Atelier du 9 décembre

mercredi 9 décembre 2020, par Caroline Lanos

Consigne de Roselyne

Aujourd’hui je vous propose d’écrire un récit de voyage fantaisiste qui se terminerait par « Et je nageai jusqu’à la page ».

« Et je nageai jusqu’à la page » est le titre d’un livre écrit par Élisabeth Bing*. Il raconte son expérience des ateliers d’écriture pour enfants. On peut y lire les textes écrits par les enfants et, en particulier, le texte du garçon qui a donné son titre au livre. Il avait confondu « plage » et « page ».

Livre - Elisabeth Bing, ... et je nageai jusqu’à la page

* Élisabeth Bing a fondé à Paris, en 1981, une association d’ateliers d’écriture qui porte son nom.


J’avais décidé de passer cette fin d’après midi sur la plage avec le livre qui me passionnait alors. Il faisait doux , la brise était légère. Je m’étais installée le dos à un rocher. Comme nous étions au printemps la plage était déserte seul un promeneur de chien l’avait traversée.
Absorbée par ma lecture, je n’avais pas remarqué les nuages qui arrivaient de l’horizon. Le vent aussi avait forci. Mon chapeau de paille s’envola brusquement. Je posai mon livre dans le sable pour aller courir après. C’est que j’y tenais à ce chapeau ! Un souvenir de vacances. Mais le vent marin devait s’ennuyer. Pas de voile à pousser sans doute. Il le prenait, le posait, lui faisait faire des cabrioles, le traînait un peu dans le sable et soudain l’envoyait en l’air pour le déposer plus loin. Bien sûr je le suivais aussi vite que je pouvais. Les mains tendues prêtes à le saisir. Cela dura un petit moment qui me fit parcourir la plage jusqu’à ce qu’il amerrisse dans les premières vagues. Tout mouillé il ne ressemblait plus à rien. Impossible de le remettre sur ma tête. Je regagnai mon rocher et le remplis de galets pour lui éviter une nouvelle escapade.
Mais où était mon livre ? Lui aussi avait pris la poudre d’escampette. Pages au vent il filait à ras du sable en direction de la mer. Il semblait affolé, les pages vibraient furieusement. C’est à ce moment que les nuages décidèrent de livrer leur contenu. En rien de temps je fus trempée, les cheveux collés sur le visage, je luttais contre les éléments comme je pouvais. J’aperçus mon livre léché par les vagues. Les pages imbibées d’eau se détachaient lamentablement et un dernier coup du vent les éparpilla. Je les ramassai une par une. Ce livre je voulais le finir et gagner la partie sur le vent qui avait disparu sans s’excuser et sans réfléchir, en désespoir de cause, je me jetai à l’eau et je nageai jusqu’à la dernière page qui me manquait et où était écrit tout en bas : FIN.

Françoise


TEXTES

Depuis une semaine, à la tombée de la nuit, j’apercevais de ma fenêtre ce vélo en guirlandes bleues qui scintillait de mille lumières. Il trônait sur la pelouse de mon voisin, j’étais hypnotisée, incapable de détourner le regard. Je passais toutes mes soirées devant la baie, béate d’admiration.
N’y tenant plus, le 12 ème jour, j’ai volé le vélo, moi qui n’ai jamais rien volé, même pas un bonbon lorsque j’étais enfant. Je ne sais pas ce qui m’a pris.

Puis j’ai vite compris que le vélo était magique. Débranchées de la prise électrique, les guirlandes continuaient de scintiller d’un merveilleux bleu. Les roues du vélo glissaient sur le pavé luisant pendant que le mouvement des guirlandes tournait en sens inverse. Je quittais la ville et je m’engageais sur une route étroite en légère pente, c’est à cet instant qu’il me parla. Sa bouche au centre du guidon et ses yeux rieurs sur chaque poignée m’arrachèrent un cri d’effroi.

