Jour 22 du Grand Confinement

mercredi 8 avril 2020, par Frédérique Niobey

Comme les deux mardis passés, retrouvons IVAN OROC sur le site Feuilles de Route de Thierry Beinstingel  :

Ivan Oroc existe depuis maintenant 20 jours, Vous pouvez lire ce qu’il devient ici :

www.feuillesderoute.net/surivanoroc.htm

ou écouter ce qu’il devient ici :

http://www.lairnu.net/ce-qui-nous-e...

Une fois lus ou entendus les 7 chapitres de la semaine, on imagine le vingt et unième !

Depuis la destruction de ses livres , chaque nuit, Ivan Oroc rêvait. Il se demandait si il devait pas considérer ces rêves plus comme des cauchemars. Les personnages ou les auteurs de ses livres défenestrés venaient le hanter. Par exemple Rimbaud sous un tilleul au bord de l’eau déclama inlassablement à haute voix le « dormeur du val » pendant toute une nuit.
Gaffiot passa en revue les déclinaisons : dominus, domine, dominuum, domini, domino, domino puis au pluriel. Il passa ensuite à rosa, rosae, rosam et en fond Ivan entendait la voix de Brel :
« C’est le plus vieux tango du monde Celui que les têtes blondes Ânonnent comme une ronde En apprenant leur latin C’est le tango du collège Qui prend les rêves au piège Et dont il est sacrilège De ne pas sortir malin... »
Dans la même nuit Keith Richards bouscula Brel pour entamer le riff de « Satisfaction » jusqu’au matin.Ce qui fit que toute la journée Ivan eut la chanson en tête « I can’t get no, I can’t get no, I can’t get no ».
La nuit la plus cauchemardesque fut celle où il entendit sa propre voix ânonner « Paysage et portrait en pied de poule » de la première phrase à la dernière et recommencer « Des clochers raclent le ciel comme des navires échoués... »
Il se réveilla en sueur, avec un terrible mal de gorge. Quand il voulut discuter avec Mira il s’aperçut qu’il était aphone.
Françoise G

La nuit est tombée sur la petite chambre. Ivan Oroc allongé sur le lit, les bras le long du corps, immobile, oscille entre sommeil et veille. La lune ronde semble le regarder d’un oeil narquois. Il murmure : « la lune comme un point sur un i », c’est un extrait d’une poésie qu’il a appris en primaire, Il se revoit, sur l’estrade, pointant un doigt conquérant vers le ciel, essayant de mettre de la vie dans sa récitation, espérant ainsi faire taire le bruissement de la classe indifférente à sa prestation.
Ivan ferme les yeux, jamais il ne pense à son enfance, qualifiée d’inodore et sans saveur et qu’il a relégué aux oubliettes. Un raclement lui fait rouvrir subitement les yeux, une masse ronde et rose s’est perchée sur sa fenêtre, Ivan se redresse sur son lit et se penche, il aimerait, en ce moment, chausser une paire de lunettes pour corriger sa vision mais il n’en possède pas, sa vue s’étant révélée excellente lors de son dernier examen. Le petit cochon sur sa fenêtre n’est donc pas une aberration visuelle, c’est, se rassure Ivan, un rêve et il se pince et ça lui fait mal. Le cochon hisse quelque chose de l’extérieur et c’est un deuxième cochon qui débarque puis un troisième, tous les trois, tant bien que mal, s’installent sur le rebord de la fenêtre et lui font face. Ils ne ressemblent pas aux cochons familiers que l’on peut voir dans une ferme mais semblent sortir tout droit d’un album pour enfants. Ils conversent à voix basse en lui jetant de temps en temps des regards courroucés. Ivan tend l’oreille, il n’entend que des grognements, ce qui lui paraît évident mais l’inquiète aussi, le langage porcin lui étant étranger, la conversation risque d’être compliquée mais contrairement à son attente, celui qui lui semble être le chef (il porte une casquette) s’adresse à lui dans un français très compréhensible :
- Sais-tu qui on est ?
Trois paires de yeux ronds le fixent sans aménité.
Ivan hésite à répondre, il croit les avoir reconnu, ce sont les cochons campés sur l’enseigne de la boucherie- charcuterie « les trois petits cochons », où il prend régulièrement du jambon (excellent) et des rillettes (un peu grasses mais quand même bonnes), Ivan ouvre la bouche, heureux d’avoir une réponse mais au dernier moment il réalise que parler jambon et rillettes à des cochons n’est sans doute pas approprié ! Il se tait.
Ses trois interlocuteurs échangent des regards entendus, celui du milieu (il a une écharpe colorée autour du cou) prend la parole, agacé :
- Les contes de Grimm, ça te dit quelque chose ?
Ivan fait une moue embarrassée, le troisième cochon (le plus jeune sans doute car moins replet et vêtu d’une ridicule veste sans manche à franges) gesticule agressif :
- Et Blanche-Neige ? Cendrillon ? La belle au bois dormant ? Non ?
Ivan acquiesce, si si il connaît, sa soeur était friande de ses fables, les sorcières, les nains, les princes charmants, ah les princes charmants, sa soeur en rêvait et d’ailleurs à trente-cinq ans, elle l’attend toujours son prince ! Mais lui non, il a, de tout temps, refusé d’écouter ces balivernes...
Les trois cochons consternés alors lui disent, à tour de rôle, d’une voix d’abord doctorale puis passionnée tout ce qu’il a manqué en dédaignant les contes de fées, la leçon dure longtemps et Ivan sanglote, inconsolable sur cette part d’enfance perdue à jamais.
Les trois petits cochons émus par cette détresse viennent sur le lit et lui content alors, à mi-voix toutes ces histoires magiques.
Ivan Oroc rassasié de merveilleux finit par s’endormir.
A son réveil, les trois petits cochons ont disparu, un joli rêve se dit Ivan, dans sa tête se bousculent d’étranges histoires de princesses, de marâtres et de pommes empoisonnées... Il se promet d’acheter, dès qu’il pourra sortir, une liseuse pour lire, enfin, ces fameux contes ! Ivan Oroc va ouvrir la fenêtre, il tend son visage vers ce précoce soleil d’avril, accrochée à la gouttière flotte une écharpe colorée.
Roselyne

