Atelier du 16 janvier

samedi 30 janvier 2021, par Caroline Lanos

Consigne proposée par Antoinette

Le thème des mois à venir sera la trace.
On se lance aujourd’hui.

1) Une des oeuvres de Sylvain Coher (que nous avons invité en 2017) s’intitule « La forme empreinte ».
Écrivez un haïku ou une autre forme de poème très court où vous glisserez cette expression (avec ou sans le déterminant la).

2)
Voici quatre propositions, quatre images de petits fragments de vie :

- une tache sur une table
- une empreinte dans la boue d’un chemin
- quelques mots sur une feuille
- une cicatrice

Racontez l’histoire de l’une de ces traces.


Poème

Lumière blafarde, sol rocailleux et lac gelé sous les arbres nus
Sur la berge brune de boue, la forme empreinte du vieux cheval mort d’épuisement
Tu cherches dans ta mémoire, au fond de l’enfance, et les grandes ailes des oiseaux d’hiver te frôlent

Une empreinte dans la boue d’un chemin

La rue qui descend du bourg vers la droite
Nous passons devant un champ de carottes de sable
Pas un souffle, par un bruit
Un peu plus bas, une maison en pierres, porte ouverte
Une balançoire tranquille
Des draps blancs étendus sur un grand terrain vert tendre
Soleil au zénith, c’est l’heure de la sieste
Nous descendons toujours
Une ferme, des lapins blancs et noirs tapis au fond de leur clapier
Juste après, le lavoir, deux bacs d’eau de source
Du savon abandonné faisant de grosses bulles
Des blouses bleues froissées qui nagent
Une chaussure de femme laissée dans le talus d’orties
De la boue près du lavoir, des têtards noirs, des grenouilles vertes, des traces de bottes encore fraîches
Un petit chemisier déchiré, rose à fleurs bleues, s’envole avec le vent devenu caressant.

Annie


Haïku

Sous les grands arbres
forme empreinte trace boisée
camaïeu d’automne

2020, deux deux et deux ronds
et deux bonnes occasions de tourner en rond
Au début, on parlait de vingt vingt
ça sonnait bien, un peu zinzin
Deux fois vingt ans
plein de promesses
En fait rien rien
une année à attendre la saint Glin glin,
la fin du tourner en rond à la maison
du tourner en rond dans son kilomètre

Commencer à respirer à nouveau avec un début de liberté :
trois heures par jour pour explorer ses 20 km !
Retrouver du vert pour les citadins
de la vraie campagne, des grands arbres, la forêt
Et la mer pour les plus chanceux
Liberté relative et surveillée avec autorisation de sortie
et le masque obligatoire, même en extérieur.
Une aberration totale pour de nombreux médecins
qui ne disent plus rien
Il ne fait pas bon critiquer les décisions gouvernementales
Il faut être citoyen, collectif, protéger son prochain
même si aucune étude ne montre l’intérêt de cette contrainte
Pas le choix
marcher dehors non masqué est devenu un délit
la police rôde même le dimanche pour contrôler la balade dominicale
prête à verbaliser les dangereux contrevenants
La délation est (re)devenue sport national
On épie le mauvais citoyen pour la bonne cause
Faut dire que pour le sport on repassera
plus aucune activité sportive, culturelle, collective
Chacun chez soi, abreuvé des nouvelles de fin du monde
qui emplissent tout l’espace

L’espace réduit dans lequel on peut encore respirer un air vicié par la peur de mourir et la culpabilité poisseuse de tuer ses proches si on ne suit pas à la lettre toutes ces nouvelles injonctions liberticides

L’année 2020 laissera des traces, des cicatrices
Début de vie tout pourri pour des bébés qui ne découvriront pas à la naissance le sourire de leur mère
pour des enfants entourés de visages vides, inexpressifs et déshumanisés
pour des jeunes privés de jeunesse
des adultes résignés, apeurés, terrorisés
des anciens isolés, cloitrés, coupés du monde
qui ont peur jusque de leurs enfants et de leurs petits-enfants

Au programme pour commencer 2021, le couvre-feu partiel, puis total
avec toujours de belles amendes à la clé

La police n’a pas fini de rôder
Les loups sont entrés dans nos vies

Cicatrice

Caroline


Haïku

La forme empreinte
l’empreinte qui se forme
la forme qui laisse une empreinte
à jamais, pour toujours.

