Atelier des 8 et 9 novembre

lundi 11 novembre 2013, par Frédérique Niobey

Baby Boy Frankie est un très beau film d’Allen Baron. Je l’ai vu il y a trois ou quatre ans, en ciné-concert, accompagné de la musique du groupe SZ.

C’est cette musique que j’apporte aujourd’hui, non pas la bande musicale du film, mais la proposition musicale de SZ sur le film Baby Boy Frankie.

J’ai récupéré sur le site de Télérama la présentation du film par Jacques Morice.
On peut la lire ici http://www.telerama.fr/cinema/films/baby-boy-frankie,268403.php

Je distribue l’article, chacun le lit puis nous écoutons un passage du CD (plages 20 et 21).
Nous l’écoutons une seconde fois avec pour consigne de prendre librement des notes pendant l’écoute.

Consigne 1 :

Il va s’agir d’écrire une scène de ce film, celle qu’on imagine en écoutant la musique. Nous avons déjà travaillé plusieurs fois sur la focalisation externe, sur le « donner à voir » en écrivant des textes-photos. C’est le même travail mais cette fois, il s’agit d’écrire une scène de film, c’est-à-dire non plus une image mais une succession d’images.
Je lis deux extraits de L’amour de Duras où elle utilise ce type d’écriture cinématographique.
Nous réécoutons l’extrait avec cette fois l’idée pour chacun de préciser mentalement la scène qu’il écrira.

Consigne 2 :

S’intéresser maintenant à la voix off du film, qui est la voix intérieure de Baby Boy Frankie.
L’article nous en parle : Une voix nerveuse… L’anxiété le tenaille, cela se voit, cela s’entend : la voix off, un constant dialogue de sourds avec lui-même, n’est que tension, injonction, Frankie se tutoie, Frankie s’alerte, Frankie se fit du bien et du mal en voulant tout maîtriser. « Tes mains sont moites » avertit la voix.
Ecrire la voix off qui correspond à la scène précédemment écrite. Frankie se tutoie, ce sera donc un texte au « tu », il s’adresse à lui-même, il parle de lui à lui-même. Comment rendre compte de cette tension, de cette nervosité, de l’état dans lequel il est, que dit cette voix, quel rythme, quel souffle a-t-elle ?

TEXTES

Son chapeau enfoncé sur la tête, son pardessus sur les épaules, il se tient en retrait. Près de la sortie.
C’est un bouge, un boui boui.
On y entre par hasard pour y perdre sa nuit.
On y entre attiré par la musique qui s’échappe du soupirail.
La musique qui détourne de sa route incertaine le passant sur le trottoir.
Lui, il a juste suivi un type, son contrat, le dernier.
Il a du attendre un peu avant d’entrer.
« Attends un peu Max sinon tu vas t’faire repérer.
Tu dois pas rater ton coup, c’est pas des tendres et si tu rates, personne te ratera !
Bon, tu respires et t’y vas. »
Il a descendu un escalier très étroit.
S’est fait arrêté net par un type qui l’a dévisagé avant de le laisser passer.
« Qu’est-ce que t’as, t’as les mains moîtes !
T’as les pétoches Max le trac du débutant !
C’est la quille mon vieux, juste après, alors rates pas ton coup sinon, ceinture l’assurance vie et à toi la tôle. Vas-y ! Zen. »
Au vestiaire, il n’a rien laissé.
Maintenant, il cherche.
« Y fait sombre là d’dans. J’y vois rien. C’est sûr qu’il est là, y a pas d’autre issue !
Sinistre ct’endroit ! Et la musique donne pas envie d’danser, ça tombe bien, manquerait pu qu’ça ! »
Seuls le bar et à l’opposé la scène, sont éclairés.
Entre les deux, des tables, dont chacune est pourvue d’une bougie collée sur de la cire,
dans une soucoupe.
La plupart des clients sont seuls avec pour toute compagnie une bouteille
qu’ils s’appliquent à vider, machinalement.
Deux ou trois tables sont occupées par des couples.
Des couples formés pour la soirée. Des clients et des filles.
Droit devant sur la scène, deux trompettistes improvisent.
Un batteur semble jouer en solo.
Un jazz décousu.
Max scrute, adossé au zinc.
Il a commandé un whisky.
Il a chaud. Sur son front perle une goutte de sueur.
« Bon, déconnes pas. Faut t’concentrer. C’est la dernière fois.
Après, fini, terminus vamos a la playa, la quille mon vieux, la quille !
Oh, il insiste celui là, vas y commandes lui quelque chose à boire, ça fera oublier le par-dessus. »
Il boit une gorgée, repose le verre.
« Quelle chaleur, faut pas finir ce whisky sinon tu pourras pas ajuster . »
S’essuie la main sur son pardessus.
Son regard s’arrête. Ca y est, j’le vois
Le type est attablé de l’oseille plein les mains et une fille dans les pattes !
Il a sorti une liasse de billets qu’il manipule comme un jeu de cartes.
Des billets neufs.
Max essuie son front avec un mouchoir. « Merde, j’vais quand même pas buter la fille ! »
Il semble hésiter.
La fille vient de s’asseoir sur les genoux du type.
Max se décale un peu sur la droite, porte la main à sa poche. Se ravise.
« Faut qu’tu lui règles son compte sans bavure, du travail propre.
Si tu peux rien sans carnage, t’attends ! Y va pas s’envoler et les filles c’est des pisseuses ! Avec c’qu’elle descend celle là, ça va pas faire un pli... »

