Jour 55 du Grand Confinement

mercredi 20 mai 2020, par Frédérique Niobey

Dernier atelier puisque demain sera un autre temps...
Demain, nous déconfinons...

Aujourd’hui, revenir sur ce que fut cette expérience d’écriture durant ce temps si particulier du grand Confinement.
ECRIRE donc...

Écrire en tournant en rond , attentive à ne pas cogner les murs, esseulée, loin des autres au dehors, inaccessibles, dangereux. Façonner des ronds qui enferment, des spirales qui emprisonnent, chercher un souffle qui libère, haleter, respirer.

Écrire des histoires pour sortir de soi, rêver de couleurs arc-en-ciel, laisser son regard errer en imaginant des chimères, enfourcher des licornes, écrire une baguette à la main pour enfanter la lumière, engendrer les ténèbres, complémentarités nécessaires.

Écrire la contrainte, la clôture, chercher pour dire l’enfermement, enrôlée pour incarcération volontaire, cloîtrée sans religion, devenir forteresse et tenir son bastion, son périmètre... Dresser des barricades, défense assurée... Propension à se terrer, garantie de sauvegarde... Penser s’immuniser en reléguant les autres, attention danger !

Écrire certains jours les yeux fermés, stylo timide sur la feuille blanche. Hésiter, gribouiller, patiner, partir à la dérive et perdre le cap, flotter, vagabond furtif à la langue lestée.

Écrire avec l’ennemi, silencieux, insidieux, contagieux, la crainte sournoise crochetée à l’esprit comme une moule à son rocher, farandole de mots anxiogènes ressassés à longueur de journée, parasites de la pensée, épouvante masquée.

Écrire quelque chose, un petit rien pour tâter la consigne, la garder en bouche, la goûter, essayer des mots, chevaucher des idées, rejeter dépitée, être soeur Anne et ne rien voir venir, attendre l’étincelle, encourager le stylo et noircir la feuille blanche.

Écrire pour ne pas pleurer, larmes de sel invisibles sur visage impassible, terrassée par une onde de tristesse, percussions inattendues, cœur brisé sur mer tourmentée, bouche ouverte sur hurlements inaudibles, inspirer, expirer, cracher la solitude au goût d’amertume.

Écrire un jour de grand soleil, caresser sa paresse, s’immoler aux rayons, s’engloutir dans le néant pour n’être qu’une peau à dorer, une chair brûlée, un parchemin inachevé.

Écrire un matin la jouissance du temps pour soi, voir venir d’un œil enjoué les heures voluptueuses, déguster, temporiser, attentive à ne rien bousculer, se pelotonner dans cet espace confidentiel, l’intimité non partagée, particulière, si secrète et ne pouvoir que se taire.
Roselyne

Écrire.

Tous ces derniers jours j’ai beaucoup réfléchi …
et chaque après-midi impossible de faire autrement que d’ÉCRIRE …
Écrire sur ma feuille toute l’avalanche des mots préparée en secret ou venue me bousculer 
lors de ma promenade (courte tant le vent glacé me saisit !!)
et plus fastidieux pour moi , après , taper les paragraphes successifs …
Relire re-changer ajouter couper remplacer re-re-lire …
sortir un exemplaire pour le lire sur papier, 
autre distance indispensable …
- moins bien pour l’économie papier et cartouche d’encre, à mon rythme défendant-
nécessaire, comme ces mots qui dansent et qui me soulèvent…
le poids m’est ôté , et j’avance plus légère.
Et une tentative de conclusion, car si je me mets à nouveau à écrire aujourd’hui, 
l’humeur peut me détourner ou au contraire renforcer certains points à peine marqué, touché , derrière.
Tout derrière, des brides qui n’attendent que de l’espace et l’énergie pour aller courir sur la plage,
 crier à tout vent ,
 jusqu’à se percer les tympans 
et être transpercée par mon propre cri de dedans. 
Écrire comme on écrit une lettre.
Écrire que la journée sera belle.

Stéphane.

Écrire, retrouver chaque matin le Grand Atelier du Grand Confinement

Écrire le confinement dans sa durée. Sept semaines qui ne connaissent pas leur fin et laissent les mots d’un jour sans point qui les arrête, dans l’appel ouvert à ceux qui les suivront.

