Atelier du 21 Février 2014

jeudi 27 février 2014, par Webmestre

À partir du mois de septembre je n’ai plus rien fait d’autre que d’attendre, le cœur tremblant, les membres lourds, la tête loin, très loin de moi. Attendre comme ces femmes de marins, pieds rivés à la grève, regard perdu à l’horizon, attendre comme ces femmes de soldats, bouche sèche, les oreilles vrillées des fracas de la guerre, attendre parce que je suis une femme et que le destin des femmes est, dit-on, d’attendre, toujours.
Je n’avais pas d’autre avenir que cette ligne d’horizon que mon regard éperdu ne quittait pas, l’attente est un gouffre sans fond, je m’y suis perdue, écœurée, bouleversée, les mains vides, tendues vers l’homme absent, si aimé, qui va revenir je le sais, mais je ne sais quand.

Aussitôt après son départ, je suis en mode « attente », comme chaque fois la porte a claquée, j’ai fermé les yeux et des larmes ont coulées, j’aurais voulu qu’il revienne vite pour un dernier baiser, que pour un instant je sois celle qu’il choisit, quitte à rater son train mais non jamais il ne revient, seule persiste son odeur toujours présente elle.
J’essayais devant les gens que je fréquente de ne pas laisser transparaître, un masque voilà ce que j’avais sur le visage, mon corps mentait, ma voix mentait : « Oui tout va bien » mais mon regard parfois s’est voilé, ma voix a de temps en temps tremblé et mon corps m’a trahi, alors j’invoquais « un peu de fatigue » ou « un début de grippe ! Toujours cacher, taire ma désespérance.

Durant cette période, je n’ai pas écouté une seule fois de la musique classique, je préférais le silence, un silence bleu, profond comme l’océan, un jour le piaillement des oiseaux m’a insupporté, j’ai fermé la fenêtre et ne l’ai plus ouverte, le silence et l’attente mes seuls compagnons fidèles.

Je ne savais pas de quelle nature était sa relation avec moi et je ne voulais pas le savoir, je l’aimais et lui bien sur m’aimait aussi, sinon, non pas de sinon, cette certitude m’était chevillée au plus profond de moi, elle était là, rassurante et c’est pour ça que j’attendais.

Les contraintes que m’imposait la situation étaient source d’attente et de désirs et je m’y complaisais, m’y vautrais, c’était là toute ma vie, l’attente et le désir, pour une femme libérée, c’était cocasse, j’en riais parfois, même pas jaune.

Quelque fois je me disais « Arrête ma fille, ça ne sert à rien, t’attends quoi de cette histoire ? » Rien, j’avoue que je n’en attendais rien, j’étais dans une spirale, je n’avais plus le choix, coûte que coûte, je devais suivre.

Quand je marchais dans la ville, je n’étais pas seule, il était là, je sentais son souffle sur ma joue, sa main sur ma hanche, il chuchotait des douceurs à mes oreilles, seul le reflet des vitrines me renvoyait ma solitude, je rentrais alors.

Il est parti il y a six mois, avec juste quelques mots « Nous deux, c’est fini », j’ai cru entendre un léger regret dans sa voix, j’ai cru. La porte s’est refermée avec le même claquement que les autres fois, ni plus, ni moins. Parti ? Vraiment ?

Je voulais à toute force me rappeler son corps, des cheveux aux orteils et je me suis allongée sur notre lit et serré son oreiller si fort, tellement fort que mes bras ont gémi et mon corps aussi.
Je n’avais pas envie d’oublier, oublier c’est comme si nous n’avions pas existé et le « nous » dans notre histoire était encore là, vivant, palpitant, je ne voulais pas nous renier, sinon à quoi bon !

Je ne supportais pas les regards, les autres, les bruits, les odeurs, je voulais rester chez moi dans mon cocon de douleur, la bercer doucement pour qu’elle s’endorme et ne me ravage plus.

J’imaginais que la vie était sortie, aux abonnés absents mais j’attendais, peut être elle reviendrait, un jour. Je revoyais notre histoire en boucle, encore et encore pour arriver jusqu’à l’écœurement, l’épuisement, l’effritement.

Maintenant apaisée, j’ai ouvert les fenêtres, les oiseaux chantent, moi aussi, un peu.
Et cette photo, la seule que j’ai de lui me brûle encore les yeux, toujours m’écorche le cœur, je dois aller la ranger, avec les autres, dans la boîte, au fond de l’armoire.

Roselyne L.