Les cuivres se sont tus, la batterie a cessé son leitmotiv.
Un instant il se retourne face à son whisky.
« dieu, cette musique, pourquoi y ont mis ça ? »
Une mélodie a remplacé le jeu des musiciens.
Il caresse le bord du verre du bout de l’index.
Il respire profondément. Fronce les sourcils. Semble réfléchir.
« Comme j’étais bien sur cette plage avec Mona. Tout aurait pu basculer.
Ah, Mona, on était à deux doigts d’y arriver ! 
Est-ce que j’ferais pas mieux d’filer maintenant ! J’prends l’bateau et j’me tire. Y pourraient pas m’retrouver.
T’as dis OK Max, tu peux pas t’défiler, et puis tu rêves, y t’retrouvent toujours ! »
Puis il opère un volt face. De ceux que l’on voit dans les vieux westerns.
« Assures, comme d’habitude. »
Il réajuste avec lenteur son feutre, comme s’il repoussait l’instant suivant.
« Ca va aller ! T’attends qu’la fille aille au toilette, ça d’vrait pas tarder. »
Autour de lui des verres s’entrechoquent , des exclamations fusent.
Un groupe est entré qu’il n’avait pas remarqué.
Il jette un regard furtif. Jauge.
« Eux aussi, faudrait qu’y dégagent. »
Regarde son type, celui pour lequel il est venu.
La fille s’est maintenant pendue à son cou.
Il met les mains dans ses poches et s’adosse au comptoir.
« Cool une table ! »
Le groupe à côté entreprend d’aller s’asseoir.
Max joint doucement ses mains comme s’il allait prier.
Il les frottent lentement l’une contre l’autre tout près de sa joue droite.
Il murmure quelque chose puis se redresse.
« Vas pisser nom de Dieu, vas-y ! »
La fille a empoigné son sac et se dirige vers le bar.
« Ca y est, bingo ! »
Elle passe à sa hauteur et pousse une porte à quelques pas du comptoir.
Sur la porte, « Lavabos » écrit à hauteur des yeux et au dessus une petite silhouette peinte en noir représentant la gente féminine.
« C’est maintenant, maintenant, t’a pas à hésiter. Empoignes ton flingue ! »
Il porte à nouveau la main à sa poche la glisse à l’intérieur.
On distingue presque la forme de l’arme dont il vient d’empoigner la crosse.
« Vas-y ! Personne te r’gardes. »
Puis tout va très vite.
Il sort son flingue après s’être assuré que rien ni personne n’entraverait la trajectoire de la balle.
« Tires ! »
La déflagration provoque des cris d’hystérie. Aussitôt Max regarde l’entrée prêt à bondir.
« Y va descendre oui ! »
Le videur accoure. « Fous le camps ! maintenant ! »
Dès qu’il passe devant Max, celui-ci se précipite pour gravir quatre à quatre l’escalier qui le mènera définitivement loin de cette pègre.
Il s’éloigne très vite mais sans courir. « Tu marches, sans t’retourner ! »
Au bout de la rue il croise une voiture de police sirène hurlante, un cri strident à vous figer sur place. « Toujours aussi discrets, faut pas qu’y s’étonnent ! Ils ont fait vite mais pas assez.
Ton flingue ! »
Max jette son arme dans le caniveau.
Le visage impassible, il s’éloigne d’un pas définitif.
« T’es libre Max, droit d’vant c’est la liberté ! »

Françoise P.