Écrire le confinement avec ce qu’il impose. L’espace contraint, privé d’autres présences. Un nouveau diapason auquel s’accorder à la vie. Heures élastiques. Liberté effrangée.

Écrire le confinement, ce qui tourne autour, incessamment. Le virus, les masques, les mains relavées, la peur. Les certitudes effritées, l’équilibre perdu d’un monde bâti sur trop de failles. le corps à corps de petitesses et d’élans solidaires, les trouvailles magiques, le forage tâtonnant de ressources enfouies.

Écrire pour répondre à l’invitation d’écrire, pour entrer dans une conversation, préserver fût-ce entre les murs la parole échangée.

Écrire en atelier, retrouver nuancée par les circonstances, l’écriture partagée. Être lancés dix, quinze sur un même rail dont se découvrent ligne après ligne les multiples aiguillages.

Écrire souvent après lecture, après un texte découvert. Écrire, rejoindre les mots de tous.

Écrire, se saisir des consignes selon l’humeur du jour. Entrer dans un registre enjoué ou plus grave, creuser ou affleurer. Jouer parfois avec les formes anciennes, la musique des vers, fidèles à des acquis lointains, à ceux qui nous y ont guidés. Traquer d’autres jours ce qui est là seulement pour faire joli et qu’il faut que l’on gomme.

Écrire parfois de haute lutte en ces temps immobiles et voués aux travaux. Pris entre le marteau et la plume, entre la peinture et les mots. Main retenue. Bêche posée. Points de suspension.

Écrire, chercher plus que jamais un équilibre entre dehors et dedans.

Écrire, et d’abord raconter des histoires, repeupler le monde déserté, réinvestir un espace sans barrière. Mettre quelque chose à la place de ce qui manque ou de ce qui s’en va.

Écrire, repartir de zéro dans un monde inconnu, page blanche sur l’abîme comme appui au rebond. Dire que ceux-là qui ont décidé que le monde serait fou ne nous ont pas tout pris.

Écrire au-delà du confinement.

Écrire, juste écrire.

Écrire, explorer une langue singulière, avec ses mots, leur perception et leur charge d’histoire, avec ses sons, ses rythmes, sa plasticité.

Écrire pour que ne meurent pas les instants imprimés quelque part en soi, pour saisir les images qui parfois resurgissent de ce terreau enfoui.

Écrire le clapot mat, juste audible, l’imperceptible soulèvement de l’eau moirée de lune, l’infusion aérienne du jasmin.

Écrire, tenir debout sur un peu de beauté.

Écrire comme on voudrait courir sur un sentier côtier, le souffle peu à peu accordé à tout cela qui nous contient et laisse aller nos pas. Entendre la voix qui dit je suis de ce monde.

Écrire jusqu’à ce que les mots s’effacent et que quelque chose parle derrière eux. Alléger le réel de son poids de raison. Retrouver l’ombre bleue des choses.

Écrire sans tricher, sinon ne pas écrire. Refuser ce qui ne dit rien.

Écrire pour trouver la force, affronter le déséquilibre, rompre le lâche pacte des jours avec l’oubli d’une essentielle menace.

Écrire, se préparer à vivre. Quels qu’en soient les méandres et l’issue.

Antoinette

Ne plus pouvoir écrire. Etre vidée de toute substance. Mes mots ne sont pas là. Mes mots sont pourchassés par d’autres mots ravageurs, barbares, envahisseurs , obsessionnels venus d’une planète inconnue. Mes mots pris d’une frayeur subite se sont enfuis. Mes mots se sont terrés, enterrés, barricadés, muselés, enfouis dans un abri bétonné aux portes blindées. Mes mots ne savent plus être mes mots au soir d’un 17 mars particulier. J’ai cherché leur visage comme on cherche à tâtons, dans le noir, la poignée d’une porte .

Ecrire en serrant les poings pour un Atelier bienfaiteur et fêter cette arrivée les yeux écarquillés et tenter maladroitement d’ apprivoiser les mots inconnus qui envahissent les médias, qui envahissent mon corps glacé prêt à sombrer et écrire pour regarder le ventre du monde dans les yeux et me sauver de ses terreurs si il en est encore temps.