Une empreinte dans la boue du chemin

Qui est venu ? Car quelqu’un est passé puisqu’il a laissé l’empreinte de ses bottes dans la boue du chemin. Un homme vu la taille, au moins du 44/45. Pourquoi n’a-t-il pas sonné à la porte ? Rien vu, rien entendu. C’est un peu angoissant. J’ai choisi cette maison car elle est isolée du village. Tranquille me disais-je, je ne serai pas dérangée. Je trouve d’un seul coup cet isolement moins agréable, et ce bois au bout du jardin un peu inquiétant. Qui est donc venu ? Un cambrioleur pour faire un repérage ? Pire, un psychopathe en mal de femme seule ? Je regarde trop de films policiers ! Je vais devenir parano ! Je fais le tour de la maison. Tout est normal, pas de vitre brisée et pas d’autres empreintes. Je retourne vers celle que j’ai vue sur le chemin. Là j’en découvre d’autres, je les suis et me retrouve devant ma boîte aux lettres.
En l’ouvrant je trouve un joli courrier de mon amie Catherine. J’éclate de rire. L’empreinte, c’est celle du facteur bien sûr ! Il a du laisser sa voiture à l’entrée du chemin de peur de s’embourber car c’est déjà arrivé et il est venu à pied.
Je suis soulagée, mes craintes envolées. Tout ça pour une trace de botte dans la boue !

Françoise


Une tache sur la table

Il était 16h30 .Un coup de règle maladroit buta dans l’encrier de porcelaine et l’encre bleue s’étala sur la table de l’écolier, juste au moment où il rangeait ses affaires dans son cartable, juste avant de partir. L’encre se répandit dans la rainure de la surface qui avait été un temps vernissée. L’enfant sortit précipitamment, ses buvards, son éponge à ardoise, son chiffon, son mouchoir. Il « buvarda » l’encre du mieux qu’il put, frotta énergiquement avec le côté bleu de sa gomme. Rien à faire. Le bois déverni avait absorbé l’encre. La tache était là. Il la regarda désolé et stupéfait. Elle avait pris la forme de l’arbre abattu dans le livre que la maîtresse lisait à haute voix, chaque jour, à 13h30, après la récré de cantine qui n’échauffait pas que les joues disait-elle.
L’arbre aux sabots, l’histoire passionnante et émouvante de cette famille italienne très pauvre. Afin que son fils puisque continuer ses études, le père abat un des arbres de la propriété qu’il entretient, pour façonner des sabots neufs . Le propriétaire furieux chasse toute la famille de son territoire .
Courageusement, le garçon alla dire à la maîtresse ce qui était arrivé et qu’il voyait dans cette tache désormais indélébile, une paréidolie. Il en était sûr.
Toute la classe se pencha sur la table. Tous virent l’arbre aux sabots couché-là . La maîtresse s’exclama, haut et fort, souriante, qu’elle aussi, elle voyait l’arbre.
Une trace précieuse, à jamais gravée dans les souvenirs et les rêves de ses élèves.

Jacqueline


La forme empreinte laisse des traces
A l’aube du miroir, je plonge
Doux souvenirs, un peu me rongent
De l’enfance à la mort, laisser une trace

J’ai tant marché dans la boue d’un chemin, mes petits pieds dans ceux des grands. La terre est creusée doucement par l’empreinte que j’emprunte. J’ai beaucoup appris à marcher dans le pas des grandes personnes, mais je garde en moi les petits pas de l’enfance, merveilleux, mes bottes en caoutchouc recouvertes de boue.
Mon empreinte dans la boue de mon chemin est indélébile, elle laisse des traces de moi, de l’enfant que j’étais, de celui que je suis et de celui que je deviendrai. Avec elle, j’apprends à marcher.

Laurence.


Poème

La pluie glisse, légère,
Forme empreinte sur la vitre,
Larmes sans sel, anonymes.

