Jour 15 du Grand Confinement

mercredi 1er avril 2020, par Frédérique Niobey

Aujourd’hui mardi, retrouvons IVAN OROC, imaginé par Thierry Beistingel, sur son site Feuilles de route.

IVAN OROC existe donc depuis maintenant 13 jours, et tente de Décamérer comme il peut !

Vous pouvez lire ce qu’il en est de ces aventures ici :
www.feuillesderoute.net/surivanoroc.htm

ou écouter ces mêmes aventures ici :

http://www.lairnu.net/ce-qui-nous-e...

Une fois lus ou entendus les 13 premiers chapitres, il ne reste plus qu’à imaginer le quatorzième.

IVAN OROC CHAPITRE 14

" Mira a ri
Yvan Oroc est heureux.
C’est la première fois depuis l’enfermement par le CRAC, nouveau comité révolutionnaire :
Good job Bob.
Mira a ri
Yvan Oroc est heureux.
Une métamorphose éclairée s’annonce, comme un beau printemps qui n’aurait pas envie de se taire, le renouveau passe par ce chat, comme une nouvelle version du "Chat du rabbin" le chat de la petite voisine...
Yvan Oroc réfléchissait :
10 livres dans sa bibilothèque (c’était déjà énorme, dans sa famille il n’y avait pas de livres et surtout pas de poésie : ça ne sert à rien)
10 recueils donc et 1 vieux manuel d’école hérité
50 pages en moyenne
20 pages qu’il aimait moins
100 pages d’un nouveau possible
100 jours
100 jours d’attente, attention, échange, sourire, envie, quiétude, espérance, partage
100 jours
100 jours quand même
Jeudi 9 juillet 2020
Croiser un regard
La rencontre
Mira a ri
Yvan Oroc est heureux.

Geneviève F

Il se réveille en pensant au film « Down by law ».
Entre conte et poésie cette épopée de trois lascars incompatibles l’a toujours fait rêver, il ne sait pas pourquoi.
Il les revoit tous les trois debout derrière la grande grille en fer de leur cellule. Eux au moins pouvaient se saisir de ces barreaux immenses, leur prison était bien visible et charnelle.
C’est peut-être l’extrême sobriété de ce film noir et blanc qui le touche. Jack, Zack et Bob tournent en rond dans la prison, ils tournent en rond dans les marécages, mais ce sont des pierrots lunaires si attachants.
Être enfermés à trois évidemment ce n’est pas pareil. Bob semble un ovni au milieu des deux autres, et pourtant il a le rôle clé par qui tout est possible. Les deux auraient pu le manger tout cru ou s’entre dévorer. Il ne veulent pas être dérangés, et pourtant Bob les entraîne dans ses aventures, dans sa joie de vivre et sa folie surréaliste. Bob ne doute de rien, il croit en l’humain quoiqu’il arrive.
Il repense à ses échanges avec sa petite voisine. Il pourrait essayer lui aussi de la faire rêver. D’imaginer pour elle un monde merveilleux avec des personnages incroyables qui vivraient des aventures trépidantes et fantastiques.
Sa décision est prise, lui, Ivan Oroc, l’homme invisible et insipide claquemuré dans cet espace rabougri il va découvrir le passage secret et s’évader avec elle dans des espaces inconnus. Il se lève, plus déterminé que jamais, empoigne un stylo et une page encore blanche...