Ecrire depuis toujours et maintenant avoir peur d’écrire vers l’autre divinement arrivé et se sentir comme une naufragée sur une île désertée et ne plus savoir si tout est bien comme ça et se sentir ébranlée en cliquant le soir sur la touche « envoyer ».

Ecrire à petits pas incertains comme on réapprend à marcher avec la peur de tomber. Ecrire le jour , écrire la nuit, écrire dans la cuisine en épluchant les légumes pour la soupe du soir. Ecrire sur les touches noires et blanches du piano et entendre ma mère qui me disait souvent : « Si tu as du chagrin, mets les mains dans la terre, tu iras mieux demain.

Ecrire pour ne pas assister à mon propre enterrement et me tenir debout au bord du cercueil, écrire pour ne pas avoir les yeux brûlants de larmes étouffées et écrire pour me parler de moi-même les mains dans la terre du jardin qui absorbe ma peine

Ecrire pour entrer à nouveau en écriture comme on entre dans les ordres pour retrouver la foi qui s’est égarée aux chemins du réel, aux chemins de mes rêves, à ceux de ma mémoire. Ecrire avec rage comme j’ arrache le chiendent qui pousse dans les allées de mon potager, comme je défonce ses plates-bandes pour retourner leur terre.

Ecrire tous le jours, avec ferveur comme une élève penchée sur des cahiers d’écoliers margés de rouge et écrire dans la marge et raturer le mot en trop et cent fois sur le métier remettre mon ouvrage avant d’écrire sur l’écran rigide et vertical de l’ordinateur au garde à vous sur mon bureau.

Ecrire sur mes genoux, assise dans un fauteuil bleu posé sur un balcon bordé d’une verte vigne vierge , écrire sur une feuille de copie 21/29,7, rayée Siéyès, suivre les lignes, écrire et réécrire au crayon de bois qui ne s’efface jamais si on ne le gomme pas, gommer et gommer encore et lire et relire à haute voix pour trouver le rythme et entendre le pas en admirant la ville qui sommeille devant moi.

Ecrire pour me décamérer, me rééduquer en retournant dehors pour trouver un portail ou une porte de sortie et se remémorer toutes les parties manquantes et tout écrire en fatras dans le désordre du temps suspendu et sentir enfin la timide présence des mots revenus comme la lumière d’un phare qui guide les bateaux.

Ecrire en ruminant l’Histoire en plein disfonctionnement, penser que j’en ai pris ma part, que j’en ai fait partie et écrire pour recommencer à écrire sur une fin d’histoire et sur les fleurs du jardin et sur les hortensias emperlés et écrire encore en écoutant l’orage gifler de ses écritures mouillées la fenêtre close de la chambre où je suis enfermée.

Ecrire comme je respire et chercher d’autres sources, d’autres apparitions et d’autres éclosions et s’abriter sous les bras du châtaignier centenaire parce que cet après-midi-là il fait un peu trop chaud, en plein soleil, sur le balcon. Suivre du bout des doigts les contours de la cicatrice qui ne s’élargit plus et réapprendre à me connaître moi en écoutant les heures qui s’égrènent tout en haut du Beffroi.

Ecrire sur rien, pour retrouver confiance, sur les images arrivées, sur la poésie cachée que je croyais perdue et revivre à haute voix l’été 80 qui remonte des âges en marchant dans le jardin et sentir que le souffle revient en écrivant à mon tour des Chroniques inédites qui vont s’élargissant vers de nouvelles frontières en cercle limitées.

Ecrire en corps à corps pour mener double-vie dans ma vie, mes joies avec mes peines, mes rires avec mes larmes et conduire toujours le double attelage, tirant à hue, tirant à dia, cherchant la bonne foulée et le bon pas, trouvant la folle allure, en me laissant aller en toute humilité, au fil de la plume, aux coups par coups, et par à-coups, à toutes ces traversées dans le simple fait d’avoir compris que je suis encore là.

JM

Écrire chaque jour, suivre les consignes, s’inspirer des auteurs indiqués, de la photo jointe. Modifier un texte, se l’approprier. Jouer avec les mots, les lettres. Vérifier l’orthographe. Chercher le mot juste, poétique, le bon rythme. Lire à voix haute, écouter le chant des mots. Imaginer une suite, une autre histoire. Inventer, réfléchir, relire, ré-écrire. Trouver un synonyme pour ne pas répéter. Caviarder.

