Texte de Jacqueline M

samedi 15 avril 2017, par Webmestre

Atelier du 25 mars. Roselyne. Les Mégalopoles.

Le carrefour. Distribution des images du carrefour de Shibuya à Tokyo d’abord en noir et blanc puis en couleurs.
Chaufferie de mots, puis :
Ecrire un texte mettant en scène dans le carrefour, deux personnages. L’un actif, l’autre passif.

A travers ses lunettes noires et de là où on l’avait plaqué, il dominait Shibuya, le carrefour le plus célèbre de Tokyo. Il pouvait suivre des yeux la femme au pull-over jaune qui s’apprêtait à traverser la rue. Il avait jeté son dévolu sur celle-là. Elle ne levait jamais la tête vers lui qui, telle la vigie de la Tokyo Tower, surveillait tout et tout le monde. Il se plut ainsi à imaginer les aller et venues réguliers de la femme en jaune. Il avait remarqué sa ponctualité. Tous les jours à midi, au sortir du métro, elle était là, piquée devant le passage piéton. Le feu passait au vert. Elle traversait dans le gros de la foule qui semblait la porter, se dirigeait vers le Tokyo Hôtel, entrait, échangeait son pull jaune contre une tenue de femme de chambre, poussait d’étages en étages, son chariot de nettoyage, changeait les draps, nettoyait les salles de bains qui souvent racontaient des histoires, remettait son pull jaune, retraversait Shibuya, toujours aussi grouillant, à la nuit tombée, s’enfournait dans la bouche du métro, se tenait le lendemain à midi au même endroit dans la même tenue et la même position.
Depuis des jours et des jours, il la regardait sans qu’elle n’en sût rien . Il s’était pris d’affection pour elle. Elle était belle, lui semblait douce et résignée à cette vie minuscule ignorée , perdue dans un monde cosmopolite indifférent et agité. Il l’imaginait au service des autres plutôt dans cet hôtel qu’au Star Buck Coffee de l’autre côté de la rue, calée à la seconde près dans un répétitif mouvement de métronome. Sans se plaindre, solitaire, silencieuse, elle allait au gré de ce mouvement rythmé d’une régularité implacable. Parfois elle liait conversation avec un voisin, une voisine. Il tendait l’oreille. Sa voix nasillarde murmurée lui arrivait confusément à travers le brouhaha de la foule en effervescence incontrôlée et déconcertante. Son parfum de sueur et d’asphalte chaude de soleil montait jusqu’à lui.

Il avait à jouer un rôle de visage d’affiche publicitaire affublé de lunettes noires sur la Tokyo Tower.
Qui peut dire que derrière les visages aplatis des affiches publicitaires ne se cache pas une âme ?

JM