PAREIDOLIES

lundi 17 février 2020, par Frédérique Niobey

La galerie d’art Albert Bourgeois accueille Coralie Salaün du 16 janvier au 14 mars 2020
Le Jeudi 13 février 2020, à 19 heures, au cours d’une visite guidée de l’exposition, Les Liseurs nous ont invités à découvrir les textes inspirés par les œuvres exposées, écrits lors d’un atelier Page Blanche animé par Marc Froehly.

GUEULE D’AMOUR, 2017
série de 9 photographies

Entre 2016 et 2017, Coralie Salaün réalise deux séries photographiques en maison d’arrêt avec des groupes de détenus. tous les artifices de la mise en scène permettent de contourner la loi interdisant de reconnaître les visage de ces hommes. La mise en scène sert à la fois à masquer et à révéler, à mettre en beauté, à sublimer. à retrouver l’humanité aussi.

GUEULE D’AMOUR - L’HOMME AU TURBAN -

C’est triste cette maison, sans plus rien dedans. Comme le vide laissé après le décès du père. Les derniers cartons sont partis le matin même.
L’estafette disparue, j’ai fixé longtemps jusqu’au bout de la route, à regarder sans plus rien à voir. Je pense à la mort, comme le voilier quitte le port, à un moment, on ne le voit plus, il trace sa route, cap ailleurs. Je n’ai plus de larme. Je n’ai plus de colère. Un peu de tristesse d’un événement qui se clôt, d’une fin, d’une étape. Moi, je continue ma route, un peu plus seule, dégagée, soulagée, délestée. C’est bien aussi de se sentir léger dans sa tête, le rêve et la poésie s’y logent et opèrent. Je suis restée plantée sur le trottoir, tenant en main une sacoche marron. C’est un des gars venus débarrasser tout ce dont la famille n’a pas voulu, qui l’a retrouvée sur le dessus de l’armoire du bureau du père, la sacoche lui a semblé aussi vieille et vide que la maison ; alors juste avant de partir il me l’a donné : « Ah ! au fait, c’était sur le dessus de l’armoire du bureau » m’a dit le grand gaillard. Un cartable qui a dû appartenir à mon père. J’ai ouvert la sacoche : une enveloppe marron déchirée, une inscription en lettres noires, GUEULES D’AMOUR. Ça alors ! une photo ! Pas de visage familier sous ce turban coloré comme peint aux feutres Posca, des yeux cerclés de blanc, une mèche orangée, des sourcils blanchis, une moustache collée en carton noir et au menton, de la moustache parsemée. L’homme se tient comme un danseur, les mains retenant le gilet en son milieu, les pouces en l’air, ouvert sur son buste. A sa main droite, un anneau blanc dessiné à l’auriculaire. A la chaînette tressée du poignet, se balance une petite croix. Le tissu en velours soyeux caresse une poitrine duveteuse, le ventre apparaît presque pudique. Une ceinture orangée lui enserre les hanches, jouxtant un pantalon assorti au tissu du gilet.
Grimé, clown ou comédien, maharadja ?
Ça m’évoque les rituels de marins pour le passage de la ligne, le passage de l’équateur. Les marins proposent des courses de sac, ou d’œuf dans une cuillère, façon course de garçon de café. Des pommes qui flottent dans un seau d’eau salée qu’il faut attraper par la bouche, les mains attachées derrière le dos. Un document, façon diplôme, signé du commandant -le pacha- et du chef, en atteste le passage, et validé par Neptune. Celui de ma mère, passé de nuit, et sa qualité de femme de chef, lui a valu d’être épargnée, « dispensée » du rituel des épreuves, du fait d’un passage de nuit de LA ligne…
Je reviens au cliché : le visage incliné semble amadouer l’objectif, qui est de plaire, j’en suis sure. En pressant l’un des soufflets du cartable, une lettre au papier jaunie s’en détache et tombe à mes pieds, une écriture sèche et vieillie :
« Chef, vous m’aviez mis ma valise, autrement dit, j’étais viré. Je ne serai jamais marin embarqué sur les cotes d’Afrique. Je n’avais pas choisi. Marin de père en fils. Je n’étais pas de taille à vivre loin de ma famille. Malade en mer, mon père me traitait de mauviette, de raté. Dunkerque/ Le Havre/ Bordeaux sur votre cargo, j’y ai pleuré toutes les nuits, ne pouvant m’imaginer loin de chez moi, de ma femme et ma fille… Je n’ai pas su, je n’ai pas pu vous parler. Bon sang de bois, tonnerre de Brest ! Combien je vous en ai voulu pourtant d’être débarqué de la sorte, rabaissé, humilié ! J’ai filé un temps du mauvais coton, puis les épreuves se sont révélées, là, où j’ai pensé ma vie finie, au contraire, elle débutait sans peine à me traîner. Photographe était mon rêve, réalisé, à l’heure où je vous écris. Des expositions de mes photos sillonnent le monde.
Chef, il me manque votre « trombine » à immortaliser. Si vous recevez ma lettre, n’hésitez pas à me contacter. Sans vous, je ne serais peut-être plus de ce monde, vous m’aviez sauvé la vie en me débarquant ce jour-là…Les yeux rougis, j’ai pleuré comme un enfant.
Sam photographe, ex.second quartier maître. »
En repliant la lettre, j’ai soupiré : « Que savons-nous de nos proches ? si peu de chose en fait … On se déguise sans cesse, on donne à voir, et si…et si un seul jour seulement, on se montrait sous notre vrai jour, sans se mentir, sans se masquer, sans se déguiser… »

