Jour 25 du Grand Confinement

dimanche 12 avril 2020, par Frédérique Niobey

’Nuit jour....nuit jour ..... nuit jour.....
Ya du monde au balcon
On voit dehors
On voit dedans
L’intimité de l’autre confinée éclairée
Nuit jour....nuit jour....nuit jour....
Bravos à 20 heures Bravos à 8 heures
Entre temps le temps se détricote
"Questions pour un balcon"
Ouaoua ouaoua oua ouaa ouaaaa
Come di come di
Comédie d’un jour
Vas-y, Paolo, sautille sur ton clavier
Come di come di
Ouaoua ouaoua ouaaaaa ouaaaaa ouaoua ouaaaaaaa....
Geneviève F.

Ça doit être la super lune
Il fait nuit comme en plein jour
On la sent si proche
sa lumière qui caresse les ardoises des toitures
qui tambourine aux fenêtres
qui veut rentrer au chaud de la maison
Tout le monde debout !
personne ne dort
C’est la nuit de la Super Lune qu’on se le dise
Ils sont tous bien réveillés qui la regardent
qui l’admirent, tout éblouis qu’ils sont
éclaboussés de ses éclats dorés
Elle est prête pour la fête la Super Lune
Certains ont sortis leur instruments
ceux là ajoutent leur voix à la lente mélodie qui s’épaissit
qui prend corps et s’enroule comme un tourbillon
Ils y mettent toute leur âme qui se mêlent, s’emmêlent dans cette danse de l’air
C’est une sérénade qui monte au ciel
Un hommage à la Super Lune
Caroline

Les sirènes ont retenti d’un coup dans la nuit noire . Très bref mais d’une violence inouïe.
Elles se sont éteintes aussi vite qu’elles avaient lancé leur son strident.
Je ne dormais pas encore.
Mon rythme de travail de nuit à l’hôpital me fiche tout mon biorythme du sommeil par terre.
La médecine du travail prévient de ne pas abuser des gardes de nuit.
La jeunesse donne l’illusion qu’on peut tout faire.
C’est un peu plus tard que l’on comprend les âges et limites du corps. Il faut que jeunesse se passe.
En allant dans le salon, j’ai vu la lumière aux fenêtres des voisins qui me font face.
Accoudés à la rambarde. Je vois des ombres chinoises. J’essaye de les reconnaitre.
Difficile de nuit. Je me demande toujours si je devais témoigner :
- Alors vous dites : Plutôt grand ? petit ? les cheveux ? Quelle couleur les cheveux ? Il était quelle heure ?
Vous avez bien une idée ? C’était le milieu de la nuit ? Le matin. Essayez de vous souvenir.
Vous avez remarqué un détail quelque chose de pas ordinaire. Ils étaient combien ? C’était à quel étage ?
La lumière était-elle allumée ? Accoudés, sur plusieurs fenêtres, ouvertes ou fermées ?
Rappelez-vous c’est important, le moindre détail est important. Tout peut nous aider à résoudre cette affaire.
Ah ! Vous êtes myope ! De nuit et d’aussi loin, pas très fiable, déjà il ne pleuvait pas, mais bon...
Je crois que c’est comme ça que les flics auraient enquêté.
Faut que j’arrête les policiers, les livres, et les séries dans la journée.
Il fait doux. La semaine dernière la pleine lune rose nous aurait rapprocher les uns des autres.
Comme une veilleuse, créant une ambiance tamisée, chaude. La lune inspire toujours.
Des enfants qui naissent plus qu’à l’accoutumée. Des histoires de fées et de lutins magiques,
de sorcières aussi. Des cheveux que l’on coupe les soirs et nuits de pleine lune.
En fait il ne s’est rien passé du tout, de plus. Un coup de sirène dans la nuit.
Un excès de zèle d’un pompier fatigué. Une sonnette intempestive d’un ordinateur surchauffé.
Un test de vigilance.
On s’est fait des petits gestes amicaux. Interlude nocturne.
J’aime bien mon quartier. Vie calme. Il ne s’y passe pas grand chose.
Je me suis demandée si en plein jour, j’allais pouvoir les reconnaitre ?
Stéphane.

