Atelier du 20 novembre

samedi 21 novembre 2020, par Caroline Lanos

Consigne de Françoise

Il n’y a pas que les humains qui voyagent. Je sais je l’ai déjà dit !
Les objets qui nous accompagnent dans notre vie, voyagent aussi, dans le temps, entre les personnes. Ceux qu’on rapportent, ceux qu’on nous offrent, ceux qu’on nous lèguent certaines fois depuis plusieurs générations.

1) Faire une liste de ces objets
2) En choisir un ou plusieurs, le ou les décrire et …
raconter leur histoire, d’où viennent-ils, quel voyage ont-ils fait, pourquoi vous y êtes attaché, que représentent-ils pour vous ?


TEXTES

1) Une statue de Jeanne d’Arc à cheval
2) Un bol sur pied avec deux cuillères le tout en bois coloré
3) Deux petites poupées un homme et une femme

1- Elle était sur la cheminée de mes grands-parents maternelles. Quand j’étais enfant, je l’admirais à chaque fois que nous allions leur rendre visite. A l’époque Jeanne d’Arc, pour moi, n’était qu’un nom je ne connaissais pas son histoire. La seule chose que je savais c’est ce qu’en disait mon père « Elle a été brûlée par les Anglais ! » Cette phrase était effrayante. J’ai su bien plus tard que cette affirmation était fausse et pourtant nous étions en Bourgogne !
Le cheval m’intéressait surtout, la patte avant gauche levée prêt à bondir et le visage de cette jeune femme à l’air déterminé. Je les trouvais aussi beaux l’un que l’autre.
Voyant mon intérêt pour cette statue ma grand-mère me dit un jour qu’elle serait « mon héritage ».
Elle le devint. Depuis elle me suit dans tous mes déménagements. J’ai appris qu’elle n’était pas en bronze mais en régule et qu’elle ne valait pas grand chose. Mais pour moi elle n’a pas de prix. Quand je la regarde je revois ma grand-mère, la salle à manger avec sa cheminée. Voyage dans le passé de l’enfance. Elle aussi Jeanne a voyagé fabriquée sans doute à Paris elle est venue dans l’Yonne pour finir en Bretagne . Où ira-t-elle ensuite ? Je ne sais mais elle continuera son voyage à n’en pas douter.
2- Pourquoi m’avoir offert ce bol ? Je n’en sais rien, cela devait partir d’un bon sentiment. Surtout à quoi pouvait-il servir ? A présenter une recette slave ? Je n’ai jamais su. Mes parents me l’avaient rapporté de Russie. Trop coloré à mon goût et surtout je n’ai jamais su quoi en faire et où le mettre. Cet objet est une énigme un peu encombrante, je l’avoue, mais je ne leur ai jamais dit ! Je l’ai pourtant gardé parce que, eux ne sont plus là.

3- Deux petites poupées, un homme et femme en costumes péruviens. Délicates, artisanales. Leurs visages de tissus sont finement peints. Il porte un bonnet et elle un chapeau avec un joli pompon coloré. Lui a une guitare, elle un bébé dans les bras et un autre dans le dos.
Je ne me souviens plus où je les ai achetées, sur un marché, dans une boutique de souvenir ? Le voyage au Pérou commence à dater. Mais quand je les regarde je revois toutes les personnes que j’ai côtoyées durant ce voyage. Les femmes portent de si beaux costumes des chapeaux incroyables selon les régions. Et je retourne par la pensée dans ce pays qui m’a fasciné.