Stéphane Mahéo

GUEULE D’AMOUR-L’HOMME AU CASQUE -

Oh là ! T’es qui toi, mon pauv’gars sous ce casque de Poilu, avec tes bacchantes viriles, cette vue brouillée et cette veste de femme à pois multicoloriés, ce visage ravagé et ces grandes mains de pianiste beurrées de boue. Boue des tranchées ?
Boue du Chemin des Dames ? Boue de Craonne ?

Être sous les bombes et penser aux filles de Louis XV dans le chemin des Dames et se travestir en Dames et fuir l’enfer des canons et fuir l’horreur d’une agonie démesurée et fuir une gueule définitivement cassée.

Plus j’te regarde. Plus je suis mal à l’aise ! Plus j’ai mal pour toi. T’es terrorisé, humilié. Ton histoire, c’est pas celle que j’viens d’soupçonner. C’est pire et j’en tremble !
ON a eu l’idée de TE travestir, pour se foutre de ta trop belle gueule parce que t’as peur, tu trembles des bégonias, t’as tout le temps la trouille et tu veux expliquer.

Ça fait rigoler toute la Compagnie !

C’est l’martyr qu’ON t’fait subir. ON t’a joué aux dés ? T’es l’cinquième dans l’genre ? T’es désespéré, incompris, anéanti, amaigri, ravagé, blanc comme un linge parce que toi t’es pas parti la fleur au fusil ! T’as réfléchi et t’as tout compris. Tu pleures et tu vois trouble à travers le morceau de je ne sais quoi qu’ON t’a collé sur les yeux pour que tu n’reconnaisses pas CEUX qui t’font ça.
Tu m’fais trop mal, c’est trop d’émotion et je pleure avec toi et j’ai peur. J’imagine la suite et j’pense à mon grand-père qu’était là-bas et qu’a jamais rien dit d’ces années de folies !
Y a pas assez des Boches, des bombes, des rats, de la crasse, de la puanteur, des baïonnettes dans les tripes, des obus, des poux, du baroufle qui crève les tympans, des gaz, des fils qui se sont barbelés ! Faut en rajouter ! Faut subir la connerie des roule-par-terre qui se prennent des muflées à la gnôle et qui dévissent dans l’grotesque et la méchanceté !

♫ "Adieu la vie, adieu l’amour, adieu toutes les femmes... " ♫
qu’elle dit la chanson interdite de Craonne…

En manque de tout qu’ils sont les troufions mis à nus devant la mort. Fini les faux-semblants. Tortionnaires à leur tour ! Faut des souffre de leur douleur. Alors on t’la fait payer très cher ta trop belle gueule d’amour éduquée. ON rigole bien, dans l’indifférence des gradés qui bourrent les crânes sur la fraternité.
« Dans les tranchées, on essaie de maintenir une forme de NORMALITÉ » qu’ils disent.
Tu parles !
Profondément triste et abattu et résigné et meurtri, tu t’recroquevilles et tu t’barricades maladroitement derrière tes bras croisés.
Et qu’est-ce qu’on a fait d’TOI dans l’régiment ? Un SOUFFRE de sa DOULEUR !