Écrire pour oublier le confinement tout en l’écrivant. Ne pas voir le temps passer. Découvrir des auteurs, en relire d’autres. Finir par ne plus avoir envie de sortir.

Écrire pour le plaisir. « Écrire pour obéir au besoin que j’en ai. Écrire pour apprendre à écrire... Écrire pour ne plus avoir peur.... Écrire pour m’inventer, me créer, me faire exister... Écrire pour soustraire des instants de vie à l’érosion du temps » comme le disait si bien Charles Juliet dans "Il fait un temps de poème"

Écrire. Tous les matins aller voir ce que les autres ont écrit et les lire avec plaisir. Se sentir un peu ensemble dans l’écriture. Se retrouver à travers les textes. Et puis vite aller découvrir ce que Frédérique nous a concocté, mitonné comme un met appétissant pour la journée. Et se délecter devant le clavier.

Écrire sur Ivan Oroc. Je l’avoue il commençait à m’ennuyer ce personnage et ce monde "nazillant" dans lequel il évoluait était terrifiant. J’espérerais presque que la maladie l’ait terrassé. ( je ne suis pas sûre de la concordance des temps ni même de leur opportunité).

Écrire pour inventer un nouveau repère dans la journée. Se consacrer an temps de l’écriture. Un temps à part que l’on ne peut partager avec personne. Une sorte de méditation. Un ailleurs hors du temps. Oublier sa propre écriture pour en aborder une autre.

Écrire ce qu’on aurait jamais écrit sans ces ateliers virtuels. Vivre le confinement d’une autre façon : avec du recul, en l’analysant, en laissant une trace des événements, en observant les changements, en s’en amusant, en mettant des mots sur les ressentis. Mettre en mots le confinement, lui donner un sens ou lui en trouver un.

Écrire pour soulager l’angoisse que génère cette nouvelle maladie qui tue, qui n’a pas de médicaments pour en guérir, de vaccin pour l’éradiquer. Quand les mots couvrent la feuille, ils apaisent, ils consolent, ils aident à évacuer l’impensable, l’incompréhensible. Que les mots soient légers ou lourds de sens, ils deviennent de simples petits caractères qu’on peut maîtriser, effacer, contrôler.
Françoise G

Écrire dimanche 10 mai, dis-moi. Dis, toi, oui toi, te rappelles-tu d’avoir attendu, espéré la (dernière séance) consigne ? Cette déception immense, ce vide, cette frustration ? Ce jour dominicale « sans. »

Ne pas écrire. Ce n’était pas tant ça. C’était de ne pas clôturer, ensemble. Un consigne finale. Ponctuer ce Grand confinement que nous venions tous de vivre. Avec agitation, sidération, bouleversement, tristesse, solitude, interrogation… Jusqu’à quand ? Et après ?

Écrire chacun son histoire. Choisir ses mots bien entendu. Envoyer ou pas le texte fini , abouti pas toujours.

Écrire des fragments. Des tracts. Des slogans. Un mot. Des brides. Des brouillons.

Écrire est pour moi une plage toujours inconnue. Je ne sais jamais ce que je vais y trouver.

Si la mer sera haute ? Peut-on vraiment choisir sa marée ? S’amarrer au ponton ou sur bouée ? L’amplitude en est inévitablement changée.

Écrire dans l’urgence comme une voile que tu ajustes sous le vent. Tenir la barre et garder le cap, la métaphore marine se prête bien au dur exercice de l’écriture. Il existe des tensions inhérentes au vent, à l’environnement

Quels coquillages vais-je ramasser ? Quelles couleurs retiendra mon attention, plus qu’une autre. L’odeur, me charmera t elle, ou pas.

Ecrirai-je d’après les images-souvenirs de l’album photos ?

Écrire alors que l’orage de la veille, a bousculé la pression atmosphérique. La tension électrique s’est ressentie.

C’est un peu comme le chat, parti quelques heures avant que roule le tonnerre. Il est parti se pelotonner, dormir dans un coin.

Pas bouger. Faire le dos rond. Je savais que c’était le dernier jour du dernier atelier du grand confinement avant de se déconfiner.