Françoise


Ma trousse de toilette est en cuir rouge, un rouge aujourd’hui un peu terni, taché par endroit et craquelé par l’usure. Je l’ai acheté il y a déjà pas mal de temps, je ne sais plus quand mais par contre je me souviens du jour.
Il pleuvait, pas une pluie drue non, pas une averse non plus mais une petite pluie fine avec des gouttelettes qui tombent si lentement qu’on a l’impression qu’elles flottent dans les airs, un crachin comme on dit chez nous, des nuages bas avec au moins cinquante nuances de gris. C’était d’une tristesse à pleurer et sur mon visage larmes et pluie faisaient bon ménage. J’étais frigorifiée et je cherchais un endroit où me réchauffer, une odeur de café me fit pousser une porte vitrée, une clochette tintinnabula, la salle était chichement éclairée, j’attendis un instant et ne voyant personne venir je me dirigeai vers une petite table ronde, j’ôtais mon ciré trempé et m’installai sur une chaise en bois légèrement brinquebalante. Tout autour, sur des étagères il y avait des tas d’objets variés, de bric et de broc, j’étais dans un de ces endroits que l’on trouve parfois dans les villes balnéaires, mi café, mi brocante, c’était délicieusement suranné et je m’y senti tout de suite bien. Je commandais un vin chaud à un homme imposant, fleurant bon le fumeur de pipe, il me proposa un chocolat chaud maison. Le breuvage crémeux, un vrai délice, me rasséréna étonnamment, l’homme m’invita à fouiner dans son bric à brac et disparut de ma vue. Je furetais donc et tombais sur cette trousse de toilette encore dans sa boîte, poussiéreuse et cabossée certes mais semblant neuve, immédiatement elle m’a plu avec ses nombreuses pochettes, son cuir de bonne qualité et ce rouge flamboyant. Grâce à elle, dès le lendemain, j’ai tout quitter, pour embrasser une vie faite d’aventures, de voyages et de découvertes.

Roselyne


- Un tableau peint par Guy Bellis sur un morceau de contre plaqué représentant la carrière du Rocher Coupé en 1943. Guy Bellis ? Un jeune résistant fougerais caché dans une des chambres chez mes parents.
- Un éventail Viet Namien offert par une vielle dame arrivée en France sur un boat people
- le diplôme du Certificat d’études de mon père
- une carte d’alimentation de l’occupation allemande
- une poupée, des vases, des dessins, des cartes postales, des lettres venus de mes élèves, des cahiers de poésies que j’ai « oublié » de leur rendre
- un clairon allemand de la guerre 14-18 ramené par mon grand-père
- la dernière lettre de ma sœur et un de ses foulards
- un flacon de verre rempli de terre de Sienne…..
Le Clairon allemand