Ah Dieu ! Que la guerre est jolie
Avec ses chants et ses longs loisirs.
écrivait Apollinaire !

Jacqueline Mottais

GUEULE D’AMOUR - L’HOMME A LA CRETE -

Elle était assise au comptoir, savourant un mojito lorsqu’il apparut dans l’escalier qui menait à l’appartement du tenancier.
Il descendait les marches lentement. Elle aperçut tout d’abord des pieds nus, des mollets très fins, des cuisses toutes aussi fines, un slip noir moulant et un chemisier à fleurs négligemment ouvert sur un chemin des dames finement velu.
Son apparition aurait dû la déranger mais elle ne sait pourquoi, cela l’amusa.
Elle ne l’avait jamais vu, non ! Elle l’aurait remarqué avec sa silhouette longiligne, sa coiffure iroquoise orangée (d’ailleurs était-elle toujours orangée, il devait la teindre au gré de ses humeurs) contrastant avec une barbe poivre et sel particulièrement soignée.
Il se dirigea derrière le comptoir et se concocta un breuvage aux couleurs improbables, puis il se retourna, la toisant avec un sourire ironique. Elle fut alors saisie par l’éclat vert fluo de ses yeux malgré ses lunettes teintées.
De profondes rides zébraient la partie supérieure de ses joues, quel âge pouvait-il bien avoir ?
Elle remarqua aussi des tatouages chinois ou japonais émergeant de son chemisier dont le tissu était déchiré, usé, élimé, en plusieurs endroits.
Elle soutint son regard quelques instants. Il s’approcha d’elle, l’embrassa puis remonta à l’étage. Sa démarche était légère, dansante, silencieuse.
Une belle petite gueule d’amour.

Geneviève Guinebault

PAREIDOLIES, 2019
Série de 4 photographies transférées sur tissu.
Projet avec des résidents et des Sans Domicile fixe au Canal Saint Martin à Rennes
Résidence sur le territoire de Fougères Agglomération

Paréidolie : Interprétation fantastique, vision ou perception construite de toute pièce, qui viennent témoigner de la capacité du cerveau humain à interpréter et "donner du sens".

L’HOMME PRIMITIF (?)

Dans le moelleux de l’humus il s’est enfoncé
et des racines ont poussé sous ses pieds.
Tel un arbre.

Les enfants l’ont compris.

Ils ont convoqué l’arc en ciel pour fêter
avec l’homme le retour aux racines.
Des pores de sa peau, les couleurs ont jailli.
Au rythme de son cœur l’oiseau s’est libéré.
Des fleurs perchées sur leur haute tige
se sont mises à danser.
Les esprits des ancêtres l’ont paré de bijoux.
L’homme a posé ses mains sur ses hanches.

Fier et apaisé, il s’est donné à voir
avec générosité.

Françoise Poussin

PAREIDOLIES

Je marchais depuis une semaine dans cette jungle. Seule rescapée du crash du petit avion qui devait m’amener à Cuzco. J’étais dans un état pitoyable. Mes nombreuses chutes m’avaient costumée de boue, zébrée de griffures. Il me semblait avoir un aspect effrayant.

J’étais en train d’essayer de m’extraire d’un ensemble de lianes en tout genre, mes jambes bataillaient pour garder l’équilibre, mes mains s’agrippaient à ce qu’elles pouvaient pour ne pas tomber.

Tout à coup je pris conscience que la forêt s’était tue. Tous les bruits, les cris, les crissements, les frôlements, chuintements et autres sons indescriptibles qui m’affolaient jusqu’à la panique parfois. Tous avaient disparu. SILENCE.

Je n’entendais que les battements sourds de mon cœur.
Quel danger allait-il survenir ? Quel monstre sanguinaire allait-il fondre sur moi ? Est-ce là, maintenant, que j’allais mourir ?

Je levai la tête, prête à affronter le pire.

Un groupe d’une quinzaine d’individus étaient là à quelques mètres de moi, sortis de nulle part, sans bruit. Des hommes, des femmes et même un enfant. Tous immobiles.

Arrêt sur image. Ils sont vêtus de pagnes, portent autour du cou des colliers, des plumes et des fleurs dans les cheveux. Ils me regardent. Pas d’armes : ni arc ni flèche et.... ils me sourient puis éclatent de rire.