Une tache sur la table

Elle est toujours là sur la table, cette tache qui s’est incrustée l’air de rien sur le joli bois blond. Ce n’est pourtant pas faute de le lui dire :
- Attention à ta tasse !
Et lui comme toujours de hausser les épaules avec son petit sourire narquois :
- Mais non, un petit coup de torchon et il n’y paraîtra plus !
Eh bien, c’est fait, il a suffit qu’elle s’absente une semaine et le mal est fait, elle a beau frotter, ça ne sert à rien, c’est in-dé-li-bi-le.
Elle rage, elle fulmine, à croire qu’il l’a fait exprès jour après jour de poser sa tasse exactement au même endroit, comme pour laisser une trace, sa trace sur la table que ses parents lui ont léguée. Elle y tient à cette table, elle la chérit même, tous les jours elle passe un chiffon doux pour ôter une poussière inexistante et une fois par semaine, elle l’encaustique avec une cire achetée chez un ébéniste, et là, le geste doit être mesuré, enveloppant, caressant, elle adore ces moments, pour elle c’est comme une communion avec ses parents décédés. Mais lui, il ne comprend pas, elle pense parfois qu’il est jaloux du temps qu’elle consacre à cette tâche, il lui a suggéré de mettre une nappe plastifiée, quelle horreur, ce serait comme mettre un bonnet quand on sort du coiffeur lui a t’elle rétorqué.
Elle s’est assise, soudainement lasse, elle caresse du bout des doigts la tache et d’un coup toutes les rancœurs accumulées au fil des ans remontent en une bile acide et ça devient une évidence, elle et lui, c’est fini, terminé, elle jette un coup d’œil autour d’elle, rien ne la retient ici, elle va tout quitter, partir, elle emmènera sa table, c’est tout.

Roselyne


Au bout du chemin 
Sa vie qui va, lente,
forme l’empreinte de boue.

Dans sa course du temps 
à petits pas lents
une forme empreinte 
écrase le duvet de mousse
sous le rayon de la lune rousse
ombres en demi-teinte

Plus haut sur le tronc d’arbre
un coeur est gravé là
quelque part il bat pour deux.

Cicatrice

Tu avances à petits pas en écrivant tes souvenirs. Il y a ceux que ta mémoire conserve, et retrace par petits mots émotifs ; sur ton corps, ta peau recousue porte les stigmates, ces marques incrustées qui traversent et te suivent au cours des années. Cicatrice que les variations de températures boursoufflent, en partie sous ton oeil, ta chair rosit, à ta dé-convenance, au rythme des saisons.
Toi, tu entends les cris des jeux turbulents et revis ces traces d’enfance. 
Quelques indices, ici ou là, sur ton corps révèlent ces jeux dont tu menais la danse bien souvent : chutes de balançoire, de vélo ou de patinette, coups d’épée de bois, jets de cailloux et genoux éclatés.
Toi le garçon manqué ou la fille réussie sur ton corps des gammes indélébiles sur ta peau vieillie, et au dedans des douleurs que les anciens taisent. Il y a du mal en dedans qui ondule en silence.
Parfois un cri saisit ce silence et rallume les maux qui nos rappellent qu’on est vivants. 

Stéphane.


La roche dessine
forme empreinte creuse et nue
une vie enfuie

Ils avaient tant aimé les routes, les chemins de toute sorte. Ils avaient tant marché ensemble, l’un derrière l’autre ou côte à côte, sans jamais se lasser. Il y avait les sentiers côtiers qui longeaient les plages et les falaises, le fracas des vagues ou leur doux glissement sur le sable. Il y avait le cheminement presque enfermé dans les sinuosités des garrigues aux odeurs de thym et de fleurs. Il y avait les sous-bois, les pinèdes, le vert des alpages qu’on foulait le souffle et le pied légers. Ils avaient aimé l’effort à l’unisson et le corps heureusement fatigué, le repos au hasard des creux ombreux ou des points de vue dégagés sur des beautés inépuisables. Ils avaient aimé les rencontres fugitives, les simples mots échangés en se croisant, les dîners partagés à la table unique d’un refuge, les cartes dépliées sur lesquelles quatre ou six têtes se penchent tandis qu’un doigt qui sait dessine le chemin.
Et puis il y a eu ce faux pas, ce caillou sous le pied qui l’a fait sortir du chemin et l’a précipité dans la pente vers le torrent. Il y a eu le sac à dos salvateur qui s’est déchiré à une branche, freinant son dévalement et lui rendant son équilibre. C’est ce soir-là, qu’elle lui a dit. Dans la cour de la petite auberge quelques tables permettaient de profiter de la fraîcheur du soir. Il réfléchissait à l’itinéraire du lendemain. Elle recousait le sac. Elle a parlé sans interrompre son geste, preste et sûr. Lui n’a pas tout de suite relevé les yeux du GR qu’il suivait sur le guide.
Maintenant il marche sans elle. Son corps sur le sentier s’étonne de sa solitude. Il va pourtant, cherche sa place, une connexion nouvelle avec le monde autour. Sur son dos le sac est ferme. Il ne sait pas quelle cicatrice il porte.

Antoinette