Tante Alice avait, posés sur sa cheminée en granit poli , deux grandes douilles d’obus en cuivre ciselées, de fleurs et de feuillages torsadés. Elle mettait dedans les dahlias de sont jardin. De beaux bouquets disait elle dans sa lange Gallo.
Elle nous avait expliqué que son père avait ramené ces douilles du Chemin des Dames ou de Verdun. Elle disait c’est l’art des tranchées. On ne faisait pas fait plus attention que ça. On ne parlait pas de la guerre. Tout le monde voulait l’ oublier surtout notre grand-père et sa famille. Il en était sorti sain et sauf mais était devenu taiseux. Il passait beaucoup de temps au cul des tonnes de cidres dans le cellier de la ferme. Seul et dans l’obscurité. Il tressait pour ma sœur et moi de ravissants petits paniers en osier. Ils nous les donnait très vite n’attendait pas notre merci et retournait très vite dans son cellier comme si notre présence lui faisait.
On a su qu’il était rentré de vitré à Baillé avec tout un barda sur le dos qui devait peser des kilos.Il avait fait la route à pieds et reçu sa carte d’ancien combattant le 24 octobre 1229.
Il a fallu la mort de Tante Alice pour que soit découvert le Clairon militaire allemand enveloppé dans plusieurs feuilles de papier journal et caché derrière une pile de draps dans l’armoire à glace de la chambre à laquelle on accédait par un escalier de meunier.
Interloquées et muettes , nous avions dans les mains un objet d’une guerre qui avait tué dix millions de soldats, qui avait fait en 1919 un voyage depuis un champ de bataille labouré, pour des années ,de trous de bombes, jonchées de cadavres déchiquetés, méconnaissables.
Quelle était l’histoire du Clairon à deux boucles, muni de son embout, gravé 1914 sous un blason de l’ aigle de l’empire, couronné, tenant dans ses griffes une épée et un sceptre. Pourquoi se retrouvait-il chez Tante Alice si bien caché ? Pourquoi n ‘avait-il pas eu sa place sur la cheminée ou dans le buffet vitré parmi les petites douilles sculptées elles aussi et les photos de famille ? Etait-ce une preuve de sa détestation des Boches comme elle disait. Son père lui avait-il raconté comment il avait récupéré cet objet ? Avait-elle eu honte et fut -elle horrifiée au point de cacher l’instrument à tous regards ?
Nous savions seulement que ce clairon est un instrument d’ordonnance qui sert à la transmission des ordres grâce à des sonneries simples et facilement reconnaissables. Quelles autres mains que celle de notre grand-père, de ma tante avaient touché ce cuivre un peu cabossé ? Quelles lèvres terrorisées ou hargneuses avaient soufflé la charge sur l’ennemi ? Quelle lien s’était crée entre le musicien et notre grand-père ? L’instrument a-t-il été pris sur un cadavre tué à la baïonnette par le Soldat L’Honoré laboureur de son état, affecté au 76 ème régiment d’infanterie numéro matricule 724 ? Un lien d’amitié s’est-il crée entre deux poilus embarqués dans une folie à laquelle, ils ne comprenaient rien ? Ont-ils à la fin de la guerre procédé à un échange précieux afin de ne pas s’oublier ?

Nos questions restent sans réponses. Tante Alice s’en est allée avec le secret du clairon allemand .
Aujourd’hui, quelle que soit son histoire, il trône sur le buffet de la ferme, hérité de mes grands-parents.

Jacqueline


Les objets voyagent aussi, dis-tu. C’est l’histoire que nous en racontons qui les animent. Il y a ceux qui se transmettent et ceux que nous choisissons.
Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? Disait le bon Lamartine.

La poupée ramenée du Japon en 1965 par mon père siège sur ma table de nuit depuis 55 ans. Je ne m’en suis jamais séparée. C’est un homme habillé de façon traditionnelle la version féminine avait été offerte à ma sœur ainée.

Un petit lapin dans sa bulle de neige, plus kitch tu meurs, toi l’amie partie trop tôt,
tu t’étais excusée de me l’offrir « c’est rien, mais il a les couleurs de Pâques »
Une autre amie, m’a offert le chat culbuto asiatique, il est assis derrière mon ordinateur. Il est là, chaque jour, à coté du petit lapin.

Un livre relié par mon grand-père, le Prophète, offert au noël de mes quinze ans,
le cuir blanc devenu beige, traces de doigts, usure du temps, et d’heures de lecture.

Des objets associés à des personnes, comme des traces qui me suivent. Quand mon regard s’y arrête, la montée aux larmes, suivant les heures du jours ou l’émotion accumulée, brouille mes yeux verts. Je n’arrive pas à choisir. Un broche, un pendentif d’Afrique. Ou bien cette petite statue, des années quatre vingt, façon Boudha. Aux couleurs vert/noir et brique. Trois couleurs dont j’avais harmonisé mon studio d’étudiante puis mon appartement aux murs tapissés de tentures façon arbre de vie toujours à ces trois couleurs. La prochaine fois que je passe à Paris, je regarderai si la boutique chinoise y a toujours pignon sur rue, rue du (petit) Prince dans le 6ième arrondissement. A ce même endroit, j’achetai toujours des chaussons chinois noirs.
Emotion des chaussures plates velours noir ou bien toile suivant la saison. Ce sont des objets associés à cette statue qui orne toujours mon atelier.

Stéphane.