Il m’engagea à ne pas avoir peur et à croire en lui. Je lui dit qu’il était temps que je crois à nouveau au Père Noël. De toute façon, mon vélo était, comme moi, abîmé depuis longtemps. Comme d’habitude, je ne savais pas où aller, il me dit de ne pas m’inquiéter , de laisser mes peurs de côté, qu’il savait où je voulais aller et que nous irions là où le Père Noël existe.

Je pédalais sur mon vélo magique, peut-être un jour, un mois, une année, une éternité, mon corps gagnait de la force et mon âme de la beauté.

Je vis alors les ours blancs reconstruire la banquise, je relevais les manches de ma chemise et je reconstruisis aussi.

J’ai regardé en face l’homme qui a tenu sa promesse, il accroche la guirlande, avec son fils, dans le sapin. J’ai touché son épaule, il a souri, l’enfant brille plus que l’étoile polaire.

J’ai vu la main de la fillette dans la main du mendiant, sur leurs mains, j’ai posé la mienne.

J’ai brisé ses os à lui, récupéré les morceaux d’elle, pansé ses plaies, j’ai pédalé moi, et elle sur le porte-bagages, j’ai déposé son corps meurtri sur la mousse verte puis j’ai vu l’ange passer.

J’ai pédalé encore sur mon vélo magique, un jour, un mois, une année, une éternité mais je n’étais pas arrivé au bout du voyage, qu’avais-je accompli ? Qu’avais-je à accomplir ? Je sentais mes mains douloureuses et mes muscles tendus.

Aussi, j’ai posé l’alphabet sur leur table en toile cirée, étalé les lettres dessus, leurs yeux éclataient de curiosité et d’envie. J’ai transmis mon simple savoir : les lettres qui forment les mots et les mots qui forment les phrases. J’ai sursauté à leurs cris lorsque leurs doigts tremblants touchaient le papier noirci par eux et que le son des mots sortait de leurs bouches. Ils m’ont nourri de reconnaissance, de dinde aux marrons, ouverts leurs bras chauds et doux mais je n’ai pas encore digéré leur immense bonheur, puis-je un jour le toucher.

Je ne savais pas bien où je me trouvais maintenant. Agrippée à mon vélo magique, j’ai quitté le sol de la terre, j’étais très haut dans l’atmosphère, nulle part et pourtant partout. J’ai vu la terre, belle et radieuse, je n’ai pas vu tout de suite les pansements collés de part et d’autre sur elle. J’ai trouvé qu’il y en avait trop, j’ai senti que la terre souffrait et eux avec. Les guirlandes sur mon vélo magique continuaient leur danse, c’était beau et pur. J’ai versé quelques lambeaux de lumière sur elles et eux.
Alors, j’ai vu le vieillard seul, l’air un peu triste mais bienveillant. Il a pris un bout de lumière dans sa main, décollé le pansement de sa joue, colmaté la plaie de sa solitude avec la douce lumière. J’entends sa fille lui chuchoter à l’oreille qu’ils mangeront ensemble la dinde aux marrons. Il sourit, prend son panier et part à la chasse aux pansements avec son chien. Il lui faudra décoller puis colmater, c’est un long travail, il sait qu’aujourd’hui, il en a la force puisqu’il n’est plus seul. Il prendra avec lui, le long du chemin, eux, elles et les chiens aussi, pour réparer le monde.

Ils sont nombreux, je les vois de là-haut, solidaires et fiers, les paniers pleins à ras bord, le solidarité colmate bien les plaies infectées.

Je fouille mes poches où se trouvent mes pièces d’or, elles ne sont plus là, je panique, comment accomplir mon devoir de Noël, comment remplir leurs bras d’objets qui deviendront de nouvelles plaies à colmater.

Je souris de moi, n’ai-je pas encore compris le sens de mon voyage, la chance que j’ai de l’entreprendre. Je demande à mon vélo magique si je dois, si je peux redescendre. Je sens dans ma poche quelque chose où j’avais déposé mes pièces d’or, c’est un stylo et du papier blanc.

Mon vélo magique m’a déposé au bord de l’océan où j’aperçois une embarcation sommaire, la mer commence à s’énerver. Il faudrait te dépêcher avant qu’ils ne coulent me dit mon vélo magique, moi je dois m’en aller. Je fouille à nouveau ma poche, je n’ai plus rien dedans.