− « La sieste a été bonne ? Tu viens poser avec nous ? »
me demande un des hommes.

Je ne suis donc pas dans la jungle, pas de crash ?

Non juste une photo costumée dans le bois d’à côté !

Françoise Gouache

PAREIDOLIES- DESILLUSION D’OPTIQUE -

Je leur ai pas dit.
Ils l’auraient pas cru.
« ¬− T’étais où tout ce temps ? »
« ¬− C’est quoi cet air ahuri ? »
J’ai rien dit.
Imagine.

J’avais pris de l’avance. Tu sais comme ils traînent. Et toi maintenant tu suis.

Je courais entre les arbres. Et là, je sais pas. Un cri d’oiseau. Le nez en l’air. Une racine. J’ai roulé, roulé... jusqu’au bas du talus.

Flemme de remonter, j’ai suivi le fossé. C’est là que je les ai vus. Plus loin un peu, après une voûte basse de noisetiers. J’ai plus bougé.

Ils étaient là comme des taches vivantes dans la lumière d’une sorte de jungle. Un embrouillamini magique d’arbres et de plantes. Doux tu vois. Comme un désordre un peu rangé qui te faisait de l’œil en clignant des couleurs.

J’ai pas bougé. Je les regardais. Ils étaient là sur les branches, sur les rochers, dans l’eau. Deux ici, deux là, mais ensemble tous. Ça se sentait. Ensemble avec la terre aussi, avec les troncs et la rivière. Ça se sentait. Un mystère. Comme un lieu sacré tu vois. Au milieu, le grand arbre formait un corps énorme d’arbalète ou peut-être le squelette d’un papillon géant. C’était pas le hasard ça. Et à ses pieds c’était l’entrée d’un autre monde, une nappe d’eau cerclée de nénuphars crochus qui faisaient comme des boules de lumière. Au centre il y avait une autre fleur qui avait l’air portée par ses deux feuilles. Une fleur toute seule, rouge, ouverte, avec un pistil d’or dressé ; dressé exactement dans l’axe d’un motif bizarre, une sorte de totem tout sombre qui tatouait l’arbalète-papillon. Je me disais que tout venait de ce cœur rouge qui allait se fermer, quand il l’aurait décidé, et tout engloutir. Mais pas encore. Pas maintenant. Il fallait voir partout les reflets sur l’eau tranquille. On avait un peu de temps, c’était encore l’eau amie, l’eau qui te porte et qui offre gratis un miroir.

Je ne bougeais pas.
Ce sont eux qui me fascinaient. Les gens, là.
Il y avait deux hommes immobiles sur les branches du grand squelette, avec l’air concentré des sentinelles, comme des gardiens, tu vois. Et des femmes, il y en avait un peu partout, qui souriaient, qui avaient l’air de s’amuser, tranquilles. Elles étaient chez elles dans la féerie. Alors que moi, mon cœur battait comme un tam-tam. Mes yeux aussi sautaient, partout, des unes aux autres, de robe en robe, du rouge au jaune, au vert, au fuchsia. De longues tuniques... de squaws. Oui, là, devant moi, dans le fouillis calme de lumière, de verdure et d’eau, c’étaient… des Indiens !

Tu ne me crois pas ? Et les plumes, et les traits de peinture sur les peaux brunes !
C’est quoi cet air de te payer ma tête ?

Quoi un mélange de Giverny et de Watteau ? Fais le malin, chien de luxe ! Tu m’as suivi, c’est ça ? Moi qui croyais que tu ne savais même plus tirer sur ta laisse. Tu m’as suivi ! Non, il n’y avait pas de dame qui prenait des photos.

Antoinette Prigent

PAREIDOLIES −ENFANTS DE LA TERRE

Enfants de la terre, serez-vous obligés de vous déguiser
pour survivre dans ce monde ?
Arriverez-vous à être vous-mêmes ?

Puissent les arbres, vous aider à trouver le chemin !
Puisse le vent, vous porter dans la bonne direction !
Puissent les nuages, vous souffler les réponses !
Puisse le ciel, vous éclairer !
Puissent les fleurs, vous emplir de poésie !

Enfants, je vous le dis : « La nature est une bonne mère. »
C’est une sage conseillère.
Elle parle à ceux qui veulent bien l’écouter.
C’est une douce et tendre amie.