Écrire sur cette époque chaotique. Ce grand moment de suspend.

Nous vivions tous, ensemble, et chacun chez soi, un printemps confiné. Inédit. Et le fait que ce soit un évènement mondial, trouble encore plus nos écrits.

Écrire depuis ce dimanche 22 mars 2020 fut pour moi un vrai challenge.

J’ai aimé ces consignes, pleines de découvertes, de nouveaux copains, de nouveaux modèles, de nouvelles formes d’écriture, de fol amusement, de vraies difficultés à résoudre.

Écrire, mais d’abord laisser infuser, reposer la consigne. Du temps à s’accorder pour écrire, à accorder toutes les gammes, à essayer, à combiner la chaufferie de mots. D’un rituel qui s’est installé, petit à petit, de cette attente délicieuse :

Ouverture de mon ordinateur. Laisser tomber les mails. Compte boite Orange, puis boite Gmail.

Finir par cette dernière. En y repensant, je ressens cette hâte à dévoiler la nouvelle consigne du jour, du-Grand-Atelier.

De l’effeuiller comme on déshabille une fiancée avant de l’épouser.

Écrire en jetant quelques mots associés immédiatement. Puis aller dans le jardin ou marcher dans le "périmètre autorisé » pour laisser échapper les mots. En marchant ils viennent, j’en retiens certains, d’autres échappent, puis reviennent , certains jours.

Ils sont là, ils me suivent, et se connectent, je me sens en vibration avec eux et vice versa.

Parfois, je ne fais rien, il se passe quelque chose…C’est justement là, qu’il faut être attentif. En lâchant prise, ce sont eux qui viennent nous toucher, nous frôler. « Ils nous choisissent » d’autres l’ont déjà dit. Je n’y peux rien. Je crois qu’il est question de sensibilité, de perception, d’ondes. On pressent. Et ils s’installent. On n’a plus qu’à se servir. Ils nous flattent parfois. Nous nous amusons d’eux.

Écrire est une épreuve de séduction aussi.

Écrire et découvrir les textes des autres sur le site, fut un grand plaisir. Ah s’étonner de la tournure, être troublée et parfois reconnaitre les écritures, avec les différents univers.

Écrire comme on pose un acte de résistance. Écrire pour ne pas sombrer dans la mélancolie de l’oisiveté.

Écrire l’ennui. Et reconnaitre qu’il puisse engendrer bien des mots libres et libérés.

Nous étions à distance et pourtant reliés, ensemble dans une consigne d’écriture. Consigne, abordée parfois avec une joie immense,

et parfois sabordée carrément. Me déplait-elle ? Me bouscule-t-elle ? M’impose-t-elle trop de rigueur ? Je me rebelle.

Écrire d’une nécessité absolue les bulles des mots, elles me font un tapis moelleux pour ne pas risquer la chute au fond.

Écrire la couleur insensée, la nommer « glaz » de ce vert bleu qui me subjugue.

Et puis toute une vie pas si ratée, avec toutes les ficelles d’un métier de caviardage, d’un pêle-mêle de mots, rencontrés en chambre ou au delà, d’une fenêtre à une autre, de nuit ou en plein jour, j’ai écrit tous les jours.

Écrire des petits textes. J’ai fait du hors piste avec gravité.

Écrire des lettres est mon entrainement journalier à la correspondance. Les pratiques dissemblables me galvanisent.

Écrire par jets dès potron-minet, en plein midi ou tard dans la nuit.

Écrire en rêvant, qu’au delà du mur de la chambre, tout serait possible.

Ecrire la promenade dans ma bibliothèque en rêvant les personnages métissés, un régal et une jubilation d’écriture.

Écrire au soleil et s’évader dans la photo de la nuit où j’ai même croisé un lion.

Écrire sur une photo nous donne le cadre où justement on peut s’enfuir. Quelle liberté absolue sans feuille de route !

L’écriture confiné en intérieur, directement à l’ordinateur ou échappé coté jardin, sur papier libre ne s’écrit pas pareil.

Écrire sur un autre lieu, en inventant « notre » personnage Ivan Oroc, fut déroutant.

J’ai étiré ma flegme, en déposant forfait certains jours, prise par le temps.