La nuit est tombée, les fenêtres s’éclairent les unes après les autres. Ils ne me voient pas, ils ne savent pas que je suis là, je suis invisible. Chaque soir, quand la lumière décline, entre chien et loup, je me glisse sur mon balcon, je me tapie dans mon fauteuil boule, une couverture sombre ramenée sur moi et je regarde, j’écoute, je respire. D’abord les odeurs, le parfum du jasmin au rez-de-jardin, deux étages plus bas, sucré et épicé et celui de l’oranger du Mexique, énorme qui mange le balcon de droite, légère senteur d’agrume et à gauche pousse un chèvrefeuille anémique mais opiniâtre qui embaume l’air du soir, parfois ces délicieuses fragrances sont masquées par de bonnes odeurs de cuisine qui mettent l’eau à la bouche mais il arrive aussi que mon odorat soit agressé avec des relents de friture ou de cramé, tout le monde n’est pas cordon bleu. Dans l’immeuble en face, la première fenêtre éclairée est celle de la chambre d’une étudiante, une jolie blonde à la silhouette élancée, on se croise quelquefois à la supérette, on se sourit aimablement. Et puis c’est le sportif qui sort sur son balcon, tout est allumé, c’est Versailles chez lui, il est en général torse nu, tellement fier de son corps sec et musclé, il se pavane, le balcon est étroit sinon il ferait la roue ! Tous les matins, il fait son jogging dans une combinaison scandaleusement moulante. J’observe l’appartement situé juste en face du mien, il est occupé par un couple détonnant, lui, une soixantaine d’années, portant encore beau en dépit d’un embonpoint confortable, le regard hautain, suffisant, un homme pas très sympathique en fait, elle, plus jeune, ressemble à une petite souris grise, craintive, toujours affairée, elle me fait pitié malgré une voix criarde aux accents geignards qui rebondit de balcon en balcon les soirs où il y a de l’électricité dans l’air. Quand les esprits s’échauffent et que les cris fusent, c’est toujours lui qui ferme les fenêtres, je me demande ce qui se passe ensuite, le silence est assourdissant. On s’est parlé pour la première fois il y a un mois alors qu’elle cueillait les petites baies vertes du jasmin de mes voisins d’en bas, elle a paru très ennuyé que je la surprenne, mais je l’ai assuré de ma discrétion, elle s’est montré volubile et m’a promis de me donner sa recette de gelée, moi qui croyais que ces petites boules étaient toxiques ! Cela fait plusieurs jours que je ne l’ai pas vu lui et hier, je l’ai aperçu, elle, par la baie vitrée et malgré la distance elle me semblait très agitée, elle se démenait pour tirer un gros paquet que je ne distinguais pas, elle devait profiter de l’absence de son mari pour faire un peu de rangement et ce soir, elle vient d’allumer une petite lampe, sa silhouette se découpe et on dirait qu’elle scie quelque chose, quelle cachottière, elle doit lui préparer un cadeau. Incroyable, alors qu’elle avait devant elle quelques jours de tranquillité, elle se démène pour lui faire une surprise ! Le couple du troisième fait une rapide apparition, ils viennent d’avoir un bébé, un bébé hurleur qui crie, tempête jusqu’à ce que sa mère le rentre, dès la porte passée, on ne l’entend plus, le père reste le temps de fumer une cigarette. Il est tard, désormais la façade de l’immeuble est sombre, tout est tranquille, endormi. Il est temps pour moi de rentrer.
Roselyne

Ils n’ont plus que ça, les gens des villes, confinés dans leur appartements : la fenêtre. Surtout le soir propice à la baisse de moral. Se signaler par la lumière et l’ombre chinoise de leur corps pour prouver aux yeux de tous qu’ils existent encore, qu’ils sont là, bien vivants. Communiquer quand même, envoyer des messages aux soignants, s’inventer une nouvelle existence, de nouveaux rituels. S’observer à distance comme dans « fenêtre sur cour ».
C’est bien beau de se voir sur des écrans, se parler par vidéo mais rien ne vaut le véritable contact même à un mètre de distance.
Les gens des villes habitués aux bruits, à la cohue et à la promiscuité dans les métros, à la vie trépidante, découvrent le silence l’éloignement la lenteur des jours qui passent sans se presser. Ils sont désorientés, perdus, interloqués ou incrédules.
Cela me fait penser à l’histoire du rat des villes et du rat des champs. Ces parisiens si fiers de vivre dans la Capitale, se retrouvent à partir en catimini à la campagne (enfin ceux qui peuvent, ceux qui n’en ont rien à faire des consignes de sécurité) ! Je comprends leur désarroi, leur difficulté surtout si ils ont des enfants. Mais un peu moins de condescendance et un peu plus de considération pour les gens de la campagne ne serait pas de trop. Cela fait peut-être cliché mais ce sentiment de supériorité existe toujours chez certains.
Pour le moment pas de révolte peut-être cela est-il dû à la sidération et à la peur.