Enfants, je vous le dis : « La nature est une œuvre d’art. »
Ne soyez pas aveugles ! Admirez sa beauté ! Elle vous emplira d’allégresse.
Mettez-vous dans ses couleurs ! Elles vous réjouiront le cœur.
Ne soyez pas sourds à ses doux bruits !
Ne soyez pas indifférents à ses mille parfums !
Écoutez, sentez, ressentez !
Cela vit...C’est la vie.
La nature saura vous consoler de tous vos maux.
Soyez en harmonie avec la terre !

Dernier conseil et pas des moindres :
« Lâchez un peu vos portables, vos consoles, vos ordinateurs ! »
Je ne vous dis pas de les jeter par la fenêtre ! Quoique...
Non, ne les jetez pas par la fenêtre. Cela pourrait me retomber sur le dos.
Je risquerais, au mieux, d’être accusée d’incitation au désordre sur la voie publique, au pire, je n’ose l’imaginer...
Et puis, vos machines, elles peuvent être utiles.
A condition de ne pas vous laisser gouverner par elles.
Gare à l’addiction, aux ondes, etc... !
C’est vous qui avez le pouvoir.
Restez le maître !
Ne devenez pas l’esclave !

La vie vous attend.
Il y a tant de choses à faire, à voir dans ce monde.

Nelly Breton

UN HOMME A LA MER, 2018
série de 6 photographies sur caisson lumineux

A la dérive entre les Açores et Perros-Guirec, à bord d’une barque bleue, un homme est confronté aux éléments, plantes carnivores, méduses, crocodiles, sirènes, poissons volants... Coralie Salaün rend hommage à son père disparu en mer quand elle avait sept ans. Cette artiste, qui a traversé l’Atlantique enfant, puise dans ses souvenirs et son imaginaire pour élaborer des scénarii de ce qui pourrait arriver quand on disparaît en mer.

UN HOMME A LA MER

♫ Il y a le ciel, le soleil et la mer ♫

L’homme doré par les embruns porte un pantalon blanc ...
tissu léger tendu sur le bas des hanches...
les algues ont des vapeurs et les coquillages rosissent...
L’amour a une gueule.

♫ il y a le ciel, le soleil et la mer ♫

Sur sa barque minuscule, veillé par un guerrier indien à licorne,
l’homme vogue sans galère, ce n’est pas un pêcheur, il parle à
l’oreille des baleines, le cœur léger, les muscles bandés, il lance
en guise de filet un voile blanc long long long
comme une traîne de dentelle.
Il vient de se marier.

♫ I wanna be loved by you just you, nobody else but you
I wanna be loved by you alone, poumpoum pidou waouhh ♫

Paréïdolie a toujours eu la tête dans les nuages,
aussitôt le oui acquis, elle s’est envolée.
C’était prévu.
Ils passeront leur lune de miel au gré des éléments.
L’orage est passé et l’horizon sourit,
la lumière ravive le sombre grand bleu.
Le petit avion tutoie les étoiles,
surfe sur l’arc en ciel et
descend vers les voiles légères.

Ils ont rendez-vous au milieu de nulle part.

Geneviève Fabius

UN HOMME A LA MER

C’était jour de ma promenade dominicale, j’aimais particulièrement sillonner les fonds marins à la recherche de ma pitance en m’émerveillant encore et toujours de la beauté du spectacle qui s’offrait à moi : coraux majestueux parmi lesquels se pavanaient des plantes, des coquillages qui parsemaient et coloraient le sable et toute cette faune marine qui s’affairait à leur occupation.
C’était la quiétude, rien ne venait jamais ou presque perturber notre havre de paix. Tout était parfait, dans cette immensité, c’était notre paradis !

Moi, je suis Ao Kin, dragon protecteur des mers du Sud et ceci est mon territoire. Et en ce jour, mon domaine est envahi !

En effet, une barque avec un jeune couple qui me semblait joyeux et surtout insouciant venait perturber notre tranquillité.
C’est instantanément que je sentis la colère m’envahir. Je n’admettais pas les incursions surtout aussi intrusives.
Le jeune homme souillait ma demeure en trempant ses pieds et la jeune femme accoutrée, riait, et tenait dans la main une ribambelle de « trucs volants multicolores »
Revenaient-ils d’une quelconque fête, d’un festival, d’un carnaval … Mais dans ce cas-là, pourquoi venir ici au milieu de la mer ?