Je pousse un cri, je suis démunie de tout, le voyage était si beau. Le vélo magique roule déjà vers ailleurs, il se retourne une dernière fois vers mes yeux humides et implorants, il dit : tu dois accomplir ton devoir de Noël, pousser la barque de l’autre côté de l’océan avec eux dedans :les ours blancs, l’homme à la guirlande, son fils, le mendiant, la fillette, la femme au corps meurtri, les gens à l’alphabet, le vieillard, sa fille, eux, elles et les chiens. Ils te rendront la monnaie de tes pièces, ils t’inviteront à manger la dinde aux marrons, à me revoir un jour. Si tu pousses la barque au-delà, un immense bonheur t’attend, ils te rendront ton stylo et le papier marqué des mots de votre fabuleux voyage.

Et je nageai jusqu’à la page.

Laurence


Saleté de saleté !
Absents tout le printemps et c’est la jungle autour de la maison. Hiver pluvieux, chaleur dès mars, et voilà, fin juin tu ne reconnais plus rien. Quatre jours que je trime à moitié enfouie dans une végétation presque aussi haute que moi pour aller rechercher le paysage dessous. Aujourd’hui, passé midi, je me suis liquéfiée sous la canicule. Et maintenant, douchée de froid, j’attends sur la terrasse que la température baisse aussi dans les combles. Il fait presque nuit. J’ai fini à regret mon roman et je rêvasse en essayant de ne pas penser à ce qui m’attend encore demain.

La trêve aurait été de courte durée. La chaleur était là à nouveau et me piquait le corps, une chaleur sèche, d’une transparence un peu tremblante. Je sentais la brûlure du sable sur mes pieds, là où l’épaisse semelle de bois de mes sandales ne les protégeait pas. C’était quoi d’ailleurs ces sandales ? Jamais vues ! Qu’importe, j’avais bien fait d’entreprendre ce voyage. Tout autour de moi s’étendait un paysage ocre clair, nu jusqu’à l’horizon de dunes derrière lequel sans doute il se répétait. Pas de fougères, pas de ronces, pas d’arbustes hirsutes. L’odieuse prolifération verte était vaincue, remisée au brumeux pays des cauchemars. Je marchais dans la pureté monochrome du sable et de l’azur. C’est tout juste si passaient parfois au loin de longues lignes à peine plus brunes où j’imaginais des caravanes dodelinant du pas lent des chameaux. Je les saluais longuement de la main et elles s’évanouissaient, me rendant à la solitude magnifique du paysage. J’étais bien, le sac à dos léger sur les épaules – de quoi avais-je besoin ici ?
C’est à cette question en l’air que la panique me saisit. Je fouillai frénétiquement mon sac, prise d’un horrible doute. Pas de livre ! J’avais oublié de prendre un roman, un recueil de poésie, quelque chose à lire, l’indispensable compagnon de voyage qui fait qu’on est à la fois ailleurs et chez soi. Je m’assis sur le sable, démontée tout à coup, la tête entre mes genoux repliés.
Lorsque je me redressai, j’eus l’impression d’une soudaine fraîcheur, douce et parfumée. Levant davantage les yeux, je découvris face à moi comme un passage marqué dans la dune au pied de laquelle je m’étais arrêtée. Je me levai d’un bond pour le suivre. Et tout de suite l’ombre légère que j’avais pressentie fut là. De l’autre côté, à quelques dizaines de mètres, il y avait des palmiers, des plantes fleuries – luxuriantes mais qui savaient se tenir – et une vaste étendue d’eau. Je m’approchai. Au milieu de la nappe limpide se trouvait un îlot, au milieu de l’îlot une sorte de tente ombragée de palmes aux dattes prometteuses. Mieux encore… dans l’abri, sur une natte épaisse, un livre était grand ouvert. Magie du voyage, toujours plein d’heureuses promesses !
Je me mis à l’eau et nageai vers la page.

Antoinette