Autour du roman « Constellation » d’Adrien Bosc

dimanche 10 janvier 2016, par Frannette Gotier

Constellation. Amas d’étoiles voisines sur la sphère céleste auquel les anciens ont donné un nom. Est-ce de cette signification-là dont il s’agit dans le roman ?

Dans les années quarante et cinquante, le mot « constellation » est repris par le constructeur américain aéronautique Lockheed qui sous l’influence du milliardaire américain fantasque Howard Hugues va développer un nouveau modèle d’avion commercial qui deviendra iconique de par son design particulier, fer de lance, du rapide développement du transport aérien de l’après-guerre et pour lequel le saura utiliser son entregent dans le cinéma à des fins promotionnelles..

Dans ce roman, l’auteur aborde jusqu’à l’avant dernier chapitre, le vol du constellation d’Air France F-BAZN Paris-New York du 26/27 octobre 1949 qui n’est jamais arrivé à destination. Difficile d’ignorer soixante ans plus tard, après deux films grands publics consacrés à Édith Piaf, aux nombreux documentaires sur Marcel Cerdan que cet avion-là s’est écrasé, élaborant une première tragédie mythique du transport aérien dont le sceau s’est imprimé sur le mythe de la chanson que demeure Édith Piaf célébrant, l’amour, la tragédie, qui peu à peu s’incarnera jusque dans son corps, suscitant le voyeurisme ambigu de son public.. Ce vol marque aussi la disparition de la grande violoniste virtuose Ginette Neveu, et à travers elle, l’énigme du don musical exceptionnel, auquel s’est rajouté l’énigme de la disparition de son stradivarius.

Ce vol du 26 octobre 1949 rassemble quarante-huit histoires de vie singulières, qui se trouvent réunies là par hasard et dont le destin sera irrémédiablement brisé à 2 h 50. Certes, le vol Paris – New York, aussi surnommé l’« avion des stars », et qui de fait, porte d’autant bien son nom, regroupe nombreux destins exceptionnels qui questionnent d’autant plus sur la catastrophe et amplifie la caisse de résonance médiatique.

L’ouvrage retrace nombreuses trajectoires de ces destins brisés, qui évoquent tout une époque, (et l’on redécouvre que Wall Disney a fait fortune non pas grâce à ses films d’animation, mais grâce au merchandising), reprend maints détails enregistrés de l’envol, à la découverte de la constellation de débris sur les pentes du mont Redondo aux Açores, l’enquête, le retour des dépouilles et l’influence de la tragédie sur certains destins un demi-siècle plus tard.

Dans le dernier chapitre le roman connaît un surprenant glissement, surgit l’écrivain bourlingueur Blaise Cendras, son bras coupé durant la première guerre, son membre fantôme, le trauma, l’impossibilité d’écrire, puis sa résilience. Au moment précis de la catastrophe, ce 26 octobre 1949, l’écrivain revient à ses origines, aux pays de ses ancêtres, se marrie, avec celle qu’il a toujours aimée et poursuit son destin.

Ordre/ désordre, origine/finitude, partir/revenir, unification/séparation, ancrage/errance, matériel/spirituel, analogie/déduction, cyclicité/linéarité, concordance/ discordance, retour aux origines, inscription dans le temps et l’espace semblent être les mouvements et thèmes esquissés par l’auteur, dans sa quête de signes et de signifiants, à la manière des anciens, des surréalistes, ou des astrologues. Y aurait-il un sens, un ordre cosmique dans tout cela...? Constellation, cela évoque aussi le cosmos, l’infini, l’intemporalité.

L’auteur découvre qu’il est né un même jour de l’année qu’est décédé l’écrivain suisse qui célèbre son mariage au moment du crash... ce qui vient à le questionner sur ses origines à partir d’une indétermination sur sa date de naissance.
Un siècle après Freud, le lecteur doit-il se questionner le sens de ce cheminement, cette catastrophe, rencontre avec la mort située dans une scène vieille de plus de soixante, lève forcément des questions, sur la vie, la mort, la famille, les questions intergénérationnelles, peut-être les trajectoires familiales avec leurs mystères ? Quelque chose d’hier ferait-il question ? Alors que de nouveau le climat actuel tendu fait forcément revenir à celui du milieu du siècle dernier.

Né à la frontière d’un signe astral, au fil ce questionnement, l’auteur revendique l’appartenance au signe astrologique du Capricorne. Démarche peu scientifique, mais peut-on sortir autrement du chaos, du doute que par la superstition ? Le romantisme de cette tragédie pourrait le laisser penser au regard de ce qui aurait été dit quant à la précision des prédictions données par l’astrologue de Cerdan. Où Adrien Bosc veut-il nous mener dans ce dernier chapitre ?

Au final, l’auteur rassemble et apporte des précisions sur une tragédie qui a fortement impliqué les médias, les mondes de la chanson, de la musique, du sport, à une époque ou le mythe national exsangue vante des héros qui gagnent et réussissent à travers le monde. L’ouvrage est classé « roman » et non pas enquête journalistique, mais le lecteur pourrait s’y perdre.