Il serait facile de se débarrasser de ces perturbateurs, un seul coup dans la barque et celle-ci chavirerait.
Ces deux-là sombreraient à jamais dans les abysses ! et le ciel se verrait combler d’un envol flamboyant.
Je leur offrirais une place de choix pour leur dernière demeure, et je mettrais ainsi fin a cette ingérence humaine que j’avais beaucoup de mal à tolérer.

Ce n’était pas tant leur présence qui me dérangeait, c’était surtout les conséquences de leur présence, j’avais trop vu d’humains négliger ma demeure avec leurs déchets et ainsi être responsables de catastrophe dont ils ne se rendaient même pas compte.

Mais je suis Ao Kin et je suis un dragon protecteur, donc mon devoir est de protéger toutes espèces vivantes même celle à la surface de la mer. Je vais prendre mon mal en patience et veiller au bon déroulement des choses. Les seules règles importantes à retenir, finalement, pour le bon équilibre c’est le respect et la tolérance.

Je ne me montrerai pas pour ainsi préserver la légende mais j’espère que ces jeunes se rappelleront de ce jour comme d’un moment magnifique et qu’ils le garderont gravé en leur mémoire.
Demain est un autre jour, et la journée sera peut-être paisible.

Mais vous ! Souvenez-vous que parfois le danger est là où on ne l’attend pas, mais soyez tranquille, aux quatre coins des océans, mes frères et moi veillons, savourez juste l’instant présent et pensez que nous partageons cette planète.

Vanessa Dehove

UN HOMME A LA MER− LA SIRENE−

Lovée dans ma coquille, les yeux clos, je me laisse doucement bercer dans le ventre de l’océan.

Là-haut mes sœurs ont peigné leur longue chevelure en chantant. Il les a entendu, lui, le navigateur imprudent, il n’a pu résister à la mélodie envoûtante, aux promesses charmeuses et à la divine lyre aux accents troublants. Il s’est précipité dans les flots, a laissé son bateau se fracasser sur les récifs. Elles sont redoutables mes sœurs, leur pouvoir de séduction est sans limite, elles font naître le désir le plus puissant qu’un mortel puisse éprouver.

Là-haut le marin est comblé, il a tout oublié de sa vie passée, il est ivre de volupté. Mes sœurs les sirènes ondulent, lascives, leurs mains aux doigts effilés effleurent, sensuelles, leurs bouches chuchotent, libertines.
Pour lui il n’y a désormais pas de retour possible, l’homme ressent une étrange langueur, il ne sait pas, le pauvre fou, qu’elle est mortelle.

Bientôt mes sœurs vont le descendre dans les abysses obscures, il va rejoindre ses innombrables frères qui flottent enchaînés, les yeux ouverts sur du néant au milieu d’ossements et de chairs putrides.

Il n’est plus loin le temps où, moi aussi, je charmerai pour toujours les voyageurs passant au large de notre détroit, ma voix pure les enchantera si bien qu’ils viendront à moi, ensorcelés et le plaisir inouï procuré vaudra bien leur damnation éternelle.

Lovée dans ma coquille, j’ouvre les yeux, le ventre de l’océan me caresse, langoureux.

Roselyne Legave

LES REFUGIES ONIRIQUES, 2008
série de 6 photographies imprimées sur toiles.

Il s’agit de la toute première série que Coralie Salaün a réalisée en 2008. La photographe a fait appel aux membres de sa famille pour réaliser des mises en scène théâtrales dans les paysages de son enfance, aux environs de Lannion. Après avoir scanné les négatifs, l’artiste a désaturé les couleurs grâce à un logiciel de retouche photo, permettant d’obterir ainsi une photographie à al fois colorée et en noir et blanc.

