Texte de Jacqueline M.

mardi 26 avril 2016, par Webmestre

Atelier d’écriture du 23 avril 2016. Les sens.
Geneviève Prudor. Le goût.

Texte final à la manière de Proust et de sa madeleine .

Dès que j’eus reconnu le goût de la poussière grise qui dessécha ma gorge et englua ma langue, aussitôt le chantier se remit en marche.
Le bruit assourdissant des concasseurs qui se nourrissaient goulûment des blocs de schistes ambrés dégueulés par les wagonnets rouillés que poussaient à deux des manœuvres aux mains calleuses, aux dos courbés sous l’effort, envahit la campagne. Le vacarme métallique couvrit instantanément le chant des oiseaux. La silhouette de mon père apparut dans le décor qui se reconstruisait sous mes yeux effarés. Il portait un béret, un « bleu » de travail que ma mère décrassait chaque dimanche dans l’eau bouillante de la lessiveuse et rinçait dans celle de la Couarde qui passait dans le bas du jardin. Le chef mineur, un Portugais, déboulait du pied de la butte qu’il avait foré de trous et bourré de dynamite en poudre, en hurlant : « Attention à la mine ! ». La quarantaine d’ouvriers s’aplatissaient sur le sol, derrière les camions, les blocs déjà tombés, se bouchaient les oreilles de leurs mains martyrisées et nous, nous les enfants, livrés à des jeux simples dans les tas de cailloux ou les remblais qui faisaient nos délices, nous collions nos corps contre le sol afin d’emmagasiner les vibrations qui auraient pu, nous en rêvions, nous entraîner dans les entrailles de la Terre.
Tout cela qui prend forme et solidité,s’agite et revit. Tout cela est sorti de ce goût de poussière grise collée depuis l’enfance à mon corps tout entier.

JM, 23 avril 2016.