À cette époque, le transport aérien connaît une croissance annuelle de 35% par ans, et s’avère vital tant pour les intérêts des Etats-Nations, que pour les sociétés marchandes le capitalisme pour lequel, le temps gagné est de l’argent. Un à deux crashs mortels par mois dans l’aviation commerciale régulière sont enregistrés en moyenne à cette époque dans le monde. Une accidentologie, le plus souvent des erreurs de navigation, qui seraient absolument insupportables aujourd’hui. Mais acceptées à cette époque , pourquoi ? Les moyens de navigation, les procédures, la technologie n’ont pas encore la promesse de fiabilité portée par la publicité, les images d’évasion, le rêve de voler avec les étoiles. Voler fait encore peur, le public ciblé est plutôt une élite, mais les classes moyennes suivent, difficile de résister au gain de temps et au rêve du vol.

Pour aller plus loin :

Le traitement de ces catastrophes aériennes et l’empreinte qu’il laisse dans l’imaginaire collectif, reflète les représentations d’une l’époque et la construction d’un modèle traitement journalistique. L’édition de Paris Match des 12-19 septembre 1953 (qui n’est pas encore devenu le magazine people que nous connaissons) titre « La catastrophe du mont Cemet pose le problème du rendez-vous avec la mort ». Le constellation d’Air France F-BAZZ Paris-Saïgon vient de s’écraser sur un sommet des Alpes. L’article des reporters commence par la référence au romancier américain Thornton Wilder et à son roman « le pont du Roi Saint-Louis (prix Pulitzer 1927). En 1714, au Pérou, un missionnaire assiste à la rupture d’un pont en corde existant depuis les Incas et considéré comme intemporel, à la chute de cinq voyageurs dans le gouffre en dessous. “Certains disent que pour les dieux nous sommes des mouches que les enfants tuent un jour d’été, d’autres affirment au contraire, que le moindre moineau ne perd pas une plume qui n’ait été enlevée par le doigt de Dieu”. Le missionnaire qui croyait à la providence fit une enquête minutieuse pour essayer de prouver que les cinq vies détruites étaient un tout parfait. Le missionnaire avait été trop loin... s’il est écrit qu’il y a une Providence par qui toute vie et toute mort sont réglées, il est également écrit que les desseins de cette providence sont insondables. Le livre du frère fut déclaré hérétique et condamné à être brûlé sur la place publique ainsi que son auteur. La sentence fût exécutée. Les auteurs de l’article Jean Roy Michel Descamp écrivent cependant que le missionnaire avait : posé le problème avec clarté. “Les cinq personnes qui se trouvaient sur le pont au moment de l’accident ne s’y trouvaient pas par hasard. Certaines étaient là, alors que logiquement elles auraient du être ailleurs. D’autres au contraire qui auraient dû se trouver sur le pont au moment fatal ne s’y trouvèrent pas. En fait ces mêmes ‘coïncidences troublantes se retrouvent dans toutes les catastrophes, et par la suite d’enchaîner dans la catastrophe du Paris Saigon, ceux qui n’auraient pas du être là et s’y trouver et ceux au contraire qui ont échappé à leur destin. La petite Jeannine était malade : ses parents retardèrent leur départ jusqu’au jour fatal. Sa concierge avait oublié de lui transmettre un message : le steward Delhomme prit le Paris Saïgon.... On annonça par erreur au Père Rival que l’avion était complet...

De nos jours, un tel angle d’approche émotionnel et religieux ne serait probablement pas privilégié au profit d’enquêtes sur les causes davantage d’ordre techniques ou organisationnelles comme si au fur et à mesure de la complexification de nos sociétés et de l’élaboration des articles au fils des ans s’était construit une manière d’écrire ce type de catastrophes.

La catastrophe du Paris — New York auquel il est fait référence dans ‘Constellation’ le 26 octobre 1949 implique l’aéroport de Santa Maria aux Açores. Peut-être qu’Édith Piaf aurait du se méfier : un autre avion, Britannique, un Avro Tudor IV de la ligne Londres-Bermudes de la British South American décolle de Santa Maria et disparaît. La communication de la compagnie utilise comme logo ‘Flying with the stars’ tous les avions sont baptisé du nom d’une étoile. Le Star tiger disparaît le 30 janvier 1948 suivit un an plus tard, le 17 janvier 1949 sur la même ligne, autre tronçon par le Star Ariel. Ces deux disparitions mystérieuses associées à d’autres contribueront au développement de la fable du triangle des Bermudes...

FG


Pour aller encore plus loin :

www.airfrance-lavieabord.com

Cliquer sur les constellations, une série de petits films institutionnels pris dans les années 40/50 donnera un esprit de l’époque.

Édith Piaf : ‘mon dieu’ et ‘rien de rien’

https://www.youtube.com/watch?v=3rLjzT9aNEc
www.youtube.com/watch?v=BYKC4v7Trek

Ginette Neveu
À voir en premier :
https://www.youtube.com/watch?v=ThHPPOoSAwQ

https://www.youtube.com/watch?v=75h3p42SqZ4&list=PL627E19247BEB8CFC
https://www.youtube.com/watch?v=_xkArCNtZwI

Marcel Cerdan

http://www.parismatch.com/People/Sport/marcel-cerdan-marcel-cerdan-jr-143780