Caroline

Ivan Oroc se dirigea vers la fenêtre , il avait cru entendre un miaulement, effectivement ce qui lui sembla ressembler à un chat était bien là, en bas, mais il était immense, gigantesque, colossal et d’un noir charbonneux, sombre comme des ténèbres. Dans cette cour laide et hostile, une créature monstrueuse venait de surgir, Ivan recula en hoquetant de terreur devant cette vision d’horreur, il se demanda si le fameux virus avait muté et transformait ainsi tout ce qu’il avait contaminé ou était-ce un sort réservé exclusivement aux animaux, qu’en était-il alors dans les campagnes, des veaux, vaches, cochons et dans la savane, des éléphants, girafes, hippopotames ? Un tourbillon d’épouvante le saisit ainsi que d’autres hypothèses, et si la bête immonde qui était là, juste en bas de chez lui, s’était échappé d’un de ces ignobles laboratoires d’expérimentation animale, ou alors si c’était l’armée qui testait une nouvelle arme ? Ivan était un cinéphile accompli, fréquentant assidûment la petite salle « art et essai » de son quartier mais il appréciait aussi les comédies bien enlevées et surtout il avait vu un certain nombre de films de science-fiction, il s’y connaissait en mutants, zombies, araignées géantes et autres monstruosités. Un second miaulement vint interrompre les cogitations d’Ivan, un miaou long et insistant, un peu plaintif, somme toute celui d’un chat pas très content mais ordinaire, rien à voir avec le rugissement caverneux qu’il attendait venant d’une abomination pareille. Ivan Oroc, le coeur en chamade et la gorge sèche se rapprocha à pas feutrés de la fenêtre, si l’animal a une voix de chat, se dit-il, c’est peut-être qu’au fond il n’est pas si terrible, ce n’est à coup sûr qu’une pauvre victime de la barbarie des humains, le pauvre a pu assurément s’échapper avant d’être totalement métamorphosé, de toute évidence une expérience inaboutie. Tranquillisé par son discours intérieur et par le miaulement persistant, Ivan se pencha par la fenêtre avec lenteur et circonspection, les mains crispées sur le rebord, prêt à bondir en arrière, il resta un long moment immobile le regard plongé vers la cour, il n’y avait rien dans cette cour si ce n’est un chat, un chat tout ce qu’il y avait de normal, disons même banal, une tête ronde et de petites oreilles bien plantées à l’horizontale, une fourrure un peu miteuse couleur chocolat et une queue hirsute qui battait l’air inlassablement, l’animal leva ses yeux mordorés vers Ivan puis avec un dernier miaulement bref, un brin courroucé, il s’élança et disparut. Sa silhouette, un instant, se refléta, énorme en ombre chinoise sur le mur éclairé par la lumière de cette fin d’après-midi. Ivan, penaud, grimaça un sourire et se gratta le cuir chevelu, « en voilà une drôle d’histoire » pensa t-il et fermant les yeux, il s’imagina à une terrasse de café ou pourquoi pas à coté, dans sa cuisine, attablé avec un ami ou deux et racontant avec une verve (qu’il ne possédait pas) l’apparition du monstre, amplifiant, embellissant jusqu’à transformer son récit en épopée tragi-comique, ils se seraient certainement payés une belle tranche de rire mais voila, il était seul, tout seul et d’amis d’ailleurs il n’en avait pas et n’en avait jamais eu, alors que lui restait-il d’autre à faire aujourd’hui qu’à se terrer de nouveau dans sa chambre, somnoler et rêver.
Roselyne

Ivan avait posé le dessin de Mira sur sa table de nuit. Il se réjouissait finalement de ne pas avoir pu cette fois, pour répondre, utiliser la feuille envoyée par la fillette. Son dessin lui tenait compagnie. Il disait qu’elle allait à l’école, qu’elle n’y allait plus. Plutôt l’un ou plutôt l’autre ? Information, souvenir heureux, nostalgie ? Yvan ne songeait pas à trancher, attentif d’abord à cette initiative prise par l’enfant de communiquer avec la pièce verrouillée au fond de sa cuisine. Lui avait-on dit que quelqu’un vivait là ? L’avait-elle entendu, lui, si peu de bruit qu’il fît ? Savait-elle qu’il était un homme, qu’il avait un certain âge déjà, qu’il était le propriétaire de l’appartement qu’elle occupait avec sa famille ? Ivan n’aimait pas l’idée que Mira sache trop de choses, qu’elle ait eu vent de la réquisition. Il préférait ne penser qu’à ses sept ou huit ans rêveurs à l’assaut d’une histoire pour repousser les murs. Pour imaginer elle avait juste cette porte fermée dont on avait colmaté le seuil. On lui aurait parlé d’un courant d’air, il faisait frais ces jours-ci malgré le soleil. Mais elle avait décidé que quelqu’un était là, dans le vent, qu’elle seule le savait et qu’elle lui parlerait en cachette. Elle s’était déjà présentée : Mira, écolière. Ivan s’amusa soudain du sens que pouvait avoir sa réponse : « Moi, j’ai trois chats ».
Il se leva et se mit à la fenêtre. Les petits papiers sous la porte avaient secoué la torpeur qui menaçait. Ils faisaient date, ouvraient, démarraient quelque chose. Ivan se surprit à faire quelques mouvements de gymnastique pour détendre son corps comateux. Tiens, de l’autre côté de la cour, le néon était éteint. Quelqu’un donc était venu. Quelqu’un était là peut-être. Mira dans sa cuisine, on ne savait qui dans l’immeuble en face… Ivan s’imagina soudain deux dialogues dans son confinement. Il fixa la fenêtre comme si la seule tension de son regard pouvait être un appel. Pas une ombre, pas un mouvement. Mais il s’accrocha à l’idée qu’il n’était plus condamné à l’isolement total. Le soleil était en face ; il se retourna pour prendre son miroir de toilette et aussitôt les rayons vinrent frapper la glace qu’il braquait en l’agitant devant lui. Mais l’éclat projeté sur la fenêtre lui revenait et il dut s’arrêter pour voir si quelque chose se passait. Une taie légère attardée sur son oeil ébloui lui aurait bien fait croire à quelque silhouette entrevue, mais il lui fallut bien l’admettre, rien n’avait bougé. Sa résolution pourtant restait inentamée. Il recommencerait.
Sous lui, les six étages et demi offraient leur modeste abîme urbain apprivoisé, rendu aimable de surcroît par la cordelette ravitailleuse. Ivan songea un instant qu’il pourrait en être autrement, ici ou là, en ces heures d’enfermement où, loin des commentaires posés, l’angoisse pouvait précipiter dans le « [r]etour brutal aux mots sauvages : se défenestrer. Le verbe, l’action, l’infinitif, le définitif, le mélange d’une terrible grammaire.* » Soit dit pour ceux qui n’avaient pas de petite Mira derrière leur porte. Ni d’inconnu d’en face à rencontrer sous peu.
Yvan revint vers la bibliothèque et se remit en quête des pages de garde, de dédicaces, d’épigraphes... Il avait envie de dessiner. Des chats sauvages cette fois, pour continuer avec Cendrars. Mais après quelques coups de crayon une inquiétude lui vint : « j’ai mille chats sauvages dans la bouche »… Pourvu que la petite ne prenne pas peur !