LES REFUGIES ONIRIQUES -L‘ECUREUIL ET LE RENARD-

Il était une fois l‘écureuil et le renard. Chez les Druides, ils avaient appris à parler le langage des humains, à le comprendre aussi.
Ils parlaient la langue des humains, seulement entre eux, jamais devant la race humaine qu‘ils trouvaient hautaine et trop sûre d‘elle.
Les hommes et les femmes auraient pu les entendre, s‘ils avaient fait ce choix, entrer en conversation avec les animaux, mais leur supériorité les en empêchait.
Les humains ne s‘abaissaient pas à parler le langage animal, chez le Grand Cerf, pas un humain n‘était venu s‘instruire,
L‘écureuil et le renard vivaient dans cette belle forêt de LANNION, appelée la forêt du “Cinéma bleu“, drôle de nom pour une forêt. L‘origine du nom était incertaine : des schtroumpfs y auraient vécus, exterminés par les humains racontait-on, une rivière à l‘eau bleue scintillante aurait été asséchée par les humains racontait-on, la couleur bleue du ciel et de l‘océan aurait été gommée par les humains racontait-on, on disait aussi qu‘un humain pourvu de sensibilité animale aurait repeint le monde en bleu….
L‘humain traque l‘animal dans sa belle forêt mais le savoir de l‘écureuil et du renard est grand. Les deux amis se méfient lorsqu‘ils aperçoivent cet humain et cette humaine dans ce cadre doré. Les deux animaux savent cela, les humains rentrent souvent dans des cadres, ils manquent totalement de liberté, ils se croient heureux sans doute.
L’écureuil est peureux, il se cache derrière le renard, plus hardi. L‘homme pêche des poissons qui n‘existent même pas, ceux-là volent, l‘humain veut tout, encore. Il a piétiné la roche, creusé un chemin et cassé ce bel arbre. Il s‘est installé sur le tapis de feuilles où je dors, se dit le renard.
L‘écureuil s‘avance doucement, il a mal aux yeux, c‘est trop de tapage : un coquelicot accroché à une branche, une boule de Noël qui pend à un tronc, un coussin jeté là, une coccinelle endormie, un siège en cerceaux sur lequel pose une humaine en représentation. "Quelle est cette couleur trop vive ?" demande l‘écureuil à son ami ; "c‘est la couleur du temps" répond le renard.
L‘humaine s‘adresse à l‘humain, elle raconte son chagrin sans grande illusion, il dit “je vais encore pêcher un peu“. Elle restera pourtant. L‘écureuil et le renard sont si tristes. Ils s‘éloignent du cadre doré. Le Grand Cerf est sage, "il faut rentrer maintenant", dit le renard.
Qui sont-ils pour mentir à ce point, se dit l‘écureuil, pour déguiser, altérer la vérité, qui sont-ils ? Ils sourient faux, ils sont bien obligés, ils sont humains.
"Tu viens", insiste le renard, l‘écureuil a les membres douloureux, il pense à la sagesse du Grand Cerf, il pense au bonheur, d‘habitude il ne pense pas, il vit. Le renard l‘appelle une dernière fois comme une supplique puis il s‘en va sans son ami.
L‘écureuil ne peut plus grimper aux arbres et manger quelques fruits, il est à terre, il est sinistré.
Je ne suis pas un écureuil, je suis une humaine, j‘ai rêvé un beau rêve mais je me suis réveillée et j‘ai continué à me mentir.

Laurence Brégaint

LES REFUGIES ONIRIQUES - FILENT, DEFILENT LES WAGONS SAUVAGES

Elle chevauchait sur son balai
le train de vie à 100 à l’heure
Il gardait le tunnel
du cœur de vie en profondeur
Au croisement des énergies contraires
Le choc...
Un double salto dans les airs
et la voilà atterrie là
son balai à la main
explorant ce paysage nouveau
Le gardien du Temple est méfiant
et l’observe derrière son archet
Le serpent doré à ses pieds
est le seul vrai maître des lieux
Il représente tous les animaux cachés
dans les feuillages et les graviers
Il saura le moment venu
scanner la nouvelle venue
qui descend humble et pieds nus
après son voyage dans les nues
Quand elle chevauchait sur son balai
le train de vie à 100 à l’heure
Elle a lâché un peu beaucoup
ses oripeaux de femme d’affaire
son maquillage de femme fatale
son sacerdoce de mère parfaite
ses apparences d’épouse discrète
Et la voilà toute nouvelle
innocente et naïve
qui découvre la Vie
Un autre chemin de vie est là
elle l’a visionné du dedans
en tournoyant dans l’atmosphère
Et la voici les pieds sur terre
ne sachant comment apprivoiser
cet archer vaguement menaçant
et le trésor rampant à ses pieds

Caroline Lanos