là où je suis il n’y a personne
Il n’y a personne car c’est la nuit
Je m’appelle Jobissen
et je sais où je vais
les hommes éclairés de l’intérieur le savent
Je m’appelle Jobissen
et j’avance dans la nuit
la nuit n’est pas toujours le vide...
Les mots bleux sont des mots de la nuit
de la nuit, de la vie aussi."
Geneviève F.

Nuit noire et minuterie.
Minute papillon.
Vert ! Je passe.
Rouge : Je m’arrête.
Le lion en avait marre de tourner dans sa cage d’escalier.
Il a pris la poudre d’escampette pour se dégourdir les pattes.
C’est un mois sur le fil, d’arrêt qui déborde.
Nous voilà en route vers le trente deuxième jours,
même les mois ont perdu leur temps, et ne savent plus compter.
Un printemps qui se décamonte, printemps loupé, fleuri et virulent.
Le confinement est un oxymore à lui tout seul, d’un printemps calfeutré.
Les enfants sont tous en grandes vacances et ne peuvent même pas venir au zoo,
les grands-parents encore moins les garder.
Les gens sont chez eux, confinés, pour oublier qu’ils sont bel et bien, embastillés.
Tout est à l’envers !
Les humains dans des cages, se confinent.
Les animaux sauvages dans les rues, mutinent.
Les chamois ont quitté les montagnes.
Les biches et les cerfs s’encanaillent sur le macadam, et serpentent nos rues.
Les lapins et les canards ont contracté des abonnements sur l’autoroute du soleil.
Les dauphins accostent dans les ports.
Au port, les bateaux au corps-mort ont baissé le pavillon.
Nuit noire en ville. Périmètre limité.
A propos de territoire :
« La nuit est la preuve que le jour de suffit pas » dit l’adage
Seul, le hall d’un immeuble reste allumé.
Que tu sois papillon ou lion
Minuterie minute papillon
« Qui peut éteindre la nuit ? »

Stéphane.

Le roi des animaux déambule d’un pas tranquille dans la ville fantôme. La nuit est paisible, pas un bruit. Seuls les feux de signalisation continuent inutilement leur ronde colorée : vert, orange, rouge, vert, orange, rouge. Les quelques endroits éclairés ne le dérangent pas. Il visite le territoire des Hommes.
Du zoo dont il s’est enfui, il ne connaît que les bruits de la ville. Les Hommes qui viennent le regarder ne l’intéressent pas. Seuls ses gardiens ont une certaine importance car ce sont eux qui lui apportent sa nourriture et le soignent. Mais il sait pouvoir s’occuper lui-même de cela. Il est parti parce qu’il sentait depuis quelques jours que quelque chose avait changé : plus aucun humain devant son enclos, les visites des soigneurs moins régulières et leur attitude nerveuse le dérangeait, il les sentait inquiets. Plus de bruit. Puisque l’occasion s’était présentée (une porte mal fermée à cause de la précipitation d’un soigneur), il l’avait saisie.
Il est surpris de ne voir aucun humain. Ont-t-ils fui leur territoire ? Pour quelle raison il ne s’en soucie pas. Il se demande seulement si il peut agrandir le sien. Mais il est déçu.
– Ce sol ne sent pas bon, il est chaud. Qu’ont-t-ils fait de la terre et de l’herbe ? Odeurs de chien, beaucoup de chiens. Odeurs d’humain mais qui datent de plusieurs semaines, les récentes sont moins nombreuses.
L’animal pour le moment constate ce que ses narines lui indiquent. Il tend aussi l’oreille.
– Chants d’oiseaux, là haut dans les arbres.Voix lointaines, étouffées d’humains. Ils ne sont pas partis, ils sont cachés dans ces boîtes. Ils ont peur. Pas tranquilles.
Ce ne sont ni son flaire ou son audition qui lui indiquent, ce sont les vibrations, c’est dans l’air, dans l’atmosphère de la ville.
Subrepticement, des images s’insinuent dans son cerveau : savane, antilopes qui sautent en s’enfuyant dans les hautes herbes sèches. Ce ne sont pas ses propres souvenirs. Il n’a jamais connu les plaines africaines, il est né au zoo. Ce sont les souvenirs de ses ancêtres inscrites dans ses gènes. Il a faim. Pas de lionnes pour chasser. Il est seul. Soudain il capte une odeur.
– Loin, forêt. Gibier.
Le lion accélèrent le pas. Il traverse un pont passant au dessus d’un fleuve, Il suit l’odeur, Un bruit de la ville se rapproche. Un véhicule arrive à toute allure clignotant blanc / bleu. L’animal s’écarte en grognant. Le véhicule passe et semble ne pas l’avoir remarqué. Au bout d’une rue un humain avec un chien. L’homme pousse un cri, s’enfuit à toutes jambes et entre dans une de ces boîtes.
Au milieu de la nuit, le lion arrive aux abords d’une forêt. L’odeur est toujours là, elle vient d’au delà des arbres. Il sait qu’il doit les traverser pour la rejoindre. Il hésite. Ce n’est pas un endroit pour un lion. Trop d’arbres, territoire dangereux. Mais il a faim. Alors il se glisse entre les troncs, sans bruit jusqu’à la clairière où paissent tranquillement une harde de biches...

« URGENT : un lion a été vu dans les rues de la ville cette nuit, il a dû s’échapper du zoo. Des équipes sont à sa recherche. Soyez prudent prévient le préfet, ne sortez pas votre chien la nuit. »
– Papa ! Papa ! Vient voir, la télé dit qu’il y a un lion dans les rues !
– Un lion ! ? Ils ne savent vraiment plus quoi inventer pour qu’on reste confiné !

Françoise

Le lion et le monde malade

C’était un temps lointain de sombre épidémie,
une immense cité où la vie s’était tue,
un large carrefour habité par la nuit
qui offrait au regard le vide de ses rues.
Un homme au loin prenait le frais à sa terrasse
et le crayon courait sur son carnet ouvert,
saisissant ce moment où tout restait en place
et trahissait pourtant un nouvel univers.
L’homme depuis deux mois enfermé dans sa tour,
avait vu sous ses yeux naître le sortilège
de la vie comme elle va privée jour après jour
de ce qui la faisait tourner comme un manège.
Les grilles étaient tombées cachant les devantures,
les gens avaient marché de moins en moins nombreux,
plus de tramway grinçant, bientôt plus de voitures
et le silence roi, mais un silence ombreux
qui n’avait rien à voir avec la trêve heureuse
dans trop de bruit subi qu’on se plaît à chasser,
et l’on se surprenait à guetter les voix creuses
des mots du quotidien et les bruits exilés.
Et voilà que ce soir Sire lion revenait
dans le clignotement des feux inopérants,
même pas arrogant, comme s’il regrettait
qu’on ne lui permît pas de saluer les gens.
Le désert opposé à sa soif amicale
décevait son espoir d’animal né au zoo,
et tout ce bel espace au vert ou rouge fanal
s’il était sans humains ne pouvait être beau.

Tu es un rien sceptique lecteur de peu de foi
c’est pourtant vérité et je te la rapporte
du carnet retrouvé de l’homme d’autrefois.
Du virus assassin la fable n’est pas morte...
Antoinette