* Thierry Beinstingel, Retour aux mots sauvages, Fayard, 2010
Antoinette

Ce cri d’enfant, joyeux et spontané, déclencha chez lui un raz de marée d’émotions. Ivan communiquait avec un autre être humain ! C’était différent des billets aux consignes rouges qu’il avait reçus jusque là et des messages en réponse qu’il transmettait à Bob. C’était un véritable échange. Même si il s’effectuait avec une enfant au moins elle communiquait avec lui pour le plaisir. A y réfléchir, Ivan en vint à penser que c’était encore mieux que son interlocuteur soit si jeune. Au moins cela pouvait être amusant, ludique, spontané et sans arrière pensée.
Le lendemain, un dessin de ce qui apparaissait être un chien sur une feuille de papier un peu plus grande traversa la mousse. Sous le dessin un mot qu’il ne connaissait pas du Hongrois, du Moldave ? Il n’en savait rien. Il reprit son recueil de nouvelles pour y trouver une nouvelle page sur laquelle il pourrait dessiner. Il s’appliqua pour que sa silhouette de chien soit la plus réaliste possible, et écrivit dessous « UN CHIEN » et la glissa dans le trou de la mousse après l’avoir soigneusement roulée. La réaction ne se fit pas attendre derrière la porte : un cri de joie.
Désormais, une fois par jour, l’enfant enrichissait son vocabulaire en français et lui aussi par la même occasion dans une langue qui lui était complètement inconnue.
A chaque fois l’enfant semblait ravie et lui commençait à trouver le temps de confinement un peu moins long et beaucoup plus agréable.

Françoise Gouache

Cet éclat de voix, illuminait sa journée . Ivan d’abord surpris, pensait en son for intérieur, qu’il était heureux de l’effet produit.
Il découvrait ses talents très récents, de dessinateurs minimalistes, et surtout d’avoir suscité les éclats de rire d’une fillette.
Il pensait à sa propre fille dont les traits lui apparaissaient très nettement, et il se demanda à quand remontait
dans sa mémoire son dernier rire. Il ne lui avait jamais dessiné quelque chose, songea t il.
Mira, Mira, répétait-il doucement, comme un refrain. Maintenant il dansait, silencieusement. Il dansait comme on remercie.
Des danses d’indigènes qu’il avait vu dans des films.
Il avait en tête les trois chats, ceux sortis de son imagination alimentée par les mots du bestiaire de Blaise Cendrars.
Et il rajouta la libellule rencontrée l’autre jour… Ses nouveaux amis. Il la dessinera la prochaine fois à Mira.
C’était bien, d’avoir rencontré Mira. A défaut de paroles, ses dessins lui étaient d’un grand réconfort.
Une source de joie inestimable, un trésor qu’on a envie de câliner, de conserver longtemps.
Des trésors de mémoire comme ceux consignés dans tous ces livres. Mais sauf que là, c’était réel, c’était sa propre vie.
Une parenthèse assez inédite, il ébaucha le début d’une pensée.
Comme de la matière, oui c’est ça, Ivan pourrait l’écrire ce qu’il lui arrivait. Plus tard.
Aujourd’hui, Il dansait, entrechats et pas de danse, lui un peu gros matou pataud.
Il souriait et se dit que ce n’est pas lui, pas de l’autoportrait, en chat.
Cette fillette décidément avait de grands pouvoirs. Que savait-il d’elle ?
Il ignorait tout d’elle, sauf son prénom, c’est déjà ça.
La situation ubuesque le frappait : Mira habitait chez lui quand même, il l’hébergeait à son insu !
Tout d’un coup sa solitude lui apparue bien joyeuse.
Il avait refermé sa fenêtre, le soleil avait quitté depuis longtemps son étagère.
Derrière la vitre, se dessinait un minuscule croissant de lune, petite virgule de nuage sur fond bleu du ciel.
Ivan se disait que cette journée se colorait maintenant au delà des mots, des dessins.
Voilà qu’il pouvait picorer sur la palette des couleurs : le vent avait rabattu un joli pétale blanc immaculé de cerisier,
dont il méconnaissait la provenance. Venu d’un probable jardin au delà de son immeuble.
Sur sa palette du jour : c’était le blanc. C’était léger. Un ballet aérien de mots.

Stéphane.