Est-ce Ivan Oroc à sa fenêtre et la petite Mira à l’autre qui communiquent sans se voir ? Ou bien ce sont des gens qui eux non plus ne se connaissaient pas il y a encore un mois. Ils se croisaient sans doute dans l’escalier se disant bonjour par politesse. Aujourd’hui ils ont envie de se parler. Ils deviendront peut-être amis plus tard quand ils pourront s’inviter pour un apéritif les uns chez les autres, heureux de faire vraiment connaissance.
Ils n’ont plus que ça, les gens des villes, confinés dans leur appartements : la fenêtre.
Françoise

-  Tu m’expliques pourquoi tu n’as rien écrit ?
- J’avais rien à dire.
- Ce n’est pas comme si tu devais inventer. C’était une photo. On peut toujours dire au moins ce qu’on voit.
- Ben justement.
- Quoi, justement.
- Je voyais rien.
- Sois sérieux un peu. Bien sûr que tout n’était pas très explicite. Mais ne dis pas que tu ne voyais rien.
- Je ne savais pas ce que je voyais.
- Voilà. Là, tu m’intéresses. Raconte un peu.
- C’était chelou.
- Bizarre ?
- Oui, c’est pas possible qu’il y ait pas eu un truc.
- Un trucage ?
- Ben oui. Là d’où on regarde, on va dire qu’il fait nuit.
- Oui, et ?
- Et de l’autre côté des fenêtres il fait jour.
- Donc on aurait fabriqué le noir devant ?
- Oui. Ou alors dedans c’est un jour artificiel, des projecteurs dans une cour.
- Une cour ?
- Oui. Je sais pas. On voit comme un coucher de soleil en haut et à l’arrière-plan des fragments d’architecture, un château ou dans le genre. C’est comme si la façade était là toute seule. Sauf peut-être à l’étage du milieu.
- Continue.
- On dirait un théâtre. Les gens aux fenêtres ça pourrait être des acteurs. On a une impression de prison aussi. Ce qui passe devant les fenêtres là, ça peut être aussi bien des fragments de barbelé que des branches. C’est pas clair, sans déconner.
- Sérieusement.
- Quoi ?
- Sérieusement, ce n’est pas clair.
- Peut-être que ça pourrait être un chantier aussi. Un gros truc, j’sais pas, comme une démolition. Les gars aux fenêtres attendent du matos, des instructions. Ou ils font une pause clope. J’sais pas.
Oui, ça me parle d’un chantier aussi, mais ça n’explique pas la nuit et le jour. Ou alors comme je disais y’a des projos, pour bosser soit très tôt soit très tard.
- Eh bien, tu vois. Tu vois.
- Vous foutez pas de moi, sérieux.
- Sérieusement.
- Ok. Et y’a aussi un jeu de regards qu’on sent. Entre ceux-là aux fenêtres et d’autres qu’on voit pas. Et puis nous.
- Nous ?
- Ben oui, vous me dites de regarder, je regarde. J’aime plutôt bien mais c’est grave zarbi quand même.
- Un peu particulier oui, mais si je vous demande vos impressions sur la photo d’un monsieur qui promène son chien dans un quartier banal, on n’aura très vite rien à se dire.
- C’est pas faux.
- Du coup la prochaine fois j’aimerais bien ne pas avoir à téléphoner pour récupérer ton travail. N’abusons pas des charmes de l’enseignement à distance ! Vocal, le fichier, si ça te bouche les yeux quand il faut écrire. J’aurais les copains pour les fautes d’orthographe.
- Merci Monsieur Lambert. Sérieux, promis.
Antoinette