Écrire à la manière de, nous déplace, nous amène à l’ étonnement de notre propre écriture.

Écrire là où, on ne serait pas aller là. On se laisse guider et piochant nos propres mots ou univers.

Écrire instinctivement, hors de soi, et se dire : C’est fou ce qu’on parle et combien on s’écrit davantage, depuis qu’on ne se rencontre plus.

Écrire en acrostiche, en jetant le masque et écrire vrai.

(…) Et vous ? Ne l’entendez-vous pas ,

Elle dit « la peine sera de peu de durée »

Elle dit « La belle saison est proche. »

Robert desnos, « La voix » dans le recueil Contrée.

Stéphane

Lettre d intérieur à mon Atelier d’écriture

Dimanche 10 mai 2020 . Jour 55 . Dernier Jour du Grand Atelier d’écriture du Grand Confinement

Je confine, tu confines, nous confinons…
Et si nous écrivions ?

Cher Atelier,

Voilà 54 matins que, tu me chantes cette belle ritournelle. Il est 10 heures ou 11 heures. Un rituel dans mon espace confiné, un rituel qui contribue et continue à cimenter nos existences distanciées. Souvent, je t’ai dit, en forme de remerciements : Tu me tiens debout ! À l ‘heure où parfois je désespérais de tout et de moi-même dans ce violent effondrement de mes fondamentaux.Tu m’as fait exister parmi les autres, retrouver un peu de ma tranquillité. J’ai reçu de toi, jours après jours, cette transmission culturelle qui m’est, qui nous est, à tous, si profondément nécessaire. Je t’attendais, impatiente et fébrile, comme on attend la venue de quelqu’un de la famille qu’on n’a pas vu depuis longtemps et qui s’annonce pour rester. Tu étais devenu si familier justement.
Et voilà que ce matin, le cinquante-cinquième, cher Atelier, nous n’avons rien vu apparaître sur la page de nos courriels. Nous eûmes beau chercher , même dans les SPAM. Rien . Attendons, avons-nous pensé. Cela va venir. Je dis « nous » parce qu’à travers nos téléphones nous avons échangé là-dessus et constaté nos mêmes attentes délicieuses et impatientes et dit beaucoup de bien de toi . Nous t’avons porté aux nues et vois-tu, dans nos distanciations et nos éparpillements sur nos territoires aplatis, nous avons pris l’habitude de tes aller-retours de balançoire. Tu me pousses et je m’élève et tu me pousses encore et je m’élève toujours plus haut .
Arriva alors Antoinette, une première fois, nous annonçant, sur toi, les dégâts de l’orage puis Antoinette une seconde fois, dans la course relai avec son bâton-relayeur qu’elle tenait bon . Elle envoya le tout vers nos « être-là ». Nous étions-là. Au pied de nos machines souffrant les mille mots en attente de consigne, nous disant que non, on ne pouvait pas se quitter comme ça, qu’il allait forcément se passer quelque chose entre nous et toi et toi et nous une dernière fois et que la balançoire allait de nouveau s’élancer pour une dernière envolée. Comme nous avons bien fait d’attendre de plume ferme ! Ton esprit bondissant d’un point minuscule à un autre point fila comme une étoile vers chacun d’entre nous.

Cher Atelier, je n ‘ai su pendant ce confinement, écrire que pour toi. Au soir du 17 mars, j’ai pensé devenir aphasique. Le choc ! Plus de mots. Aucun . Rien ne sortait de mon en-dedans ravagé. Le monde s’était éboulé à mes pieds. J’avais beau affouiller les rives comme dit Françoise Héritier dans Le sel de la vie, rien n’en tombait. Je n’éprouvais plus qu’une tristesse infinie, anéantie, plantée dans le silence glacé de la ville comme au bout d’un quai de gare abandonné.

Cher Atelier salvateur, je ne chanterai jamais assez tes louanges, celles de ces jeux de pistes d’écritures si enrichissants que tu nous a offerts pendant 55 jours avec charme, délicatesse et, persévérance et j’entendrai toujours , dans le temps qui me reste , les paroles berceuses de ta douce chanson .

Je confine, tu confines, nous confinons...
Et si nous écrivions ?

Jacqueline