10 janvier de l’an de grâce 2013, 19 h La grande Librairie de Page Blanche au Café de Paris

jeudi 7 février 2013, par Frédérique Niobey

Pour arriver là, il suffit de faire un pas de côté comme dit Christian Bobin dans son dernier livre L’homme-joie, et c’est le paradis.
Ici.
Maintenant.
Une cabane de protection. Elle nous enlève à la puissance d’un monde terrible et mortifère.
On a conclu un pacte avec la lecture. On attend tout. On attend la paix qui va monter des livres, les personnages qui vont en sortir, nous parler, nous renvoyer à notre image, l’auteur qui se laissera approcher, la vie qui n’a pas de prix, la pensée à son plus haut niveau, l’émerveillement, la sidération.
On attend le barman avec ses verres de Jurançon et ses raviers de cacahouètes, toutes engoncées dans les banquettes recouvertes de skaï orangé, éventrées. Elles vomissent une mousse grisâtre et vintage du plus bel effet !!
Nos livres sur les genoux. Nos cahiers. Nos crayons.

Il y a là, ce soir, Catherine, sérieuse et attentive, munie du précieux carnet qui ne la quitte pas. Une mine d’auteurs, de titres, d’éditeurs, de dates, d’heures de réunion, de rencontres, de projets. Elle et moi avons lu En nous la vie des morts de Lorette Nobécourt. Un livre puissant. Une histoire double. Un livre dans le livre. Un livre dans la vie d’un jeune homme qui cherche une autre vie loin de la ville « électrique », dans la solitude d’une cabane perdue dans le Vermont américain parce que son ami le plus cher s’est suicidé. La vie et la mort se tiennent par la main dans ce double livre qui finit par ne faire qu’un avec le jeune Nortatem. Parfois les descriptions érotiques le sont par trop. A lire. Voir la médiathèque.

Il y là ce soir, Jacinthe. Elle nous emporte d’une voix profonde et claire, dans Les Contes des mille et une nuits enchâssés les uns dans les autres, de l’Inde à la Perse, de Shéhérazade à Sinbad le marin, de Ali Baba à Aladin et c’est Rimsky-Korsakov et Walt Disney qui défilent à toute allure sous nos yeux d’enfants éberlués.
Une échappée vers Jude l’obscur et son auteur anglais du XIX ème, Thomas Hardy. Une violente et acerbe critique du mariage. Un très très beau livre dans mes souvenirs. Je l’ai lu trop tôt. Je le relirai.

Il y a là, ce soir, une jeune fille charmante, encore un peu grippée dit-elle, que je n’avais jamais vue. J’ai oublié son prénom. Elle a écouté.

Il y a là ce soir, Geneviève accompagnée de Anne. Découverte pour elle de LGL. La vie d’une autre de Frédérique Deghelt est l’histoire d’une amnésie de 12 ans, dit Geneviève. La vie d’une autre ! En fait Marie part à la recherche de la sienne. 12 années de mémoire disparue ! L’amnésie est-elle une façon d’occulter les blessures de la vie ? Une bonne lecture. Quelqu’un le veut ? Je peux le prêter. Avez-vous vu le film de Sylvie Testud avec Juliette Binoche ?

Moi, non.
Moi je suis venue avec un livre de poésies sorti de l’hôpital Psychiatrique Guillaume Régnier à Rennes. Un aide-soignant y conduit un atelier d’écriture depuis quelques années. Enfin, le recueil a été imprimé. Admirable ! Les malades sont fous de joie. Quelle reconnaissance ! Lecture émouvante s’il en est qui nous fait mesurer notre chance. De très beaux poèmes, joyeux, douloureux, criants d’authenticité. A lire absolument par petites touches. Edition H des Abbayes ou en passant par moi.

Il y a là ce soir Sam-Stef l’épistolière ! De quel livre nous a-t-elle parlé ? Ah, oui !!
Dis-moi dix mots semés au loin. Un livret, tel un mini dictionnaire, de dix mots. Justement le premier mot de la dizaine est ATELIER : « On doit y prendre en réparation le monde, par fragments, comme il lui vient. » Une citation de Francis Ponge qui colle parfaitement avec le travail de l’aide-soignant pré-cité. Rendez-vous sur le site www.dismoidixmots.culture.fr vous pourrez voir ces jolis livrets, les recevoir, faire des mots croisés des dix mots, démêler les dix mots emmêlés, lire, en extraits, Marie Darrieussecq, Sami Tchack et bien d’autres écrivains francophones. La couverture, par endroits à points comptés, comme une tapisserie brodée, enchâsse les dix mots semés au loin comme des bijoux. Sam-Stef l’épistolière distribue. Généreusement.

Il y a là ce soir, Paule et Le Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire de Jonas Jonasson. Un centenaire emprisonné dans une maison de retraite se fait la malle, chaussé de ses plus belles charentaises. Un humour jouissif. Une suite d’invraisemblances auxquelles on se laisse prendre, qui nous donne envie de fuguer et d’ouvrir toute grandes les portes verrouillées et coupe-feu des mouroirs afin de libérer les incarcérés dont tout le monde se fout.

« On devrait le mettre dans tous les hospices de Dunkerque à Tamanrasset, à mon avis ! »
Fêter son centenaire dans une maison de retraite ?
Au café de Paris, oui ! Au Jurançon ! A la régalade !
Sinon vive l’arrêt du cœur qui me fera tomber le nez sur le livre de Jonas Jonasson !

20 h 30 et plus. On se lève. On fait la fermeture. Les banquettes en skaï orangé éventrées, poussent un soupir. Les chaises, pattes en l’air, s’empilent sur les tables. Dehors, sur la place pavée, coup de frais sur nos joues empourprées d’échanges passionnés et de Jurançon suave et sucré.

Au 14 février ! Même endroit, même heure ! Faites de belles lectures !

Jacqueline M 10 janvier 2013