Lumières dans la nuit. Lucioles. Veilleuse. Les fantômes de tous ses livres, pensa-t-il encore.
Présence, c’est indéniable. Mais c’était aussi tout un alphabet qu’il avait engrangé et que Bob Lebel ou je ne sais quel robot, jamais ne lui ôterait ça de la tête. Toutes ses phrases l’habitaient, et l’aidaient à tenir debout.
C’était voyage de nuit autour d’une étagère fantôme. La pleine lune éclairait aussi sa chambre.
En face, l’appartement était éteint depuis quelques jours, il n’avait pas vu de mouvement ni ami ni suspect.
Le drone n’avait pas été rodé vers là-bas, juste vers sa fenêtre. Etait-il possible qu’il soit l’objet de délation ?
Les jours passaient, il s’habituait à son étagère vide. La petite de la pièce d’à côté,
le maintenait dans une forme de sociabilité, elle apprenait vite et lui, restait en vie et en lien.
Il avait l’impression d’exister pour elle, et d’être important à ses yeux aussi. Cela l’aidait à tenir dans son antre.
Les jours suivant, Yvan s’octroyait une sieste. Il s’assoupissait cinq à dix minutes en se rappelant des passages de ses livres disparus. Il se souvient « De la vie privée des mots » de Alain Roussel
« ( …)regardant par sa fenêtre, le monde me tient à distance. Il ne me lance pas de passerelle.( …)
J’en viens à me dire que la lettre perdue n’est peut-être pas si introuvable que ça.
Par amour elle serait passée de l’autre côté du monde.(…) d’arbre d’amant en amant,
elle serait là se pâmant parmi les feuilles impudiques. (…) scrutant les dentelures, fouillant les jupons de verdure, à la recherche d’une lettre amoureuse(…) Evidemment tu es nue.(…)Ah quelle belle lettre tu fais…tu me montres tes jolies jambes. (…)
Le dernier petit mot roulé de Mira tenant en cinq phrases :
- Jouer avec des fées
- Me faire pousser des ailes
- Tresser les cheveux d’une sirène
- Voler jusqu’à la lune
-Chevaucher une licorne.

Stéphane.